Les processus¶
Un système d’exploitation multitâche et multi-utilisateurs tel que Unix ou Linux permet d’exécuter de nombreux programmes simultanément. Sous Unix, les programmes sont exécutés sous la forme de processus. Un processus peut être défini comme étant une instance de programme qui est en train d’être exécutée sur un ou plusieurs processeurs sous le contrôle d’un système d’exploitation. Un processus comprend donc un ensemble d’instructions pour le processeur, mais aussi des données qui sont stockées en mémoire et un contexte (si le processus utilise un seul thread d’exécution, plusieurs contextes sinon). En outre, le système d’exploitation maintient un certain nombre de structures de données qui sont nécessaires au bon fonctionnement du processus. Ces structures de données sont créées au démarrage du processus, mises à jour durant la vie du processus et supprimées lorsque le processus se termine.
Les librairies¶
Lorsqu’un programme s’exécute à l’intérieur d’un processus, il exécute des instructions qui ont différentes origines. Il y a bien entendu les instructions qui proviennent du code source du programme qui a été converti en assembleur par le compilateur. Ces instructions correspondent au code source développé par le programmeur. Il s’agit notamment de toutes les opérations mathématiques et logiques, les boucles et les appels de fonctions internes au programme. Comme nous l’avons vu précédemment, ces instructions peuvent provenir d’un seul module ou de plusieurs modules. Dans ce dernier cas, le linker intervient pour combiner différents modules en un exécutable complet.
A côté des instructions qui correspondent aux lignes de code écrites par le développeur du programme, un processus va également exécuter de nombreuses fonctions qui font partie d’une des librairies standard du système. Tout environnement de développement comprend des librairies qui permettent de faciliter le travail des programmeurs en leur fournissant des fonctions permettant de résoudre de nombreux problèmes classiques. Un système d’exploitation tel que Unix ou Linux contient de nombreuses librairies de ce type. Nous avons déjà eu l’occasion de discuter des fonctions provenant de la librairie standard comme printf(3) ou malloc(3) et celles de la librairie pthreads(7). Ce ne sont que deux librairies parmi d’autres. Un système Linux contient plusieurs centaines de librairies utilisables par le programmeur.
A titre d’exemple, considérons la librairie math.h(7posix). Cette librairie contient de nombreuses fonctions mathématiques. Pour les utiliser dans un programme, il faut non seulement y inclure le fichier header math.h qui contient les prototypes et constantes utilisées par la librairie, mais aussi indiquer au linker que l’exécutable doit être lié avec la librairie math.h(7posix). Cela se fait en utilisant le flag -l de gcc(1).
#include <stdio.h>
#include <stdlib.h>
#include <math.h>
int main (int argc, char *argv[]) {
double n1=1.0;
double n2=-3.14;
printf("Maximum : %f\n",fmax(n1,n2));
return(EXIT_SUCCESS);
}
Le programme /Threads/S8-src/math.c ci-dessus doit être compilé en utilisant la commande gcc -Wall -Werror math.c -o math -lm. Le paramètre -lm indique au compilateur qu’il doit charger la librairie m. Cette librairie, est une des librairies standard du système, elle réside généralement dans le répertoire /usr/lib [4]. En pratique, gcc(1) charge automatiquement la librairie C standard lors de la compilation de tout programme. Cela revient à utiliser implicitement le paramètre -lc.
Lors de l’utilisation de telles librairies, on s’attendrait à ce que toutes les instructions correspondant aux fonctions de la librairie utilisée soient présentes à l’intérieur de l’exécutable. En pratique, ce n’est pas exactement le cas. Même si notre programme d’exemple utilise fmax(3) de la librairie math.h(7posix) et printf(3) de la librairie standard, son exécutable ne contient que quelques milliers d’octets.
$ ls -l math*
-rwxr-xr-x 1 obo stafinfo 6764 Mar 15 2012 math
-rw-r--r-- 1 obo stafinfo 373 Mar 15 2012 math.c
Une analyse plus détaillée de l’exécutable avec objdump(1) révèle que si l’exécutable contient bien des appels à ces fonctions, leur code n’y est pas entièrement inclus.
$gcc -g -lm math.c -o math
$objdump -S -d math
math: file format elf64-x86-64
...
0000000000400468 <fmax@plt>:
400468: ff 25 fa 04 20 00 jmpq *0x2004fa(%rip) # 600968 <
_GLOBAL_OFFSET_TABLE_+0x28>
40046e: 68 02 00 00 00 pushq $0x2
400473: e9 c0 ff ff ff jmpq 400438 <_init+0x18>
...
