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Movimenti a Palermo

À Palerme, en Sicile, des photographies ethnographiques arborent les murs du quartier de Ballarò. L’exposition « Movimenti a Palermo » est réalisée dans le cadre de la recherche de Valentin Bert. La thèse est financée par la bourse FRESH du FNRS. Depuis le samedi 11 mai 2024, les différentes photos sont visibles à la Via Giuseppe Mario Puglia, en face de Moltivolti.

Ce projet représente la ville de Palerme sous ses différentes formes. Plutôt que de chercher à voir les transformations de la capitale de la Sicile sous un seul angle, l’ethnographie permet de comprendre qu’une procession religieuse, une manifestation féministe, des pigeons volants près des poubelles, une partie de scopa  ou un groupe de jeunes en mobylettes sont des objets (re-)créant du sens pour les Palermitains et Palermitaines.

Palerme est une ville ségrégée d’un aspect économique et culturel, mais où différents groupes cohabitent. Ainsi d’un regard rapide ou d’une écoute attentive, les personnes comprennent rapidement qui vous êtes et d’où vous venez, simplement en écoutant l’accent, en voyant les gestes et les mouvements. L’extrême droite au pouvoir bouscule et fragilise les rapports entre les différents groupes précarisés et privilégiés. Les politiques économiques comme la diminution drastique du droit au reddito di cittadinanza [un revenu de base] paupérisent toute une partie de la population déjà vulnérable. Ceci renforce la filière des métiers informels, principalement contrôlée par la Mafia. Dans un même mouvement, certains hommes sont insécurisés car ils ne peuvent plus toujours réaliser ce que l’on attend d’eux, comme subvenir au besoin économique de la famille, mais aussi parce que la domination masculine est remise en question. Être un maschio [un mâle] est une identité sicilienne, des valeurs qu’ils cherchent à maintenir dans une société en transformation. Une résistance face à des rapports de pouvoirs changeants. Ces mêmes politiques affectent les hommes en situation de migration qui sont eux aussi précarisés par leur statut institutionnel illégal et par leur couleur de peau. Dans une position incertaine, ils doivent accepter le travail lié au banditisme, mais en plus de cela, le risque de se faire agresser, voler ou tuer, car l’État n’agit pas pour eux ou parce qu’ils ont peur d’être en contact avec celui-ci par crainte d’être renvoyé. 

Ensuite, le gouvernement augmente la présence des forces de l’ordre dans les rues. Pourtant, les Palermitains et Palermitaines ne se sentent pas en sécurité. Au contraire, l’État semble loin, absent : on ne ramasse pas les déchets, la Police ne serait là que pour certaines parties de la population et ne défend pas les gens. La justice populaire et rapide des quartiers précarisés est réprimandée par la Police et la justice institutionnelle. L’identité des civilizzati, educati, puzza sotto l’nazo, snob [civilisé, éduqué, l’odeur sous le nez, les snobs] se construit en opposition aux bassa-classe, selvaggi, tascio, i ragazzi di colori [basse-classe, les sauvages, les kékés, les gens de couleurs]. Dans ces transformations, ces différents groupes se retrouvent en opposition, en plus du fait que le tourisme de masse amène en ville des touristes qui ne sont pas toujours bien vu. Les insultes, les agressions, le maintien d’habitudes transmises par les parents comme la participation aux confraternita [fraternités], faire du bruit, servent à plusieurs éléments. Cela permet par exemple de gagner de l’argent en surjouant une sicilianité pour les touristes sur les marchés et dans les magasins. Ensuite, cela permet de transmettre des habitudes, d’actualiser une identité commune et de maintenir des modes, de faire la cuisine, les fêtes, les musiques que l’on écoute, la manière de s’habiller et de parler. La langue sicilienne est d’ailleurs intéressante pour cela. À Palerme, le sicilien ou le palermitain sont des langues vues comme celles des gens non éduqués, indietro, terra-terra [en arrière, terre à terre] alors que l’italien est le symbole des gens éduqués et modernes. 

Enfin, les mouvements féministes mais aussi les femmes des quartiers populaires n’acceptent plus la violence masculine. Les femmes ne se sentent pas en sûreté. Alors que la présence policière augmente, elle est considérée absente, et la justice ne soutient pas les femmes. La réputation permet de se tenir éloigner des quartiers ou des familles que les gens ne doivent pas côtoyer. Elle s’articule avec la vendetta  [vengeance visant à rétablir l’honneur d’un nom de famille ou d’une personne] mais la justice institutionnelle remet en question ce mode de faire justice. Les hommes plus privilégiés adoptent un discours nommé féministe, se présentant comme alliés, en opposition aux hommes des quartiers populaires qui sont selvaggi [sauvages], in diettro [en arrière]. Ainsi, en remettant en doute une manière de faire justice ou une manière d’être homme, ils adaptent leurs discours pour être bien vus tout en maintenant une position dominante. De plus, Les LGBTQIA+ militent dans la rue pour lutter à la fois contre les politiques d’extrême droite comme les lois discriminant les familles homoparentales, mais aussi contre les violences faites aux femmes.

Cette exposition permet de mettre en image ces différents croisements, mouvements et groupes qui coexistent dans une ville. Dans une même logique, l’exposition est disponible dans les rues de Palerme, car c’est un passage emprunté par des personnes de différents horizons. L’exposition se terminera quand Palerme aura décidé de digérer les photos, que cela soit par la disparition, la dégradation, ou le vol ou qu’une autre exposition soit proposée.