5. Comment reconstituer l’histoire d’une tourbière ?

 

A. L'âge glaciaire (de 18 000 à 12 800 BP)


La glace est partout. Il fait un froid très sec. Toute végétation a disparu. Vers –15 000 avant aujourd'hui (donc aujourd’hui = 1950 !), réapparaissent les plantes dans ce désert glaciaire. Ce sont des armoises (Artemisia spp.). La glace commence à fondre et libère des surfaces. Vers –12 800 ans, des genévriers (Juniperus spp.) se développent. Le climat s’adoucie , la végétation est de type toundra !

B. Amélioration timide du climat (12 800 à 10 200 BP)

Les genévriers forment d'abord une végétation arbustive basse de type broussaille. Ensuite ce sont les premiers arbres, des bouleaux (Betula spp.) et des saules (Salix spp.), dispersés çà et là. Enfin, les pins (Pinus sylvestris) s'installent et forment, avec les bouleaux, un semblant de forêt de type taïga. Une nouvelle période de froid, d'une durée de 500 ans, anéantit, à la fin de cette phase, tous les efforts de colonisation forestière.



C. La première installation de la forêt (10 200 à 9 000 BP)

La température remonte peu à peu et l'humidité atmosphérique revient. On entre dans le « post-glaciaire » ou « Holocène », dans lequel nous sommes encore ! Pins et bouleaux se réinstallent mais ils ne résisteront pas à l'arrivée massive des noisetiers (Corylus avellana).

D. Le règne de la forêt feuillue mixte (9 000 à 4 200 BP)

Au cours des 1 000 premières années, on remarque une certaine sécheresse comme en témoigne la persistance de la forêt de noisetiers. Ensuite, le climat devient chaud et humide, ce qui permet aux chênes (Quercus spp.) et surtout aux ormes (Ulmus spp.), aux tilleuls (Tilia spp.), au frêne (Fraxinus excelsior) et à l'aulne (Alnus glutinosa), de coloniser la région. La chênaie se développe et recouvre alors tous les plateaux d'altitude ; seules les tourbières forment des clairières dans le paysage.

La formation de la tourbière du Grand Passage a été estimée à au moins 5 000 BP (8 mètres de tourbe avec une croissance de 1,6 mm environ par an). A la fin de cette période « Atlantique », la température baisse sensiblement ce qui fait décliner la chênaie au profit des hêtres (Fagus sylvatica) mieux adaptés. Les tourbières occupent les mêmes surfaces qu'au siècle passé. La camarine noire (Empetrum nigrum) est déjà signalée au Grand Passage.

E. La hêtraie et les premiers impacts humains (4 200 à 2 600 BP)

Pendant un millénaire et demi, c'est le règne absolu de cette forêt bien adaptée aux conditions de fraîcheur et d'humidité.

Cette époque est marquée par les déboisements et une action humaine préhistorique de plus en plus forte. Vers 4 150 BP l'apparition de pollen de plantain (Plantago spp.) au Grand Passage signale cet impact, car il s’agit d’une espèce qui se développe dans des sites piétinés. Vers 2 800 BP ce sont les Poacées (graminées) qui signalent la présence de cultures sur le Plateau (épeautre et seigle sans doute).

F. L'homme transforme le paysage (2 600 BP à nos jours)

Ce qui change ici, c'est que le climat n'est plus le seul responsable des modifications physionomiques de la couverture végétale. Il y a l'homme maintenant ! L'homme est omniprésent. La forêt de hêtres cède le pas face aux grands déboisements gallo-romains (on cultive alors le noyer (Juglans regia), vers 500 après Jésus-Christ) et médiévaux. Vers 1325, les pollens de céréales indiquent la présence de champs au village de Tailles, tout près de la tourbière. Au dix-huitième siècle, la majeure partie du Plateau est déboisée : les tourbières sont séparées par des landes.... Les cartes de Ferraris (1765-1785) montrent cet aspect très ouvert et de la disparition des forêts par surexploitation.

Aujourd'hui, les plantations d'épicéas (Picea abies) redonnent une fausse allure de massif forestier à toute l'Ardenne !

Les cartes de Ferraris, ou cartes des Pays-Bas autrichiens sont des cartes historiques établies entre 1770 et 1778 par le comte Joseph de Ferraris, directeur de l'école de mathématique du corps d'artillerie des Pays-Bas, sur commande du gouverneur Charles de Lorraine. Il s'agit de la première cartographie systématique et à grande échelle, aussi bien en « Belgique » que dans toute l'Europe occidentale. (source : Les cartes de Ferraris par le prof. dr. P. De Maeyer, consulté le 29-01-2014)


Taïga,  (mot russe): forêt de conifères d’Amérique et d’Asie septentrionales, formant à elle seule un biome terrestre (source : Romaric Forêt, Dico de Bio, 2e édition, ed. De Boeck, 2006, Bruxelles, 639 pages).


Toundra, n. f. (mot lapon): biome terrestre boréal situé entre la taïga et les régions arctiques sans végétation. La végétation est composée de ligneux nains, de Poacées, de lichens et de bryophytes (source : Romaric Forêt, Dico de Bio, 2e édition, ed. De Boeck, 2006, Bruxelles, 639 pages).


Toutes les illustrations de cette page sont extraites de « Les tourbières en Bourgogne », Patrimoine naturel de Bourgogne, N°5, 1997