Chapitre II : Écoulement uniforme

1. Notions de base

Comme nous l'avons annoncé à la fin de la leçon précédente, nous nous pencherons, dans les 4 leçons suivantes, sur l'écoulement uniforme. Cette leçon-ci est en particulier consacrée à la démonstration de l'équation de base de l'écoulement uniforme (équation de Chézy) et à l'introduction de différentes formules de rugosité qui permettront de modéliser le frottement sur les parois.

Théorie

Hypothèses

Hypothèses de l'écoulement uniforme

Rappelons tout d'abord les hypothèses de l'écoulement uniforme.

Dans un canal de pente constante et de section transversale invariable (canal cylindrique ou prismatique), l'écoulement est uniforme si :

  • La profondeur (maximale ou moyenne), la section mouillée, la vitesse moyenne restent constantes d'une section à l'autre du canal;

  • La ligne de charge, la surface libre et le fond du canal sont parallèles.

L'hypothèse de la constance des vitesses concerne bien l'égalité des vitesses moyennes d'une section à l'autre, mais dans une section la vitesse n'est pas obligatoirement constante d'un point à un autre. Souvent, on suppose que la distribution des vitesses est la même d'une section à l'autre, ou alors on néglige les effets de cette distribution.


L'écoulement uniforme peut être laminaire ou turbulent : seul ce dernier cas est d'utilisation courante pour l'ingénieur.


L'écoulement uniforme au sens strict est très rare, mais certains écoulements dans des canaux artificiels peuvent être considérés comme tels. Par exemple, dans un canal artificiel de section et de pente constantes et à condition de se placer suffisamment loin de toute singularité, l'écoulement qui se présente est "à peu près uniforme". C'est souvent le cas dans les canaux d'irrigation (photo ci-contre).


Même dans le cas de rivières naturelles (non strictement prismatiques), on peut utiliser de manière approximative certains résultats du mouvement uniforme, quand la ligne d'eau est sensiblement parallèle au fond.


Enfin, comme nous le verrons, l'écoulement uniforme constitue toujours le régime de référence, même pour les autres types d'écoulement.

Formules usuelles

Plusieurs auteurs ont décrit l'écoulement uniforme et cela, de différentes façons. Nous verrons essentiellement dans ce cours, les trois formules les plus utilisées : celle de Chézy, de Bazin et de Manning.

Formule de Chézy

La formule de Chézy est la formule "historique" à laquelle la plupart des auteurs font référence, mais à laquelle les praticiens préfèrent des variantes plus précises ou mieux documentées. Le principe de base de la formule repose sur un équilibre des forces en présence. Supposons un bief élémentaire de longueur dans lequel l'écoulement est uniforme.


Remarquons tout d'abord que le canal ou la rivière doivent être prismatique.

Parce que la constance de la profondeur et de la vitesse moyenne d'une section à l'autre ne se conçoit que si le cours d'eau est prismatique.

Passons en revue les forces pouvant s'exercer sur l'eau du volume de contrôle de longueur ci-dessous et sélectionnons celles qui doivent être prises en compte...


Gravité

Les forces de gravité (poids propre de l'eau) doivent-elles être prises en compte ?

Correct ! Effectivement, parce que la gravité est le moteur du mouvement. Sans elle, l'eau ne s'écoulerait pas.
Faux ! La gravité est le moteur du mouvement. Sans elle, l'eau ne s'écoulerait pas. Nous devons donc prendre les forces de gravité en compte !


Pressions

Les forces de pression sur les faces du volume de contrôle sont les suivantes :

  1. Les pressions sur les faces latérales du volume de contrôle. Doivent-elles être prises en compte ?

  2. Boutons "Actualiser la figure"

    Faux ! Les pressions sur les faces latérales sont les seules forces transversales s'exerçant sur le volume de contrôle, et elles ne correspondent à aucun mouvement. Elles sont en équilibre entre elles et n'interviennent pas dans la dynamique du système.
    Correct ! Les pressions sur les faces latérales sont les seules forces transversales s'exerçant sur le volume de contrôle, et elles ne correspondent à aucun mouvement. Elles sont en équilibre entre elles et n'interviennent pas dans la dynamique du système.

  3. La pression atmosphérique à la surface de l'eau et la pression au fond. Doivent-elles être prises en compte ?
  4. Faux ! Nous effectuons un équilibre longitudinal. Nous ne prenons donc que les forces de pressions qui ont des composantes longitudinales, parallèles à la direction de l'écoulement.
    Correct ! Nous effectuons un équilibre longitudinal. Nous ne prenons donc que les forces de pressions qui ont des composantes longitudinales, parallèles à la direction de l'écoulement.

  5. Les pressions s'exerçant sur les faces amont et aval du volume de contrôle. Doivent-elles être prises en compte ?
  6. Correct ! Mais l'écoulement étant parallèle, la distribution des pressions est hydrostatique. Comme l'aire sur laquelle s'exerce la pression à l'amont est exactement la même que l'aire à l'aval, vu les hypothèses de l'écoulement uniforme, les deux résultantes des forces de pression sont égales et opposées. Leur résultante est donc nulle !
    Faux ! Nous devons les prendre en compte, mais l'écoulement étant parallèle, la distribution des pressions est hydrostatique. Comme l'aire sur laquelle s'exerce la pression à l'amont est exactement la même que l'aire à l'aval, vu les hypothèses de l'écoulement uniforme, les deux résultantes des forces de pression sont égales et opposées. Leur résultante est donc nulle !


