Trois lignes du temps interactives sont disponibles, traitant de différents sujets :
- L’organisation judiciaire en Belgique, par Françoise Muller
- Les femmes et les profession juridiques, par Françoise Muller
- Le jury d’assises, par Marie Vandersanden
1. L’organisation judiciaire en Belgique, par Françoise Muller
Mots clés: Magistrature, incompatibilité, mise à la retraite
La Constitution du 7 février 1831 prévoit la création d'une Cour de cassation. La loi du 4 août 1832 pose les principes qui régissent l'institution et cette dernière est installée le 15 octobre suivant. Elle compte alors 2 chambres et 22 membres (19 au siège et 3 au parquet). La même loi instaure une 3e cour d'appel à Gand, à côté de celles de Bruxelles et de Liège
Assemblée de magistrats @CEGESOMA - photo 163973
Selon l'article 100 de la Constitution, "les juges sont nommés à vie. Aucun juge ne peut être privé de sa place ni suspendu que par un jugement". A l'époque, la nomination à vie s'entendait au pied de la lettre: les magistrats assis, sauf démission volontaire, restaient en fonction jusqu'à leur mort. Au fil du temps, un nombre croissant de magistrats souffrait d'infirmités plus ou moins invalidantes. Le législateur est donc intervenu par la loi du 20 mai 1845 qui visait les juges atteint d'une infirmité grave et permanente depuis plus d'un an. L'avancée législative restait timide et l'esprit de corps de la magistrature a fait obstacle à l'application de cette loi qui, en plus de 20 ans, ne fut appliquée que 3 fois.
Avant 1848, seuls les magistrats de cassation doivent choisir entre l'exercice de leurs fonctions judiciaires et des fonctions politiques à l'échelle nationale (parlementaire ou ministre). Les autres magistrats sont libres de cumuler, à l'image de Jean-Joseph Raikem à la fois ministre de la Justice et procureur-général à Liège. En 1848, craignant que le contexte révolutionnaire français ne gagne la Belgique, le législateur s'emploie à satisfaire la petite bourgeoisie en adoptant en urgence la loi du 26 mai qui met un terme au système du Parlement des fonctionnaires: une personne salariée par l’État doit opter entre sa fonction et la représentation nationale. Il est toujours possible, et ce jusqu’à la loi du 18 juin 1869, à un magistrat « inférieur » d’être ministre extra-parlementaire.
Au niveau provincial, depuis la loi du 30 avril 1836 et jusqu’en mai 1848, les magistrats peuvent siéger au conseil provincial mais ils ne peuvent pas exercer de fonction exécutive. La même logique s’applique au niveau communal où le siège de conseiller leur restera ouvert jusqu’au Code judiciaire de 1967.
La loi d’organisation judiciaire du 4 août 1832 pose, comme seule condition d’accès aux fonctions de juge de paix, un âge minimum, à savoir avoir 25 ans accomplis. On s’inscrit dans la logique révolutionnaire qui conçoit le juge de paix comme un « bon père de famille » proche des justiciables. La loi de 1849 rompt avec ce modèle et impose aux juges de paix d’être titulaires d’un diplôme de docteurs en droit.
Les magistrats ayant atteint un certain âge – âge qui varie selon le niveau de juridiction – seront désormais mis à la retraite et jouiront, s’ils remplissent les conditions d’ancienneté prévues par la loi, de l’éméritat. La loi de 1867 rend également plus rapide la procédure introduite par la loi du 20 mai 1845 qui permettait à la Cour d’appel ou à la Cour de cassation – selon la juridiction à laquelle appartenait le magistrat concerné – de mettre à la retraite un magistrat frappé d’une incapacité grave et permanente.
Les nominations judiciaires consécutives à l’adoption de cette législation ont nettement privilégié les libéraux alors au pouvoir. Les catholiques, bien conscients que le mouvement judiciaire leur serait défavorable, avaient suggéré une solution alternative : ils avaient, sans succès, proposé que les magistrats qui atteignent l’âge de 70 ans aient le choix soit de demander leur retraite dans l’année et de bénéficier de l’éméritat, soit de rester en fonction encourant le risque d’être mis à la retraite en vertu de la loi du 20 mai 1845 si leur condition physique ou mentale ne leur permettait plus d’exercer leurs fonctions.
Toutefois, bien qu’étant une loi de parti, il ne faut pas négliger la nécessité d’enrayer le phénomène du vieillissement de la magistrature supérieure qui se révélait d’autant plus problématique face à la résistance de la magistrature à la loi du 20 mai 1845 laquelle conduisait au maintien en fonction de personnes incapables.
