Femmes invincibles et résistantes au sein de la résistance locale Maï-Maï
Kalambi BISIMWA BULANGALIRE (doctorant en Sciences Politiques et Sociales à l’UCLouvain et Chercheur au Laboratoire d’Anthropologie Prospective (LAAP) ; travaille sur les violences de genre et les conflits au Sud-Kivu (Bukavu et Uvira)
L’est de la République démocratique du Congo est un espace propice aux violences armées et communautaires. Cet espace est le lit de prédations, d’exploitations illégales des minerais de sang, de viols massifs et de rébellions étrangères et locales des groupes armés. Plusieurs chercheurs analysent les liens entre les conflits, les groupes armés et les statuts des femmes. Leurs conclusions se rallient derrière le paradigme unidirectionnel des ‘femmes victimes’ pendant et après le conflit. Ce paradigme analyse la féminité sous la posture de viols des femmes comme outils de guerre. Cependant, des ethnologues féministes mettent à l’épicentre de leurs réflexions la réhabilitation des femmes comme actrices sociales (Mathieu,1985 : 7). Notre constat empirico-théorique montre également les limites d’une appréhension des femmes congolaises comme étant uniquement victimes. Ce regard empirique intègre de nouvelles pistes de recherche qui articulent deux postures : le paradigme de ‘femme victime’ et celui de ‘femme actrice’ dans la résistance locale Maï-Maï. Ces lunettes socio-anthropologiques permettent de saisir la complexité des jeux d’acteurs dans les violences armées. La participation (in)volontaire des femmes (filles) est manifeste dans les réseaux de résistance locale au Sud-Kivu. Cet engagement féminin à la radicalisation des violences armées et communautaire est cependant invisible et méconnu. Pour s’en rendre compte, trois points seront abordés dans cet article : la complexité du phénomène Maï-Maï, la construction sociale des inégalités de sexe au sein de la résistance locale Maï-Maï et enfin, la figure de la femme ‘invincible’.
1. Maï-Maï : une réalité complexe à saisir dans le champ scientifique
Le territoire d’Uvira, là où je mène mes recherches se situe au Sud-Kivu, à l’est de la République démocratique du Congo. Il est marqué depuis les années 60 par un contexte sociopolitique volatile, des violences et des crises humanitaires. Il reste assujetti à l’instabilité politique, la mauvaise gouvernance, la violation massive des droits humains au pays. Il s’en suit des crises électorales et humanitaires ainsi que la dégradation des conditions de vie des populations. Ce territoire connait un problème d’intégration et de rejet des communautés dites allochtones ‘Tutsis Banyamulenges’. C’est sous ce prétexte que les Maï-Maï (litt. eau sacrée) ont surgi comme une résistance populaire locale à l’occupation des troupes étrangères rwandaises, burundaises et ougandaises sous l’égide de Laurent Désiré Kabila. L’agression successive de ce territoire par l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) et le RCD-Goma est perçue par les communautés dites autochtones (Bafuliiru, Bavira) comme une menace. Aujourd’hui, les espaces Maï-Maï constituent une réalité complexe. Dans les médias, journaux, rapports, articles et ouvrages, ils sont décrits, à la fois, comme l’expression de l’autochtonie tribale, ethnicisée, une résistance patriotique à l’impérialisme et un mouvement de participation politique. Ils sont aussi perçus comme un espace d’intégration et d’ascension sociale des cadets sociaux. Les Maï-Maï peuvent être considérés comme des acteurs symptomatiques de la violence et des crises humanitaires que connait la région. Ils sont enfin appréhendés comme des mafias, au service de la gouvernance de prédation et de l’économie souterraine. Des éléments les structurent, tel le recours aux pratiques magiques, à l’initiation et la revendication de l’autodéfense communautaire. Les Maï-Maï sont auteurs des violences de genre, des pillages, des meurtres, assassinats ciblés, etc.