#include <stdio.h>
#include <stdlib.h>
#include <math.h>
int main (int argc, char *argv[]) {
400564: 55 push %rbp
400565: 48 89 e5 mov %rsp,%rbp
400568: 48 83 ec 20 sub $0x20,%rsp
40056c: 89 7d ec mov %edi,-0x14(%rbp)
40056f: 48 89 75 e0 mov %rsi,-0x20(%rbp)
double n1=1.0;
400573: 48 b8 00 00 00 00 00 mov $0x3ff0000000000000,%rax
40057a: 00 f0 3f
40057d: 48 89 45 f0 mov %rax,-0x10(%rbp)
double n2=-3.14;
400581: 48 b8 1f 85 eb 51 b8 mov $0xc0091eb851eb851f,%rax
400588: 1e 09 c0
40058b: 48 89 45 f8 mov %rax,-0x8(%rbp)
printf("Maximum : %f\n",fmax(n1,n2));
40058f: f2 0f 10 4d f8 movsd -0x8(%rbp),%xmm1
400594: f2 0f 10 45 f0 movsd -0x10(%rbp),%xmm0
400599: e8 ca fe ff ff callq 400468 <fmax@plt>
40059e: b8 b8 06 40 00 mov $0x4006b8,%eax
4005a3: 48 89 c7 mov %rax,%rdi
4005a6: b8 01 00 00 00 mov $0x1,%eax
4005ab: e8 98 fe ff ff callq 400448 <printf@plt>
return(EXIT_SUCCESS);
4005b0: b8 00 00 00 00 mov $0x0,%eax
}
La taille réduite des exécutables sous Linux et de nombreuses variantes de Unix s’explique par l’utilisation de librairies partagées. Un programme peut utiliser deux types de librairies : des librairies statiques et des librairies partagées. Une librairie statique (ou static library en anglais) est une librairie de fonctions qui est intégrée directement avec le programme. Elle fait entièrement partie de l’exécutable. C’est la première solution pour intégrer des librairies dans un programme. Son avantage principal est que l’exécutable est complet et comprend toutes les instructions qui sont nécessaires au fonctionnement du programme. Malheureusement, tous les programmes qui utilisent des fonctions d’une librairie courante, comme par exemple la librairie standard, doivent inclure le code relatif à toutes les fonctions qu’ils utilisent. Sachant que chaque programme ou presque utilise des fonctions comme printf(3), cela conduit à sauvegarder de très nombreuses copies du même code. Ce problème peut être résolu en utilisant des librairies partagées [1] . Une librairie partagée (ou shared library en anglais) est un ensemble de fonctions qui peuvent être appelées par un programme mais sont stockées dans un seul fichier sur disque. Ce fichier unique est utilisé automatiquement par tous les programmes qui utilisent des fonctions de la librairie.
Il est parfois intéressant de pouvoir créer une librairie qui peut être liée de façon statique avec des programmes, par exemple lorsque ceux-ci doivent être exécutés sur d’autres ordinateurs que ceux sur lesquels ils ont été compilés. A titre d’illustration, considérons une librairie minuscule contenant une seule fonction imax qui calcule le maximum entre deux entiers. L’implémentation de cette fonction est très simple.
int imax(int i, int j) {
return ((i>j) ? i : j);
}
Cette fonction est déclarée dans le fichier header imax.h et peut être utilisée dans un programme comme ci-dessous.
#include <stdio.h>
#include <stdlib.h>
#include "imax.h"
int main (int argc, char *argv[]) {
int n1=1;
int n2=-3;
printf("Maximum : %d\n",imax(n1,n2));
return(EXIT_SUCCESS);
}
En pratique, la construction d’une librairie se fait en deux étapes principales. Tout d’abord, il faut compiler les fichiers objet correspondant aux différents modules de la librairie. Cela peut se faire avec gcc(1) comme pour un programme C classique. Ensuite, il faut regrouper les différents modules dans une archive qui constituera la librairie qui peut être utilisée par des programmes. Par convention, toutes les librairies ont un nom qui commence par lib et se termine par l’extension .a. Sous Linux, cette opération est réalisée par l’utilitaire ar(1). La page de manuel de ar(1) décrit plus en détails son utilisation. En pratique, les opérations les plus fréquentes avec ar(1) sont :
- ajout d’un module objet à une librairie : ar r libname.a module.o
- suppression d’un module objet d’une librairie : ar d libname.a module.o
Il est aussi possible de lister le contenu de la librairie libname.a avec la commande ar tv libname.a.