Les origines de cette loi remontent à 1853, à l’initiative du ministre de la Justice Charles Faider qui souhaitait l’élaboration d’un Code d’organisation judiciaire. Les premiers travaux s’orientent dans cette direction, proposant une série de modifications allant dans le sens d’une professionnalisation accrue de la magistrature et d’une affirmation du principe de séparation des pouvoirs. Le ministre libéral Tesch reprend le projet dans les années ‘1860 mais le réduit à une simple coordination. Seule innovation : la mise à la retraite des magistrats âgés de 70 ans. Sur la proposition des libéraux, le projet de loi se scinde en cours d’examen parlementaire : la question de la mise à la retraite des magistrats est examinée séparément et fait l’objet d’une législation particulière, marquant l’échec de la coordination. Au niveau de son contenu, la loi de 1869 se révèle très peu innovante. Usant de leur droit d’amendement, certains parlementaires tenteront, en vain, d’apporter des modifications à l’organisation judiciaire, notamment en reprenant plusieurs idées avancées en 1853. Ces propositions de modifications seront pour certaines adoptées dans le Code judiciaire 100 ans plus tard, par exemple en ce qui concerne les tribunaux de commerce.
Un premier tribunal, distinct de la justice de paix, est créé à Bruxelles en 1911, puis à Anvers deux ans plus tard. Les tribunaux de police se généraliseront ensuite.
La loi du 21 février 1948 ouvre la magistrature et toutes les fonctions judiciaires aux femmes, à condition d'avoir l'autorisation de leur mari. La première femme magistrate est Geneviève Pevtschin, nommée juge au Tribunal de première instance de Bruxelles en novembre 1948.
Cette loi vise également le Conseil d'Etat, qui dès son installation en 1948, compte une femme substitut de l'auditeur général : Marie-Thérèse Bourquin.
La loi du 21 février 1948 ouvre la magistrature aux femmes. Voir la ligne du temps "Femmes et professions juridiques".
La Belgique se dote de son premier code judiciaire. Parmi les nouveautés introduites, on peut mentionner l'uniformisation et la professionnalisation partielle (présidence) des tribunaux de commerce ou la modification de certains cantons judiciaires.
Dans la foulée de la révision constitutionnelle du 20 novembre 1998, le CSJ est institué et le mode de nomination des magistrats considérablement revu
Quelques suggestions pour en savoir plus :
Sur le statut de la magistrature belge de 1830 à 1914 : Françoise MULLER , La Cour de cassation belge à l’aune des rapports entre pouvoirs : de sa naissance dans le modèle classique de la séparation des pouvoirs à l’aube d’une extension de la fonction juridictionnelle (1832-1914/1936), Bruges, La Charte, 2011, 504p.
Sur la professionnalisation de la justice de paix : Jean-Pierre NANDRIN, La justice de paix à l’aube de l’indépendance de la Belgique (1832-1848). La professionnalisation d’une fonction judiciaire, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 1998, 314p.
Sur l’instauration du juge unique : Jean-Pierre NANDRIN, « Le juge unique en Belgique. Quelques jalons historiques d’une révolution tranquille », dans R.I.E.J., 1989, n°23, p. 97-113
2. Femmes et professions juridiques, par Françoise Muller
Mots clés: Féminisation, barreau, magistrature
Par son arrêt du 12 décembre 1888, la Cour d'appel de Bruxelles refuse à Marie Popelin l'accès au barreau. Le pourvoi en cassation de cette dernière est rejeté le 11 novembre 1889.
*Extrait du réquisitoire du procureur général Van Schoor
La loi organique du 15 mai 1910 sur les conseils de prud'homme rend les femmes éligibles aux conseils de prud'hommes. En France, elles l'étaient depuis 1908 (loi du 15 novembre).
Trente-quatre ans après l'affaire Popelin, les femmes se voient autoriser l'accès au barreau (sauf la cassation). Les femmes mariées doivent avoir l'autorisation de leur mari pour excercer. Il leur est par ailleurs interdit, à l'inverse des hommes, de suppléer un magistrat.
Les deux premières femmes à s'inscrire au barreau, le 8 mai suivant, sont Paule Lamy et Marcelle Renson. Paule Lamy sera la première femme à plaider en cour d'assises.
Il faut attendre 1968 pour qu'une femme, Odette Virlée, devienne bâtonnier.
