8. Quelles sont les particularités des plantes et des animaux des tourbières ?
8. Quelles sont les particularités des plantes et des animaux des tourbières ?
A. Les plantes
1. Végétation
Les sphaignes prolifèrent vite et forment des colonies très denses. Elles ont la particularité de mourir par leur base et de croître sur leurs parties inactives. Elles contiennent une grande quantité d'eau dans les cellules mortes de leurs tiges et surtout de leurs feuilles ; ces cellules sont appelées hyalocystes. Les hyalocystes n'ont plus qu'une paroi percée de plusieurs pores (2 à 5) qui permettent l'entrée de l'eau dans la plante. Ainsi, les sphaignes peuvent absorber jusqu'à 40 fois leur poids sec.
Illustration extraite de «Les tourbières - au pays des plantes carnivores», Th. Dalbavie & J.-Ph. Solleliet, Espaces et Recherches, Beaumont, 1994
2. Croissance
Comme les sphaignes, les autres plantes des tourbières grandissent en règle générale sur leurs parties mortes enfouies. C'est le cas pour la droséra, les linaigrettes (Eriophorum spp.), la canneberge (Vaccinium oxycoccos) ou l'andromède (Andromeda polifolia). Ce sont souvent des plantes à rosette croissant à même le sol ce qui leur permet de mieux résister au froid ou des plantes de petite taille dont les bourgeons sont ainsi protégés par la neige.
Canneberge (Vaccinium oxycoccos) en fleurs (à gauche) et en fruits (à droite).
Photos : Pascal Ghiette
3. Reliques glaciaires
Dans les tourbières, les conditions climatiques particulières ont permis aux plantes de survivre après la fin des glaciations. Cette flore des milieux humides est riche en espèces tardiglaciaires relictuelles aussi rares que fragiles (linaigrettes (Eriophorum vaginatum, E. angustifolium), andromède (Andromeda polifolia), myrtille au loup (Vaccinium uliginosum))…
4. Alimentation
Toute plante a besoin d'azote pour vivre. Cet élément intervient dans la constitution des protéines et des acides aminés entre autres. Or, dans les tourbières acides, il est seulement présent en dose infime. Les plantes des tourbières sont peu exigeantes en éléments nutritifs.
De plus, pour chercher à se nourrir, ces plantes développent un important système racinaire : la masse des organes souterrains est supérieure à celle des organes aériens. Les linaigrettes ont des racines de plus d'un mètre de long. C'est dans ces racines et dans les rhizomes que les plantes stockent les réserves nutritives qui seront utilisées l'année suivante, comme le font les linaigrettes, les laîches ou la molinie.
Beaucoup de plantes de tourbières fonctionnent sur le partenariat ! C'est ce que font la canneberge et toutes les espèces de cette famille des Ericacées, en s’associant avec des champignons particuliers (endomycorhize éricoïde) qui investissent l’intérieur des racines.
Cette association est une symbiose. Le champignon trouve un gîte et un couvert : la plante lui fournit en particulier les éléments glucidiques issus de la photosynthèse. Quant à la plante, elle est alimentée par le champignon en minéraux et en eau ; elle est également protégée contre les pathogènes ou des métaux toxiques. Grâce au champignon, l'absorption des minéraux peut être doublée voire triplée.
Certaines sont devenues carnivores ! Ainsi le droséra (Drosera rotundifolia) attire des insectes et les captures grâce aux sécrétions gluantes de ses feuilles. Il récupère ainsi une ressource en azote indispensable à sa croissance. Ses besoins sont cependant extrêmement limités : un moucheron suffit pour plusieurs semaines !
B. Et les animaux ?
Ce sont essentiellement les invertébrés qui présentent des adaptations aux tourbières. En effet, les animaux de grande taille, mammifères ou oiseaux, peuvent s'affranchir facilement de ce milieu alors que les petits, insectes ou araignées, en sont devenus dépendants et se sont peu à peu adaptés. En voici quelques exemples :
Le tétras lyre :
Parmi les animaux emblématiques qui vivent dans nos tourbières, il subsiste le tétras lyre (Tetrao tetrix). En Belgique, cet oiseau n’est plus présent que sur le plateau des Hautes Fagnes, et en population très limitée (2011 : > 20 mâles ; 2012 : 13 mâles ; 2013 : 11 mâles) alors qu’il y a quelques dizaines d’années on pouvait encore le rencontrer en Campine, dans le massif de la Croix Scaille, au Plateau des Tailles et au camp militaire de Lagland en Lorraine.
Si cet oiseau ne se retrouve que dans les tourbières, c’est parce qu’il se nourrit quasi exclusivement de bourgeons ainsi que de baies d’Ericacées (myrtilles). Lors de la saison de reproduction, il a besoin de grandes zones dégagées afin de permettre aux mâles de parader devant les femelles (“aires de parade”). Les tourbières sont donc un endroit de choix pour cette espèce.
Pourtant cet animal est en voie d’extinction en Belgique. Cela s’explique par plusieurs facteurs :
1)La disparition, la fragmentation et la dégradation de son habitat. Les surfaces sont limitées et les ressources végétales de plus en plus rares.
2)Les changements climatiques : les hivers doux sont défavorables car les oiseaux ne peuvent se protéger dans des igloos creusés dans la neige ; les printemps pluvieux sont défarovables aux poussins très sensibles à l’humidité ; les automnes pluvieux empêchent les individus d’accumuler suffisamment de réserves pour passer l’hiver…
3)La prédation. Les corvidés (attirés par les déchets laissés par les promeneurs) détruisent les nids, de même que les sangliers ! Les renards, eux aussi en forte augmentation au sein du massif des Hautes Fagnes, prélèvent le reste… Un plan de tir exigeant est entrepris depuis plusieurs années dans l’ensemble du Parc des Hautes Fagnes pour tenter d’endiguer ces pertes.
