Projet de recherche
HANDLING est un projet radicalement interdisciplinaire sur le maniement des images matérielles par les écrivains. C’est une recherche ambitieuse pensée comme une enquête dans les coulisses de la littérature, avec les outils de l’anthropologie visuelle et des études visuelles. En abordant les environnements visuels des écrivains comme un écosystème, HANDLING entend penser la création littéraire comme un phénomène intermédial. Les pratiques iconographiques d’hier éclairent les pratiques iconographiques d’aujourd’hui, comme les gestes des écrivains avec les images éclairent les gestes de tout un chacun.
Ce projet comporte trois volets complémentaires, qui correspondent aux étapes successives dans la façon d’envisager la question :
VIDEO D’ANNE REVERSEAU SUR LE PROJET HANDLING.
CORPUS
La première étape de ce programme de recherche est une phénoménologie des gestes que les écrivains font avec les images concrètes qu’ils ont en main, c’est-à-dire la façon dont ils collectent, classent, agencent, épinglent, utilisent et font circuler photographies, reproductions d’art, cartes postales, prospectus et autres images vernaculaires, qu’elles soient volantes ou brochées, sur papier ou sur écran. La constitution, par les écrivains, de collections, d’albums, de murs d’images ou d’environnements de travail saturés d’images est donc au cœur du projet de recherche.
On trouve ainsi dans le corpus des amateurs et collectionneurs de reproductions d’art (Huysmans, Michaux, Leiris, par ex.), de cartes postales (Eluard, Tzara, Éric Suchère), de prospectus de voyage (André Beucler), d’images publicitaires (Léon-Paul Fargue), de portraits (Scutenaire), de caricatures militaires (Mac Orlan), de murs d’images (Loti, Breton, Valère Novarina, Philippe de Jonckheere, par ex.) dont certains à valeur commémorative (Aragon, à la mort d’Elsa, ou Gary, à la fin de sa vie), de bibliothèques garnies d’images (Butor, Guibert), d’écrits intimes truffés d’images (Bauchau, par ex.) ou de manuscrits truffés (Arcane 17 de Breton, Portes de Sadoul). Y figurent aussi des écrivains ayant utilisé explicitement des images comme incipit (Roussel, Supervielle, Christine Jeanney, par ex.) ou comme source d’inspiration fictionnelle (Martin du Gard, Yannick Haenel, par ex.), des auteurs d’ouvrages illustrés à la composition desquels ils ont collaboré (Rodenbach, Mesens, Cendrars, Claude Roy, Barthes, Denis Roche) auxquels s’ajoutent des auteurs qui mettent en avant leur activité d’iconographe (Elsa Triolet, Nicolas Bouvier, Sarah-Maude Beauchesne, qui prend un grand soin à trouver ou commander des images pour accompagner ses textes). Parmi tous ces écrivains, la plupart cumulent plusieurs types de pratiques. S’ajoutent à ce corpus francophone les cas d’écrivains anglais (Roland Penrose), espagnols (Ramón Gómez de la Serna) ou encore italiens (Italo Calvino, Leonardo Sciascia), qui viennent en contrepoints nourrir cette recherche.
S’il est centré sur le domaine francophone, le projet présente en effet une dimension théorique et méthodologique qui le destine à servir à des recherches comparatives et collaboratives plus larges.
La période envisagée s’étend de la fin du XIXe siècle – correspondant à une phase de « trivialisation » des images, de plus en plus accessibles – jusqu’à l’époque contemporaine et les bouleversements induits par les images numériques, leur production, leur circulation et leur appropriation.
Un des défis de cet empan chronologique large est de faire la généalogie des pratiques iconographiques contemporaines. Parce que les mutations contemporaines doivent être historicisées, ce projet fait le choix de se pencher, de façon archéologique, sur l’histoire de nos pratiques, en prenant comme exemple, ou plutôt comme terrain, les écrivains.
ENJEUX
Mettre le visuel au centre des études littéraires peut paraître paradoxal. Il s’agit en réalité de repenser l’histoire littéraire par le biais de la culture matérielle des écrivains. Il s’agit autant de montrer le rôle du visuel dans la littérature que celui des écrivains dans la culture visuelle. En faisant l’histoire du maniement, de la manutention et de la manipulation des images par les écrivains, cette recherche permettra de saisir la complexité des phénomènes intermédiaux jusque dans la création la plus contemporaine. Cette traversée des modernités littéraires espère ainsi contribuer au développement d’outils d’analyse de plus en plus nécessaires pour aborder des corpus littéraires qui ne sont pas uniquement textuels.
Dans ce projet, le regard rétrospectif est aussi un pari pour l’avenir et la visibilité de la littérature : rendre les pratiques iconographiques des écrivains plus visibles permet d’accroître la visibilité du fait littéraire lui-même, notamment dans la sphère de l’exposition.