2. Repenser les Maï-Maï : champ de construction sociale des inégalités des sexes
Entre 1996-1998, la campagne ‘Kuingiya Mupori’ en swahili (litt. entrer dans la forêt) rencontre l’assentiment et la mobilisation populaires. Celle-ci (campagne) emporte aussi bien les jeunes, les adultes (hommes et femmes) que les leaders locaux (les chefs coutumiers, les chefs religieux), etc. Cette résistance populaire est une stratégie locale face aux massacres et à l’impérialisme étranger. En raison de vengeance et de protection, les paysans adhèrent massivement et aveuglement à l’idéologie des initiateurs Maï-Maï. Ils mettent à leur disposition, le patrimoine culturel de la magie et des outils de guerre (machettes, lances, arcs, pierres). Les croyances magico-religieuses Maï-Maï sont hostiles à la participation directe des femmes à la résistance locale. Les rites sont de véritables écoles de virilisation où les normes sexistes et les codes de conduite sont intériorisés par les combattants. Ces espaces valorisent le modèle du patriarcat et la logique androcentrique pour la production de grands hommes ‘seigneurs de guerre’.
La participation directe à la lutte armée parait dès lors incompatible avec la condition féminine. Ceci dit, les femmes et filles nubiles sont soumises à des rites de déféminisation et de purification en vue de participer à ces espaces guerriers d’être dotées du pouvoir d’invincibilité et de virilité. omment mesurer la radicalisation des femmes dans les violences armées et communautaires en RDC ? Le point ci-dessous décrit cette participation féminine.
3. Femmes invincibles Maï-Maï : de quoi parle-t-on ?
Dans les conflits et les violences contemporains en territoire d’Uvira, s’observent la reconfiguration des rapports de genre. Bien que les attributs dit féminins soient l’objet de diabolisation et de mythes dans les structures Maï-Maï, les femmes en font parties. Elles sont des partenaires incontournables de ces milices devenues incontrôlables. Ce qui nous permet de rejoindre l’idée selon laquelle les femmes, hier comme aujourd’hui, prennent part aux conflits (Maquet, 2020 : 32). Et cela, malgré les pratiques discriminatoires et les violences dont elles sont victimes au quotidien. La plupart de temps, leurs succès passent néanmoins inaperçus et sont invisibilisés (Morgan Smith, 2016 : 9). A partir de mes démarches empiriques, j’ai observé la participation (in)volontaire et de collaboration des femmes avec les milices Maï-Maï. Selon leurs âges, elles peuvent servir dans l’économie souterraine, l’effort de guerre et les stratégies de ravitaillement (cure alimentaire, potion magique, munitions), d’espionnage, de relais communicationnel, d’hébergement des combattants en mission ou en débandade, de prophéties, de menaces sorcellaires, etc. Ces différents rôles joués par les femmes pendant et après l’occupation étrangère permettent d’analyser les femmes en tant qu’actrices sociales de la résistance et de la violence.
Enfin, cette recherche ouvre de nouvelles pistes de réflexion pour appréhender les enjeux de féminité dans une perspective socio-anthropologique sur un terrain congolais. Elle se donne l’objectif de mettre en lumière trois axes de recherche (1) les imaginaires collectifs des Maï-Maï quant à la féminité ; (2) la construction des différences et des hiérarchies entre hommes et femmes et enfin, (3) la description des parcours de vie (trajectoires des Mérida).
Bibliographie
D. Maquet (2020), « Les arts martiaux au féminin. La représentation des femmes dans les livres de combat », M. Poirson (S/d), Combattantes. Une histoire de la violence féminine en occident, Paris, Seuil.
E. Morgan Smith (2016), « Préambule », J. Mazzocchetti et M-P Nyatanyi Biyiha (S/d), Plurielles, Femmes de la diaspora africaine, Paris, Karthala.
N-C. Mathieu (1985), « L’arraisonnement des femmes : essais en anthropologie des sexes », Cahiers de l’Homme : ethnologie-géographie-linguistique, Paris, Ed. Ecole des Hautes études en Sciences Sociale, nouvelle série,24.