6. Comment évolue une tourbière ?
6. Comment évolue une tourbière ?
L'histoire commence au pied des derniers glaciers, là où le sol détrempé et remodelé par les glaces va à nouveau accueillir la vie végétale et animale. Toute cette eau, piégée par la topographie dans de petites dépressions ou des mares, et par une couche inférieure imperméable, constitue le point de départ de l'évolution de la tourbière, qui va tendre irrémédiablement vers l'assèchement … en plusieurs milliers d’années !
La tourbière se constitue peu à peu par:
- paludification : établissement d’une couche de végétation flottante qui retient l’eau
-par atterrissement : le plan d’eau se comble progressivement par la tourbe formée par la végétation.
Voici en cinq images (forcément synthétiques), 15 000 ans d'histoire d'une tourbière, de sa naissance jusqu'à aujourd'hui.
L'évolution d'une tourbière passe par 5 phases : l'eau libre, le radeau flottant, le tremblant, le bombage et l'affaissement.
A. L’eau libre
Partout où la topographie le permet, l'eau de fonte s'accumule. Il se forme des lacs si la dépression est bien marquée, mais il peut s'agir aussi de fonds plats mal drainés où l'eau paresse. Dans ces eaux froides oligotrophes, il n'y a presque rien qui pousse (des algues diatomées, des renoncules aquatiques...).
B. Le stade pionnier
Au début de grosses touffes de laîches (Carex spp.) forment une ceinture végétale, puis des Sphaignes (Sphagnum spp.) s'installent entre ces touradons.
C'est le point de départ d'une colonisation qui va former un tapis végétal non enraciné sur le fond mais fixé aux rives et progressant en surface. Peu à peu, des plantes à longs rhizomes vont venir consolider ce premier radeau. Les laîches (Carex spp.), le trèfle d’eau (Menyanthes trifoliata) et le lys des marais (Narthecium ossifragum) constituent ce groupement pionnier. Il est appelé radeau flottant.
C. Le tremblant ou tourbière flottante
La matière organique issue des plantes aquatiques se décompose mal dans l'eau froide, elle s'accumule. Peu à peu, le radeau s'épaissit et évolue sur l'eau libre. La végétation se transforme, elle se compose en grande partie de trèfle d'eau (Menyanthes trifoliata) et de comaret (Comarum palustre), des plantes à rhizomes. Quelques sous-abrisseaux de petite taille tels que la canneberge (Vaccinium oxycoccos) et l'andromède (Andromeda polifolia) enrichissent ce tapis végétal. Plusieurs espèces spectaculaires, droséra (Drosera rotundifolia, une plante carnivore !), linaigrettes (Eriophorum spp.) et violette des marais (Viola palustris) viennent s'y ajouter. S'aventurer sur ces tremblants peut être une expérience intéressante mais non sans danger car le radeau est fragile et peut se rompre sous la charge !
Peu à peu le radeau s'épaissit, grâce notamment à certaines sphaignes qui forment des coussinets piégeant l'eau atmosphérique. On a alors les tremblants ou radeaux flottants de « haut-marais ». C'est la période la plus productive de tourbe.
D. Le bombage ou tourbière haute
Les sphaignes continuent à coloniser horizontalement et verticalement cet écosystème particulier jusqu'au comblement de la cuvette où se trouve la tourbière. Sous ce tapis végétal vivant, une matière brunâtre ou jaunâtre, imbibée d'eau s’accumule, c'est la tourbe. L'eau remonte par capillarité et le processus de turbification s'accentue. Une ou plusieurs buttes se forment alors puis augmentent de taille : c'est ce qu'on appelle le bombage.
La croissance de la tourbière devient alors centrifuge. La périphérie est encore en eau alors que la partie centrale s'assèche peu à peu. C'est ce qui explique pourquoi on trouve côte à côte des plantes hydrophytes et xérophytes (callune, genévrier). La tourbière se « bombe » tellement que l'eau d'origine (celle de la mare) est maintenant à plusieurs mètres en dessous, inutilisée. Seule l'eau atmosphérique (pluie, neige, brouillard), plus acide, est utilisée par les plantes. Cette croissance s'arrête quand il n'y a plus d'eau libre.
A ce moment, toute la tourbe a été élaborée. On trouve de nombreuses espèces résistant mieux à ce léger assèchement superficiel: linaigrette engainée (Eriophorum vaginatum), myrtille aux loups (Vaccinium uliginosum), callune (Calluna vulgaris), bruyère quaternée (Erica tetralix), camarine noire (Empetrum nigrum)...
E. L'affaissement
Toute cette masse de tourbe se tasse, creusant des « gouilles » (mares) par endroits, la tourbière s'assèche lentement. A la surface du sol, plus sèche, la tourbe se décompose et se minéralise, attirant des plantes nouvelles : lichens (dont de nombreuses espèces de Cladonia), sphaignes des milieux plus secs, graminées cespiteuses formant de grosses touffes appelées touradons comme la molinie (Molinia caerulea), quelques arbres (bouleau, saules, épicéa), des Ericacées (callune, myrtille, airelle) et la camarine.
Par endroits, l'homme exploite la tourbe pour ses besoins familiaux. En tourbière basse, les trous d'exploitation se remplissent d'eau ce qui crée des dynamiques secondaires de recolonisation. Selon les lieux et les climats, la tourbière se couvrira de pins, d’épicéas, de bouleaux, de genévriers... voire d'une forêt, ou bien deviendra une lande à bruyères, suite à la minéralisation du sol.
Toutes les illustrations de cette page sont extraites de « Les tourbières - au pays des plantes carnivores », Ph. Dalbavie & J.-Ph. Solleliet, Espace et recherches, Beaumont, 1994
Cespiteux, adj. m. inv. = qui pousse en touffe dense (source : Romaric Forêt, Dico de Bio, 2e édition, ed. De Boeck, 2006, Bruxelles, 639 pages).
Hydrophyte, subst. féminin (gr hydro : «eau» et phyt : «plante» = plante aquatique dont les organes assurant la multiplication passent l’hiver sous la surface de l’eau (source : Romaric Forêt, Dico de Bio, 2e édition, ed. De Boeck, 2006, Bruxelles, 639 pages).
Oligotrophe, subst. féminin (gr. oligo : «peu» et trophein : « nourrir ») = se dit d’un biotope pauvre en éléments nutritifs (source : Romaric Forêt, Dico de Bio, 2e édition, ed. De Boeck, 2006, Bruxelles, 639 pages).
Rhizome, n. m. = tige souterraine de certaines plantes pérennes (ex : muguet,…)
Touradon, n. m. = terme botanique pour désigner une morphologie végétale entre 40 et 60 cm de haut que l'on retrouve dans certaines tourbières ou zones humides paratourbeuses. Le touradon est composé de l’accumulation d’une plante qui repousse à partir de ses racines et par-dessus les feuilles mortes en décomposition (source: dictionnaire environnement, actu-environnement.com, consulté le 29-01-2014).
Turbification, n. f. = désigne la formation naturelle des tourbières.
Xérophyte, subst. féminin (gr xéro : «sec» et phyt : «plante») = plante vivant dans des lieux secs (source : Romaric Forêt, Dico de Bio, 2e édition, ed. De Boeck, 2006, Bruxelles, 639 pages).