Les deux principales molécules utilisées en France pour la substitution de la toxicomanie à l’héroïne ou aux opiacés sont la méthadone et la buprénorphine (Subutex®). Les patients substitués demeurent physiquement tolérants et dépendants pour les opiacés, même s’ils ne présentent plus de comportement addictif.
Quel est le risque d’événement ?
A l’arrêt du traitement
A l’arrêt d’un traitement substitutif, les risques sont la survenue d’un syndrome de sevrage, la sous-estimation de la douleur postopératoire, de sous-traiter la douleur postopératoire, voire de refuser la prescription d’opiacés par crainte d’une récidive de l’addiction.
Le risque de récidive d’une toxicomanie à la faveur d’une intervention chirurgicale, n’est pas nul mais n’a jamais été évalué précisément.
L’arrêt de la méthadone, de la buprénorphine, ou de la codéine expose à un risque de syndrome de sevrage.
La naltrexone n’est pas utilisée en France pour le sevrage de la toxicomanie aux opiacés. Au maintien du traitement
L’administration de la dose quotidienne de méthadone le jour de l’intervention ne fait pas courir de risque de surdosage en opiacés, du fait de la tolérance.
L’administration préopératoire de buprénorphine à titre substitutif n’inhibe pas les effets analgésiques des morphiniques ayant une forte affinité pour les récepteurs µ (sufentanil, alfentanil, rémifentanil …), capables de déplacer la buprénorphine du récepteur.
En cas de poursuite de la naltrexone, cet antagoniste des récepteurs µ va diminuer très fortement les effets des morphiniques utilisés pour l’analgésie intra et postopératoire.
Il est recommandé d’arrêter la naltrexone au minimum dans les 24 à 48 heures qui précèdent une intervention chirurgicale.
Quel est le risque de récurrence d’une toxicomanie active ?
Toxicomane substitué
Chez les patients substitués par la méthadone ou la buprénorphine, le risque de récurrence de l’addiction, bien que non chiffré, ne paraît pas très élevé. Ancien héroïnomane sevré
Chez l’ancien héroïnomane sevré, la survenue d’une sensation de manque est fréquente en postopératoire, mais le risque de réapparition d’une réelle dépendance, bien que non nul, demeure non chiffré. Il serait plus élevé en cas d’utilisation de morphiniques de forte affinité.
Existe-t-il une interférence avec les médicaments de l’anesthésie ?
Il existe une interférence entre les produits de substitution et les opiacés, du fait de la tolérance.
Proposer une stratégie d’arrêt, de maintien et/ou de substitution
Les patients sevrés restent dépendants pour les opiacés.
Il est recommandé de donner oralement le matin de l’intervention la dose quotidienne du traitement substitutif quelle que soit la technique d’anesthésie choisie (accord fort).
Lorsque la voie orale est impossible, il faut administrer la morphine par voie sous-cutanée ou intraveineuse (accord fort).
Il est recommandé de poursuivre le traitement substitutif tout au long de l’hospitalisation, pour éviter un sevrage, en assurant les besoins de base en opiacés (accord fort).
Un ancien toxicomane mal analgésié peut développer un comportement de pseudo-addiction, qu’il ne faut pas interpréter comme la récurrence de l’addiction, mais comme une douleur intense mal soulagée, cette pseudo-addiction disparaît lorsque l’analgésie devient adaptée.
Il est recommandé de prescrire des opiacés à doses suffisantes en compléments des antalgiques périphériques pour l’analgésie postopératoire. Dès que possible il convient de privilégier l’analgésie locorégionale.
Règles de conversion entre méthadone, buprénorphine et morphine
Les rapports de conversion avec la morphine rapportés ici ne permettent que de donner un ordre de grandeur des équivalences :
10 mg de sulfate de morphine oral
Doit-on faire appel à un spécialiste pour décision collégiale ?
Les patients substitués sont souvent anxieux et préoccupés par le risque de récurrence de la toxicomanie lors de l’utilisation périopératoire de morphiniques, par le risque de subir un syndrome de manque et par les problèmes posés par la douleur lors de leur hospitalisation.