4)Le dérangement par les humains ; le tetras lyre est très sensible, et la présence de nombreux promeneurs le dérange. Des mesures sont donc prises depuis de nombreuses années afin de protéger la quiétude des individus restants.
Têtras lyre (Tetrao tetrix) entrain de parader
Photo : Pascal Ghiette
Le nacré de la canneberge :
Si ce papillon (Boloria aquilonaris) ne se retrouve que dans les tourbières c’est parce qu’il est entièrement dépendant d’une plante qui y vit aussi : la canneberge (Vaccinium oxycoccos). C’est sur cette plante que le nacré pond ses œufs pendant l’été : une fois écloses, les chenilles ne peuvent se nourrir que de la canneberge, elles en sont exclusives ! Ensuite, elles passent l’hiver à ce stade, et pour éviter le froid pendant la mauvaise saison, elles vont se réfugier à l’intérieur de buttes de sphaignes. Celles-ci fournissent une bonne protection contre les changements de températures. Au printemps suivant, elles pourront se transformer en papillons qui continueront à se nourrir du nectar produit par les fleurs de la canneberge ainsi que quelques autres plantes que l’on rencontre en tourbière (comme Erica tetralix, Comarum palustre...).
Nacré de la canneberge (Boloria aquilonaris)
Photo : M. Baguette
Les libellules et autres insectes ou araignées :
Pour se développer, les larves de quelques libellules et de petites mouches ont absolument besoin d'eau très froide et acide et de la protection de la tourbe.
Libellule et Demoiselle (Leucorrhinia rubicunda, femelle adulte à gauche, et Aeshna juncea, mâle adulte à droite)
Photo : Ph. Goffart
Les femelles de certains diptères (mouches, moustiques, tipules...) sont peu à peu devenues aptères, c'est-à-dire que leurs ailes se sont atrophiées. Quand ces insectes naissent, il règne dans la tourbière des conditions climatiques difficiles. L'évolution, surprenante, a voulu que les ailes des femelles disparaissent, leur évitant ainsi d'être emportées par le vent loin de leur lieu de vie.
On n'y fait guère attention mais il y a plus de 200 espèces d'araignées dans les tourbières. Ce sont des espèces nordiques qui ont trouvé refuge dans ces milieux froids après la dernière glaciation. Ces reliques glaciaires à huit pattes sont capables de s'accommoder de l'humidité ambiante et même de chasser dans l'eau. C'est le cas de l’argyronète (Argyroneta aquatica), araignée plongeuse qui chasse sous l'eau les larves d'insectes ou les têtards.
Micrommata (Micrommata virescens)
Photo : M. Pirnay
Dolomède (Dolomedes fimbrinatus)
Photo : Pascal Ghiette
La canneberge (Vaccinium oxycoccos) est une espèce relique glaciaire. Elle se niche dans les tapis de sphaignes des tourbières.
Photo : M. Pirnay
L’andromède (Andromeda polifolia) est une autre espèce relique glaciaire : elle ne se retrouve en Belgique que sur les hauts plateaux ardennais.
Photo : J. R. de Sloover
Le rossolis (Drosera rotundifolia) s’est adapté au milieu pauvre en nutriments… en devenant carnivore! Les insectes s’engluent dans ses feuilles qui libèrent alors des ensymes digerant ces petites proies.
Photo : M. Pirnay
Linaigrettes en fruit (Eriophorum vaginatum)
Photos : Pascal Ghiette
Acaule, adj. (gr. kaulos : tige ; a-) = Qui n’a pas ou n’a guère de tige, ou dont la tige n’est pas apparente.
Collet, subst. m. = partie d’une plante intermédiaire entre la tige et la racine.
Mycorhize, n. f. (gr. mukès : champignon; rhiza : racine) = Association symbiotique entre certains champignons et les racines de diverses plantes (presque toujours chlorophylliennes). Plusieurs types de mycorhize sont distinguées (endo- et ecto- mycorhize entre autre).
Nodosité, subst. f. (lat. nodositas : nodosité, complication) = Petit tubercule globuleux développé sur les racines des espèces de la famille des Fabacées (« légumineuses » telles que le haricot, le trèfle, …) sous l’action de bactéries du genre Rhizobium qui participent à la fixation de l’azote.
Relique glaciaire = qui subsiste à cet endroit depuis la dernière période glaciaire (durant le Pléistocène) il y a de 110 000 à 10 000 ans.
Rosette, n. f. (lat. rosa : rose) = Chez les Angiospermes acaules ce terme exprime la disposition particulière des feuilles, toutes insérées en disposition plus ou moins rayonnante au niveau du collet. L'expression "plantes en rosette" désigne donc un groupe reposant sur une donnée morphologique. Ex. la pâquerette (Bellis perennis) ou les pissenlits (Taraxacum spp.) ont des rosettes de feuilles.
Symbiose, n. f. (gr. syn : avec ; bios : vie) = Comportement biologique de certaines espèces (qualifiés de symbiotiques ou symbiotes) qui vivent dans une interdépendance nutritionnelle totale avec une autre espèce. Les deux partenaires sont en contacts étroits et ne peuvent vivre indépendamment l’un de l’autre : lichens (champignon + algue), mycorhize (champignon + plante), nodosité (bactérie Rhizobium + Fabacée), myrmécophilie (fourmi + plante), coraux (polype + algue) ….
Symbiote, subst. m. (gr. symbioûm : qui vit avec un autre) = Chacun des êtres associés en symbiose, qui vit en symbiose.