Frottement

L'écoulement rencontre une certaine résistance.

Une résistance due au frottement le long des parois.

Le frottement contre les parois s'exerce aussi bien sur le fond (ou le lit de la rivière) que sur les berges.



Equilibre

On conclut que les forces à prendre en considération sont :

  • Les forces de gravité
  • La résistance de frottement


Le théorème de Newton nous apprend que la résultante des forces conduit à une accélération de la masse d'eau :

Dans le cas de l'écoulement uniforme, le liquide ne subit aucune accélération, ce qui suppose que les forces sont en équilibre.

Parce que le mouvement est permanent donc les vitesses n'évoluent pas avec le temps et il est uniforme donc les vitesses ne changent pas d'une section à l'autre.

Etablissons les résultantes des deux forces à équilibrer.


Forces de gravité

Le poids de l'eau du volume de contrôle vaut :

est le poids volumique. Seule la composante longitudinale doit être prise en compte. On a défini la pente de fond S0 :

ce qui permet d'écrire la composante longitudinale sous la forme :


Forces de frottement

Quant à la force de frottement, opposée à l'écoulement, elle s'exerce sur toute la longueur du périmètre mouillé P :

est la contrainte de frottement par unité de surface.

Comme le régime est turbulent, cette contrainte est proportionnelle au carré de la vitesse moyenne de l'écoulement :

si bien que la force de frottement s'écrit :


Equilibre des forces

L'équilibre entre la force de gravité, dans le sens de l'écoulement, et la force de frottement, opposée à l'écoulement, s'écrit :

Le rayon hydraulique étant défini, comme nous l'avons vu dans la leçon précédente, par le rapport de l'aire mouillée au périmètre mouillé :

on peut donc déduire la formule de Chézy :

qui s'écrit plus simplement :

C est le coefficient de Chézy, qui dépend de la rugosité des parois. Il varie de 20 m1/2s-1 pour les rivières très irrégulières à 80 m1/2s-1 pour les canaux aux parois très lisses.


Formule de Bazin

La formule de Chézy est souvent prise comme référence dans les traités d'hydraulique, mais elle n'est pas utilisée par les praticiens, et cela pour deux raisons :

  • Le coefficient C n'a pas été étudié systématiquement du point de vue pratique,
  • Ce coefficient s'est avéré dépendre du rayon hydraulique : pour les canaux plus petits, où R est plus petit également, la vitesse moyenne diminue plus que ne l'annonce la formule de Chézy.
  • Parce que, plus la section est petite, plus l'influence des parois semble prépondérante.

Les ingénieurs se sont attachés à trouver un expression de C qui tienne compte de cette dépendance à R. Une formule assez utilisée dans le monde francophone est celle de Bazin qui présente C comme une fonction de la rugosité et du rayon hydraulique R. La formule de Bazin s'écrit, en unités métriques :

Dans cette formule, m est un coefficient de rugosité qui dépend de la nature de la paroi. Bazin suggère six catégories de parois qui permettent de se faire une idée de la valeur à adopter pour m.

Nature des parois m [m1/2]
Parois très unies (ciment, bois raboté...) 0,06
Parois unies (planches, briques, pierres de taille...) 0,16
Parois en maçonnerie de moellons 0,46
Parois de nature mixte (section en terre, très irrégulières) 0,85
Canaux en terre dans les conditions ordinaires 1,30
Canaux en terre, avec fond de galets, parois herbées 1,75

La formule de Chézy, avec le coefficient de Chézy calculé à partir de la formule de Bazin, est utilisée essentiellement dans les pays latins et en France en particulier. Cependant, pour les calculs pratiques, les formules qui suivent sont plus répandues et souvent d'un usage plus simple.


Formule de Manning

Manning, propose quant à lui une autre formule pour lier le coefficient de rugosité C au rayon hydraulique, de façon plus simple que la formule de Bazin.

Dans cette formule, la valeur de n dépend de la rugosité de la paroi. Cette formulation plus simple de C permet d'écrire la formule de Chézy de manière monôme :

ce qui rend la formule de Manning souvent plus facile à utiliser dans les calculs.


De plus, les tableaux des valeurs de n que l'on peut trouver dans la littérature sont extrêmement complets et détaillés, si bien que l'utilisation de cette formule est très répandue non seulement dans le monde anglo-saxon (Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni) où elle a vu le jour, mais dans la plupart des pays. Bien que la formule soit d'origine irlandaise, n est exprimé en unités métriques (en m-1/3s).


Nous trouverons, en suivant ce lien un tableau reprenant les valeurs de n.


La leçon suivante vous permettra de voir comment, pratiquement, utiliser ces formules pour calculer un débit ou une hauteur d'eau. Mais, tout d'abord, quelques exercices du type questions à choix multiples et d'autres de classement vont vous permettre de fixer ces notions importantes.