11. Comment restaurer les tourbières ?
11. Comment restaurer les tourbières ?
Plusieurs facteurs participent, ou ont participé, à la dégradation des tourbières (cf. partie Menaces). De ce fait, lorsqu’elles sont dans un état très dégradé de lourds travaux de restauration peuvent être entrepris afin de rendre à ces milieux leurs fonctionnalités écologiques. Plusieurs projets LIFE (L’Instrument Financier pour l’Environnement de la Commission Européenne) ont mobilisé des moyens financiers et humains importants pour la restauration des tourbières wallonnes.
Cette restauration s’articule en trois grandes étapes.
A.Restriction de l’emprise des espèces exogènes ou compétitrices
•Les ligneux
•Les pessières sur tourbe : les plantations d’épicéas (Picea abies) sont exploitées (abattage et vente des arbres) exclusivement sur lit de branches (pour abîmer le moins possible les sols) et ne sont pas replantées.
Exploitation sur lit de branches d’une pessière en vue de la restauration de la tourbière qu’elle recouvre.
Photo : Pascal Ghiette
•Les semis naturels : quelques espèces d’arbres, dont les graines peuvent germer en milieu organique humide, comme le bouleau pubescent (Betula pubescens) ou l’épicéa (Picea abies) peuvent, peu à peu, s’implanter dans les tourbières, entrainant progressivement une fermeture du milieu. Ces arbres, souvent isolés et à croissance médiocre ne sont pas valorisables sur ces sols hydromorphes. En projet de restauration, les plus accessibles sont abattus, les autres sont arrachés, broyés ou annelés.
Abattage d’épicéas isolés (Photo : R. Schumacker) Arrachage de feuillus (Photo : R. Dahmen)
des Tailles
Broyage d’épicéas (Photo : Life Hautes Fagnes) Annelage d’épicéas
(Photo : P. Ghiette)
•Les herbacées
La lutte contre la molinie (Molinia caerulea) se fait soit:
-par fraisage de la végétation et de la couche superficielle de tourbe, avec andainage du broyat perpendiculairement à la pente. Le fraisage, peu onéreux par rapport aux autres méthodes, permet de traiter rapidement de grandes étendues dégradées, en réduisant l’emprise de plantes non désirées (principalement la molinie) et permettant ainsi une diversification de la végétation (éricacées, linaigrettes, laîches, joncs). Mais ces techniques ne suppriment pas complètement le couvert de molinie.
Le fraisage est un travail superficiel de la couche de tourbe dont le but principal est de détruire une végétation monospécifique de molinie afin de permettre aux plantes typiques des tourbières de se redévelopper.
Photos : P. Ghiette (à gauche), Life Hautes Fagnes (à droite)
Après le fraisage, les résidus végétaux sont andainés perpendiculairement à la pente.
Photos : P. Ghiette (à gauche), A. Drèze (à droite)
Des engins à larges chenilles sont utilisés pour tasser le moins possible le sol.
Photos : Life Hautes Fagnes (à gauche), P. Ghiette (à droite)
-par étrépage. Plus radical que le fraisage, l’étrépage est le retrait d’une couche superficielle de sol (environ 10cm) ce qui permet de supprimer les espèces compétitrices telles que la molinie, de réduire la quantité de nutriments présents dans les couches superficielles (azote principalement) et d’améliorer les conditions hydrologiques.
L’étrépage est le retrait d’une couche superficielle de sol dans le but de supprimer la végétation non désirée.
Photos : P. Ghiette
B.Retour à des conditions hydriques favorables
La remise en eau est un des points clef de la restauration des tourbières. La fermeture systématique des réseaux de drains permet, dans de nombreux cas, la ré-humidification des sols alentours. Le développement des sphaignes est alors généralement très rapide.
Photo : A. Drèze
Parfois, lors de fortes dégradations, on recommande la construction de mini-barrages qui permettent une inondation restreinte (20 cm) en hiver.
Remise sous eau et nouvelle dynamique de colonisation grâce à de mini-barrages.
Photo : A. Drèze
L'ouverture de trous d'eau (mares) permet une nouvelle dynamique au sein de tourbières basses.
Pour les tourbières hautes (ombrogènes) dégradées, un décapage étrépage peut être entrepris. L’objectif est alors double; éliminer la végétation compétitrice, principalement la molinie et la couche de tourbe superficielle fortement minéralisée, tout en ramenant la surface à un niveau proche du niveau moyen de fluctuation de la nappe perchée.
L’étude des fluctuations de la nappe perchée par piézométrie se révèle donc un préliminaire indispensable.
A gauche décapage d’une zone à la rétro pelleteuse sur plateau en 1999; à droite, la même zone recolonisée par les espèces caractéristiques des tourbières, dix ans après, en 2009.
Photos : P. Ghiette
Ensemble de zones décapées, partiellement recouvertes d’eau.
Photo : A. Drèze
Dans le cas d’anciens sites d’exploitation de tourbe, un reprofilage complet du front d’exploitation peut être réalisé, même si cette opération est particulièrement coûteuse.
Dolomède (Dolomedes fimbrinatus)
Photo : Pascal Ghiette
Ancien front d’exploitation (a gauche) et front d’exploitation reprofilé (à droite)
Photos : P. Ghiette
C. Retour des espèces végétales indigènes
Dans de nombreux cas, le retour des espèces végétales caractéristiques se fait naturellement grâce aux banques de graines présentes dans le sol. Lorsque les ligneux et les espèces compétitrices telles que la molinie sont retirés, les sites peuvent présenter une capacité d’auto régénération importante.
Dans des sites très dégradés, après la mise à nu de surfaces importantes par décapage, il est nécessaire d’initier la recolonisation par la réimplantation de quelques espèces pionnières. Les repiquages de linaigrettes et le dépôt de fragments de sphaignes sont pratiqués avec succès en Belgique.
Préparation de broyat de sphaignes et repiquage de linaigrettes.
La pose éventuelle d’un couvert protecteur (paille) peut favoriser la survie des sphaignes et des linaigrettes repiquées.
Le paillage de certaines zones favorise la survie des plantes repiquées.
Photo : P. Ghiette
D.Résultats
Une restauration bien menée permet d’obtenir en peu de temps des résultats spectaculaires et de retrouver des tourbières dans un très bon état écologique. Voici quelques exemples :
Anneler, v. = technique consistant à arracher l’écorce et l’aubier d’un arbre tout autour du tronc sur une faible hauteur. Le transport de sève étant interrompu, l’arbre meurt rapidement.
Piézométrie, subst. f. = mesure des pressions, exprimée en hauteur de colonne d’eau, ce qui permet de connaitre le niveau de la nappe perchée.
Ci contre la tourbière de Sourbrodt (Waimes) restaurée par le projet LIFE Hautes Fagnes; juste après sa restauration (en haut, puis deux ans plus tard (en bas).
Photos : Roger HERMAN- "Les Amis de la Fagne" - Verviers.
Site dégradé, asséché, envahis de molinie (Molinia careulea) avant remise sous eau, en 2001.
Photo : P. Ghiette
Le même site, lors de sa mise sous eau en 2002.
Photo : P. Ghiette
Cinq ans plus tard, les sphaignes (Sphagnum spp.) et les linaigrettes (Eriophorum vaginatum et Eriophorum angustifolium)ont commmencé à recoloniser le milieu. La molinie (Molinia careulea) a fortement régressé.
Photo : P. Ghiette