La chauve-souris, responsable du Coronavirus? Pas sûr !
par Frédéric Laugrand, chercheur au sein du Laboratoire d’anthropologie prospective, professeur à l’UCLouvain
Depuis le début de la pandémie, la chauve-souris est accusée d’avoir transmis le virus du SARS-Cov-2 à l’humain. Vrai ? En dépit d’un génome dont la structure est à 96% identique, aucune preuve scientifique ne permet encore de l’affirmer avec certitude. Par contre, le chiroptère pourrait être un allié précieux pour lutter contre le désastre écologique que nous vivons. Certains peuples autochtones des Philippines et d’Océanie vivent depuis longtemps avec la chauve-souris. Ils la respecte. L’anthropologue Frédéric Laugrand a rencontré plusieurs de ces ethnies. (dessein de Diniaté Pooda, in Miclèle Cros )
Pourquoi les chauves-souris sont-elles montrées du doigt aujourd’hui? « Dans n’importe quel type de crise ou de pandémie, la recherche d’un coupable est un réflexe, une réaction typique de la sidération. Assommés par ce qu’ils vivent, les gens tentent de trouver un bouc émissaire », explique Frédéric Laugrand, chercheur au sein du Laboratoire d’anthropologie prospective de l’UCLouvain. La chauve-souris a réveillé un imaginaire profondément ancré dans nos esprits. Elle apparait depuis longtemps comme monstrueuse et maléfique.
Pour des raisons physiologiques et biologiques, la chauve-souris est, certes, une espèce réservoir de nombreux virus transmissibles à l’homme comme la rage, les lyssavirus, le syndrome respiratoire (sras) ou Ebola. Mais bien d’autres animaux le sont aussi. On a toutefois immédiatement accusé la chauve-souris d’être responsable de la pandémie du Covid-19, sans preuve scientifique. Détestée, certains ont voulu l’éliminer. En Asie, des peuples autochtones qui vivent au contact de ces animaux voient les choses bien différemment. Ils considèrent les chauves-souris, appelées aussi roussettes, comme de précieuses alliées. Certains en ont fait un animal de compagnie, d’autres s’en inspirent dans les rituels d’initiation. Les Aborigènes d’Australie l’incluent dans leurs systèmes de parenté. A Samoa elle est une divinité.
Une espèce respectée
Avec son équipe, Frédéric Laugrand travaille depuis plusieurs années à documenter les savoirs des populations autochtones des Philippines et de l’Austronésie. Il a étudié plus spécifiquement les pratiques de quelques groupes qui côtoient depuis très longtemps ces mammifères volants, en montagne, en bord de mer ou dans les plaines. « Je me suis aperçu que les chauves-souris jouaient un rôle important dans plusieurs de ces sociétés », explique l’anthropologue. Les Alangans sont des chasseurs. Ils vivent sur l’île de Mindoro, dans des espaces forestiers ou agricoles. Pour eux, les chauves-souris sont présentées en termes de coopération. Elles font tomber des fruits qui leur sont autrement inaccessibles et aident à la reforestation grâce à leurs excréments. « Leur viande est considérée comme exceptionnelle sur le plan du goût mais surtout parce qu’elle régénère le corps et l’esprit. Elle purifie et vivifie la personne ». Les chauves-souris rendent service parce qu’elles pollinisent et reforestent. Elles enrichissent le biotope et préservent l’environnement. Elles doivent donc être respectées. Les Aytas vivent au nord des Philippines, près d’une ancienne base militaire. L’espace a été protégé pendant de nombreuses années. La biodiversité y est probablement restée plus importante. Cette population est en contact avec de nombreuses espèces de chauves-souris. « Les Aytas les considèrent comme faisant partie de leur propre monde, habitant la même maison, c’est-à-dire la forêt. Ils les consomment car elles sont bénéfiques pour la vitalité humaine. Leur sang régénère l’organisme et le cerveau ». Des qualités bien éloignées de celles que les Occidentaux prêtent à ces animaux dont ils se méfient.
Le vivre ensemble
Les autochtones d’Asie qui cohabitent harmonieusement avec les chauves-souris ont beaucoup à nous apprendre. Sur le plan de la biologie et de l’éthologie notamment, mais aussi pour comprendre comment se protéger des maladies zoonotiques. Dans le cas précis de la pandémie du Covid-19, on a soupçonné le pangolin d’être l’animal hôte intermédiaire de la chauve-souris avant d’atteindre l’humain. Cette hypothèse est aujourd’hui mise à l’écart. « Pour comprendre les zoonoses, il est fondamental d’étudier à la fois les relations interspécifiques des chauves-souris, c’est-à-dire les rapports qu’elles entretiennent avec les hommes et d’autres animaux, et les savoirs des humains » explique l’expert. Observer dans quelles conditions certaines populations vivent au contact des chauves-souris permet d’évaluer la dangerosité de cette proximité. « Le défi est de comprendre comment vivre ensemble. Les autochtones ont une vision particulière de ce que nous appelons la nature. Celle-ci fait partie intégrante de leur vie. Ils ont conscience que l’humain est vulnérable. Il n’est qu’un maillon parmi d’autres dans une chaîne de relations. La Covid-19 nous le rappelle : nous ne sommes pas seuls, indépendants et préservés des virus. Nous sommes interdépendants ».
Une alliée précieuse
Plusieurs espèces de chauves-souris sont aujourd’hui menacées. En cause ? La diminution de la biodiversité dans le monde, la surpopulation, l’urbanisation, la destruction des milieux à des fins d’exploitation. Selon Frédéric Laugrand, l’homme devrait protéger ces animaux pour leur aide efficace à la restauration d’environnements dévastés.
« Aussi parce qu’ils détruisent des insectes vecteurs de terribles zoonoses comme la malaria », précise-t-il. « Qu’elle soit insectivore ou fructivore, la chauve-souris est une alliée précieuse. Elle enrichit la biodiversité de manière considérable et diminue du même coup le risque de propagation des virus à l’humain ». De plus, les virologues découvrent ces animaux comme des modèles d’immunité aux capacités extraordinaires. Par exemple ? Leur longévité est supérieure à celle d’autres mammifères de même taille. Les chauves-souris ont également une capacité exceptionnelle à contrôler les infections virales. « Paradoxalement, elles hébergent de nombreux virus mais sont capables de tolérer ces infections et disposent d’un mécanisme pour contenir les réactions inflammatoires ». Les chiroptères savent également réparer leur ADN. « Les chauves-souris atténuent le stress oxydatif et ignorent la carcinogénèse. Ce sont des pouvoirs qui devraient intéresser les humains à une époque où les cancers et autres maladies de ce genre sont extrêmement communes ». Alors, pourquoi ne pas sortir de l’imaginaire ? Considérer la chauve-souris non plus comme un « vilain épidémique » mais plutôt une « espèce compagne » ?
« Ces animaux peuvent nous aider à trouver des solutions aux problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui comme la crise écologique ou les questions d’immunité. L’idée d’’une alliance protectrice m’intéresse. Il faut mieux comprendre les chauves-souris et s’assurer de leur présence. Nous oublions que nous sommes probablement, nous humains, les véritables responsables de cette pandémie et d’un désastre environnemental sans précédent. Nous détruisons la biodiversité et nous en subissons les effets ».
Les éditions du Centre national de recherche scientifique (CNRS) viennent de publier un ouvrage collectif (2021) Les chauves-souris Aux frontières entre les espèces relatif à ce travail de Frédéric Laugrand : sous la direction de Frédéric Keck, Arnaud Morvan