Regarder la profession infirmière « par-dessus les épaules » des étudiants : échos d’une recherche en cours
Par Laurent Hayot (stagiaire LAAP)
Christine GRARD (Anthropologue et Infirmière enseignante), Channel BAQUET (Anthropologue, titulaire d’un bachelier en philosophie et assistante de recherche au LAAP) et Erica LYNCA MUGISHA (Anthropologue, titulaire d’un master en communication et assistante de recherche au LAAP) travaillent sur le monde infirmier en contexte de pénurie de personnel soignant.
Depuis quelques années, la Belgique est touchée par une diminution du nombre du personnel soignant. À cette situation, s’est ajoutée l’apparition de la Covid-19 qui a bouleversé la manière de vivre de chaque individu apportant ainsi son lot de conséquences auxquelles la société a dû faire face. Ce contexte a mis en exergue les difficultés que vivent les étudiantes et les étudiants infirmiers qui réalisent leurs stages au sein du monde des soins de santé.
Dans leur recherche, ces trois chercheuses se sont concentrées sur la place qu’occupent les étudiants dans ce contexte de pénurie touchant la profession d’infirmière et d’infirmier en première ligne de front pour apporter les soins nécessaires aux malades et notamment durant la crise de la Covid, ainsi que sur les conséquences de la pandémie sur la désertion de la profession infirmière et sur les violences plurielles qui ont cours pendant les stages.
1. Pénurie de personnel soignant
Derrières les vécus difficiles des infirmiers et des infirmières se cache la diminution régulière et ancienne du nombre d’effectif infirmier dans le système des soins de santé en Belgique, qui fait notamment suite à l’abandon des études en soins infirmiers ainsi qu’à la désertion de la profession.
La lassitude et la fatigue sont des conséquences directes de la charge de travail qui augmente dans un contexte de sous-effectif grandissant dans le secteur des soins de santé. La covid-19 n’a pas arrangé les choses et est venue ajouter du travail en plus à un personnel soignant déjà bien occupé et donc de moins en moins disponible pour accompagner les étudiants. Les décisions politiques liées à la Covid ont aussi impacté le personnel qui attendait une gestion de la crise plus adaptée qui aurait pris en compte sa situation déjà difficile et une fois encore celui-ci ne s’est pas senti entendu.
2. Enjeux du vécu des étudiants sur la société
Les étudiants en soins infirmiers quant à eux vivent et subissent des situations de violence qui sont autant physiques que psychiques. En effet, quand ils sont en stage dans une institution de soins, ceux-ci sont sujets à des discriminations et sont souvent relégués à des tâches peu formatrices ainsi que peu valorisantes alors qu’ils sont dans un environnement censé leur amener de l’expérience et leur montrer ce qu’est la profession et le quotidien du personnel soignant dans l’exercice de ses fonctions. De plus, les personnes qui les encadrent, délèguent donc davantage aux étudiants, mais sans laisser la possibilité à ces derniers de se former dans des conditions favorables à l’apprentissage. Cela entache l’image qu’ils se font de leur future profession et les décourage davantage à poursuivre dans cette voie.
3. Appel à une prise en compte de l’humain dans le monde soignant
Le monde infirmier de manière globale demande des politiques publiques qui prendraient davantage en compte l’humain qui est au centre du système de soins de santé. Ce ne sont pas uniquement les patients qui sont concernés par les violences notamment institutionnelles et leurs conséquences, mais également les étudiants et les infirmiers (ou plus généralement les soignants) qui sont, eux aussi des humains, qui ont besoin d’être pris en compte afin que soient préservées leur santé et leur intégrité. Cette recherche vise à proposer des pistes pour répondre de manière adéquate à la désertion des études en soins infirmiers et de la profession infirmière. L’enjeu est de réfléchir à la formation pratique proposée aux étudiants qui désirent devenir infirmières et infirmiers. Quel profil de soignants, quel système de santé et quelles valeurs sociétales souhaitons-nous promouvoir à l’avenir ?