Loi du 13 juin 1924 relative à l'électorat, à l'éligibilité et aux élections pour la formation des tribunaux de commerce.
Une loi française du 11 avril 1946 permet aux femmes d'embrasser la carrière de magistrat. Sous la pression féministe, le ministre de la Justice libéral Van Glabbeke sollicite l'avis des procureurs généraux sur la question. A la différence des deux autres parquets, Liège, par l'intermédiaire du procureur général faisant fonction Delwaide, s'y montrera particulièremennt opposé comme en témoigne sa célèbre mercuriale de 1946 entièrement consacrée à la question.
Wivine Bourgaux est la première femme à plaider devant la Cour de cassation.
La loi du 21 février 1948 ouvre la magistrature et toutes les fonctions judiciaires aux femmes, à condition d'avoir l'autorisation de leur mari. La première femme magistrate est Geneviève Pevtschin, nommée juge au Tribunal de première instance de Bruxelles en novembre 1948.
Cette loi vise également le Conseil d'Etat, qui dès son installation en 1948, compte une femme substitut de l'auditeur général : Marie-Thérèse Bourquin.
Odette De Wynter (1927-1998) est la première femme notaire. Elle-même fille de notaire, elle décroche sa licence en 1950 et sera nommée, cinq ans plus tard (arrêté royal du 20 juin 1955), à Auderghem. Son maitre de stage lui conseillera de ne mentionner que son initiale sur sa plaque...
Dix ans après la promulgation de la loi, septante femmes furent diplômées mais seules quatre nommées notaire...
Pour en savoir plus, consulter : Jean-Pierre NANDRIN, Hommes et normes. Enjeux et débats du métier d’un historien, éd. P.-O. DE BROUX, A. HENDRICK, F. MULLER et B. PIRET, Bruxelles, Presses de l’Université Saint-Louis, 2016, p. 497-518.
Sur le Net: podcast du colloque Le juge est une femme, organisé à l’ULB les 7 et 8 novembre 2013.
3. Le jury d’assises, par Marie Vandersanden
Mots clés: Organisation judiciaire, réforme justice, cours d’assisesLes lois des 29 septembre – 21 octobre 1791 organisent la procédure criminelle. Elles confèrent notamment au juge de paix un pouvoir considérable et font du jury populaire un acteur essentiel du jugement. Le jury d'accusation est composé de 8 citoyens tirés au sort et est présidé par un juge élu (juge du tribunal de district) ; il décide de renvoyer ou non le prévenu devant le tribunal criminel. Ce tribunal criminel, un par département, comprend le jury de jugement composé de douze citoyens désignés par le sort.
Si le principe du jugement par un jury est d'origine anglaise (trial by jury), c'est lors de l'incorporation des provinces belges à la France, que le système des deux jurys (accusation et jugement) est introduit en "Belgique".
Le système de la cour d'assises, importé de la France, est régi par le code d'instruction criminelle français de 1808. Comme toutes les autres oeuvres législatives du commencement du XIXème siècle, ce Code est une oeuvre de transaction ou plutôt de superposition entre les dispositions contraires des deux législations antérieures : l’ordonnance royale de 1670, c’est-à-dire le Code de Louis XIV, les lois de 1791, c’est-à-dire le Code de la révolution. Il naît d'une vaste réflexion sur la question criminelle, et conscare l'appropriation populaire de la procédure pénale par l'introduction de deux jurys (accusation et jugement). Le jury d'accusation tombe vite en désuétude pour être finalement remplacé par la chambre des mises en accusation de la cour d'appel.
En 1814, la chute de l'Empire français entraine une tutelle alliée de la Belgique. Le 6 novembre, un arrêté de Guillaume d'Orange, en sa qualité de gouverneur général de la Belgique, supprime l'institution du jury dans les provinces méridionales. Après le congrès de Vienne, la Belgique tombe sous domination hollandaise où les cours d'assises subsistent mais sans jury.
L'article 98 de la constitution déclare : "Le jury est établi en toutes matières criminelles, délits politiques et de la presse". L'abolition du jury étant un des griefs contre le régime hollandais, le but en 1831 est de rétablir l'institution dans un premier temps et de la perfectionner une fois en activité. Les dispositions du Code d'instruction criminelle français de 1808 relatives au jury sont donc remises en vigueur.
