Alors que chaque parution d’un rapport du GIEC devient un fait incontournable, que la pandémie de Covid-19 a catapulté la science en une et que certains journalistes s’engagent dans une charte à la hauteur de l’urgence écologique, les médias doivent désormais composer avec l’information scientifique. Quel traitement lui donner, quelle place lui accorder dans les colonnes des quotidiens francophones ?
Pour y répondre, l’Observatoire des pratiques socio-numériques (OPSN) a analysé 20 années de traitement médiatique accordé aux sujets scientifiques par la presse francophone. L’OPSN est soutenu par l’université Toulouse III – Paul Sabatier et le Laboratoire d’études et de recherches appliquées en sciences sociales (LERASS – UT3). Il regroupe également des chercheurs de l’Académie du Journalisme et des Médias (AJM – Université de Neuchâtel, Suisse) et de l’Observatoire de Recherche sur les Médias et le journalisme (ORM – Université de Louvain, Belgique).
Le collectif d’une dizaine de chercheurs et de doctorants a récolté la totalité des articles parus dans les versions imprimées des journaux Le Monde (France), Le Soir (Belgique francophone) et Le Temps (Suisse romande) parus depuis 2001 et contenant au moins les termes « science », « scientifique » et leurs dérivés. Plus de 150 000 articles ont ainsi été collectés et traités.
Le rapport met en avant plusieurs observations :
- La place non négligeable de la science dans les 3 médias sur 20 ans. Une part qui s’élève pratiquement à 10% de l’ensemble des articles produits sur la période, bien que la science ait plutôt un positionnement secondaire et articulé à d’autres thématiques, à l’image du traitement réservé au Covid 19.
- La pandémie, qui a propulsé la science en une des médias, a davantage été portée par les thématiques législatives (quelles mesures adopter ?), politiques (qu’est-ce qui relève de la démocratie ?) et économiques (quelles conséquences sur la production nationale ?), que scientifiques.
- La thématique de la vaccination a connu une très forte propagation dans les trois médias étudiés mais est traitée différemment, du point de vue des controverses. Là où Le Soir la présente dans un contexte positif, laissant supposer une mise en lumière de ses effets bénéfiques au détriment des mouvements anti-vax, Le Temps fait le choix d’un traitement neutre. En revanche, dans les articles du Monde, le contexte d’apparition du terme est négatif, reflétant la place accordée à la parole des sceptiques, même si c’est pour la réfuter. Ce constat relatif aux trois quotidiens ne présume pas de leur positionnement vis-à-vis du vaccin mais d’angles et de choix éditoriaux différents qui sont mobilisés pour porter leur ligne.
- La thématique du climat a, elle, connu une évolution marquée, la fréquence d’apparition du terme ayant triplé en 20 années. Un point de bascule notable a été identifié en 2019. Jusque-là, son traitement se focalisait sur les conséquences lointaines du réchauffement et de ses effets à l’échelle planétaire. A partir de cette année, un changement de paradigme s’opère pour mettre davantage en évidence les causes du changement climatique ainsi que pour présenter les pistes d’actions et les solutions à déployer. Dans Le Soir spécifiquement, la proximité des questions climatiques s’inscrit dans le quotidien des citoyens. Cette humanisation des effets du changement climatique n’est pas étrangère au traitement d’événements locaux, guidé par la loi du « mort/kilomètre ».
- Pas « d’effet Fukushima » : le sujet du nucléaire a quant à lui connu un phénomène assez inattendu. L’accident de la centrale de Fukushima en 2011 n’a pas produit d’effet particulier dans la production médiatique, une fois l’événement passé, que ce soit en nombre d’articles ou en type de cadrage. Néanmoins, le sujet du nucléaire est davantage traité via une perspective politique ou géopolitique que scientifique ou environnementale.
- Une parole scientifique qui est accaparée par des hommes. L’étude sur 20 ans relève une statistique sans équivoque : sur les 150 000 articles recensés, 75% d’entre eux comportent des noms propres masculins, incluant les sources, les politiques, experts, témoins et les journalistes eux-mêmes dans cet ensemble.
Le rapport complet est disponible ici.