Il est recommandé d’adresser le patient en consultation avec un médecin spécialisé dans la toxicomanie.
Proposer une technique d’anesthésie et d’analgésie adaptée
Chirurgie programmée
Consultation d’anesthésie :
La consultation d’anesthésie fait le point sur les drogues consommées, sur les pathologies éventuellement associées à la toxicomanie (infection par le VIH, HCV, …), permet d’expliquer au patient les modalités de la prévention du syndrome de sevrage. Il faut expliquer au patient qu’il ne sera pas en manque du fait de la poursuite de la substitution tout au long de son hospitalisation et que la substitution est indépendante de l’analgésie.
Prémédication
La dépendance aux benzodiazépines est fréquente, et l’anxiété préopératoire est importante.
La prémédication vient en plus de l’administration de la dose journalière du médicament de substitution le matin de l’intervention. Les benzodiazépines peuvent représenter un bon choix de prémédication. Choix de la technique d’anesthésie
L’anesthésie locorégionale permet de réduire l’utilisation des opiacés, offre un meilleur contrôle de la douleur postopératoire, et permet aux patients de dissocier la prévention du manque, de celle de la douleur.
Il est recommandé de favoriser chaque fois que possible une anesthésie locorégionale axiale ou périphérique (accord fort).
Lorsque l’anesthésie générale est préférée, elle fait appel aux techniques et produits habituels, en sachant qu’il existe une tolérance aux opiacés et une hypersensibilité aux stimuli nociceptifs. Il faut fréquemment augmenter les doses de morphiniques. Analgésie postopératoire
L’analgésie postopératoire chez le patient toxicomane substitué, nécessite en premier lieu de ne pas sous évaluer la douleur et son traitement, et en second lieu, de ne pas confondre la prescription d’analgésie avec celle de la substitution qui ne vise qu’à empêcher le manque.
Il faut prescrire l’analgésie en sus de la substitution, utiliser les techniques d’analgésie locorégionale continue par cathéter périnerveux ou péridural lorsque la situation le permet, et de systématiquement prévoir une analgésie balancée utilisant les analgésiques périphériques, les AINS en dehors de leurs contre-indications, et la morphine.
L’existence d’une augmentation de la perception douloureuse et la tolérance aux opiacés explique que les patients substitués présentent fréquemment des besoins majorés en morphiniques. Il est recommandé d’augmenter les doses de morphine prescrites pour l’analgésie postopératoire (grade C). La kétamine pourrait présenter un intérêt analgésique chez ces patients tolérants aux opiacés (grade C).
La tendance à limiter l’administration parentérale rapide de la morphine pour éviter ses effets psychiques, fait que l’usage de la PCA IV aux opiacés, demeure encore controversée pour l’analgésie postopératoire chez l’ancien héroïnomane. Mais aujourd’hui, les experts accordent que l’administration parentérale de morphine
est tout à fait acceptable, sous couvert d’une sélection des patients éligibles, d’une surveillance régulière et rigoureuse des doses administrées, et de la poursuite de l’administration quotidienne de la substance de substitution.
Il est recommandé de choisir l’administration de la morphine par voie orale chaque fois que celle-ci est possible, mais en sachant ne pas contre-indiquer l’administration parentérale de morphine lorsque l’intensité de la douleur postopératoire ou que la voie orale est impossible.
Les opiacés aux propriétés agonistes antagonistes µ (nalbuphine, butorphanol, pentazocine) et les antagonistes des récepteurs µ (naloxone) peuvent précipiter un syndrome de sevrage aigu.
Les agonistes antagonistes et les antagonistes des récepteurs µ sont donc formellement contre-indiqués chez le patient sous traitement substitutif (grade C). Chirurgie en urgence En cas de chirurgie en urgence, les mêmes règles sont applicables qu’en chirurgie réglée. Dans cette situation, l’anesthésie locorégionale représente probablement un choix intéressant