Les jurés doivent être pris parmi les citoyens belges payant un certain cens (différent selon les provinces) ou, en dehors de toute contribution, parmi une certaine catégorie de personnes automatiquement portées sur les listes de jurés (ex : bourgemestres, échevins, docteurs en droit, notaires, etc.). Certaines personnes sont exemptées ou retirées de la liste comme les personnes de plus de septante ans, les ministres, les ministres des cultes, les militaires en service actif, etc. La loi du 15 mai 1838 introduit aussi le mécanisme de correctionalisation des crimes qui vide les cours d'assises de leur substance. Ce mécanisme consiste pour le parquet et les juridictions d'instruction, à admettre des circonstances atténuantes ou une cause d'excuse afin de déférer au tribunal correctionnel le jugement des crimes, normalement réservé à la cour d'assises et donc au jury.
"Nul ne peut être juré, s'il n'est belge de naissance, s'il n'a obtenu la grande naturalisation, s'il ne jouit des droits civils et politiques et s'il n'a pas trente ans accomplis"
(Art. 97, L. sur l'O.J. 1869).
Cependant, pour faire partie du jury, il ne suffit pas de remplir ces trois conditions, les conditions spéciales prévues par la Loi du 15 mai 1838 sont toujours requises : une contribution à l'Etat d'un certain montant, une exemption pour certains citoyens ainsi que l'ajout automatique sur la liste des jurés de certaines catégories de personnes. Les députations permanentes des conseils provinciaux sont chargées de dresser annuellement, pour chaque arrondissement judiciaire une liste générale de personnes aptes à être jurés.
La loi du 23 août constitue la première réforme majeure de l'institution : la cour et le jury collaborent maintenant pour le prononcé de la peine. Cette collaboration tend à créer un contrepoids à l’indulgence et à la clémence des jurés. En effet, pendant longtemps, une contestation du jury, relayée par la presse, le monde judiciaire et par l'opinion publique, s’est orchestrée autour d’un thème majeur : celui des « acquittements scandaleux ». Suite à une identification trop grande au condamné et à la peur d'une peine trop sévère pour celui-ci, certains jurys se montraient trop indulgents. Le monde judiciaire voyait ainsi son enquête menée à mal par un verdict d'acquittement. La loi de 1919 ainsi que l'augmentation du nombre de crimes correctionnalisés visent à réduire le nombre d'acquittements injustifiés.
La loi de 1930 modifie la composition du jury. Le nombre de personnes pouvant revêtir la qualité de jurés est étendue. Le cens n'est plus une condition nécessaire à la fonction, par contre l'instruction devient indispensable : "ils (les jurés) sont priés de dire s'ils savent lire et écrire et quelle est leur langue nationale". Les personnes ne parlant pas la langue du procès sont d'office récusées. La question de l'accès à la fonction de juré pour les femmes s’est notamment posée mais le législateur n'a pris aucune disposition les empêchant de faire partie d'un jury d'assises. Depuis la loi de 1930, les jurés sont donc sélectionnés sur la base de la liste des électeurs.
Si le système judiciaire est resté longtemps marqué par l'occupation française et par peu de modifications, à la fin des années 1990 des propositions de réformes commencent à attiser le débat. La cour d'assises et son jury populaire sont de plus en plus souvent décriés. La loi de 2009 n'écarte pas la possibilité d'une suppression progressive de la cour d'assises mais se contente de modifier certains éléments essentiels de la procédure. Elle vise le devoir de motivation sur la décision de culpabilité du jury populaire. Conformément aux obligations européennes (jurisprudence Taxquet), le législateur prévoit que les jurés doivent motiver leur réponse à chacune des questions portant sur la culpabilité. La cour rédige ensuite, a posteriori, la motivation du verdict.
La loi pot-pourri II ou «loi modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice» suit la loi pot-pourri I du 19 octobre 2015 sur la procédure civile. Elle a pour objectif d’adapter le droit pénal et la procédure pénale afin d’en accélérer et d’en simplifier les procédures. Par la correctionnalisation possible de toutes les infractions, la procédure d’assises devient une procédure exceptionnelle appliquée pour les faits criminels les plus graves, par exemple ceux commis contre des policiers ou impliquant des mineurs et pour lesquels la famille s'oppose à la correctionnalisation. Le président de la Cour d’assises et ses deux assesseurs, jugés plus aptes à estimer la valeur et la légitimité de la preuve, participent désormais à la délibération sur la culpabilité. Ainsi, lors du délibéré sur la culpabilité et sur la détermination de la peine, ces trois juges professionnels constituent avec le jury un "collège".