L’archive contenant la librairie peut être liée en utilisant le linker à n’importe quel programme qui en utilise une ou plusieurs fonctions. Le linker de gcc(1) peut effectuer cette opération comme illustré par le Makefile ci-dessous. Il faut noter que l’argument --static permet de forcer le compilateur à inclure le code de la librairie dans l’exécutable.
#
# Makefile for library imax and imath
#
GCC = gcc
AR = ar
ARFLAGS = -cvq
CFLAGS = -Wall -std=c99 -g -c
LDFLAGS = --static -g
all: imath
imax.o: imax.c
@echo compiling imax
$(GCC) $(CFLAGS) imax.c
libimax.a: imax.o
@echo building libimax
$(AR) $(ARFLAGS) libimax.a imax.o
imath.o: imath.c imax.h
@echo compiling imath.o
$(GCC) $(CFLAGS) imath.c
imath: imath.o libimax.a
@echo building imath
$(GCC) $(LDFLAGS) -o imath libimax.a imath.o
clean:
rm imath libimax.a imax.o imath.o
Ce Makefile est un petit peu plus long que ceux que nous avons utilisés jusque maintenant. Il illustre une structure courante pour de nombreux fichiers Makefile. La première partie définit des constantes qui sont utilisées dans le reste du Makefile. Il s’agit tout d’abord du compilateur et du programme de construction de librairies qui sont utilisés. Définir ces programmes comme des constantes dans le Makefile permet de facilement en changer lorsque c’est nécessaire. Ensuite, trois constantes sont définies avec les arguments de base du compilateur et de ar. A nouveau, définir ces constantes une fois pour toutes facilite leur modification. Ensuite, la première cible est la cible all:. Comme c’est la première, c’est la cible par défaut qui sera utilisée lorsque make(1) est appelé sans argument. Elle dépend de l’exécutable imath qui est une des cibles du Makefile. La cible clean: permet d’effacer les fichiers objet et exécutables construites par le Makefile. Il est utile d’avoir une telle cible lorsque l’on doit diffuser un projet en C ou le rendre dans le cadre d’un cours. Enfin, les autres cibles correspondent aux fichiers objet, à la librairie et à l’exécutable qui sont construits. La commande @echo affiche ses arguments sur la sortie standard. Enfin, la chaîne de caractères $(GCC) est remplacée par le constante définie au début du fichier. Des compléments d’information sur make(1) peuvent être obtenus dans divers documents dont make(1), [Mecklenburg+2004] ou [GNUMake].
Lorsqu’un programme est compilé de façon à utiliser une librairie dynamique, c’est le système d’exploitation qui analyse le programme lors de son chargement et intègre automatiquement les fonctions des librairies qui sont nécessaires à son exécution. L’entête de l’exécutable contient de l’information générée par le compilateur qui permet de localiser les librairies dynamiques qui doivent être intégrées de cette façon. L’utilitaire ldd(1) permet de visualiser quelles sont les librairies partagées utilisées par un programme.
$ ldd imath
linux-vdso.so.1 => (0x00007fffe41ff000)
libc.so.6 => /lib64/libc.so.6 (0x0000003eb2400000)
/lib64/ld-linux-x86-64.so.2 (0x0000003eb2000000)
Création d’un processus¶
Pour comprendre le fonctionnement de Unix, il est utile d’analyser plus en détails toutes les opérations qui sont effectuées à chaque fois que l’on lance un programme depuis un shell tel que bash(1). Considérons l’exécution de la commande /bin/true depuis le shell.
Schématiquement, l’exécution de ce programme se déroule comme suit. Le shell va d’abord localiser [2] l’exécutable /bin/true qui est stocké dans le système de fichiers. Ensuite, il va créer un processus et y exécuter l’exécutable. Le shell va ensuite attendre la fin de l’exécution du programme true et récupérer sa valeur de retour (retournée par exit(2)) pour ensuite poursuivre son exécution.
Comme nous l’avons expliqué plus haut, le kernel Linux gère l’ensemble des processus qui sont utilisés à un moment. Il intervient pour toutes les opérations de création et de fin d’un processus. La création d’un processus est un événément important dans un système d’exploitation. Elle permet notamment l’exécution de programmes. Ces opérations nécessitent une interaction avec le kernel et se font donc en utilisant des appels systèmes. Avant d’analyser en détails comment Linux supporte précisément la création de processus, il est intéressant de réfléchir aux opérations qui doivent être effectuées lors de l’exécution d’un programme. Considérons par exemple un utilisateur qui exécute la commande /usr/bin/expr 1 + 2 depuis un shell bash(1) interactif. Pour exécuter cette commande, il va falloir exécuter un nouveau processus contenant les instructions assembleur se trouvant dans l’exécutable /usr/bin/expr, lui passer les arguments 1 + 2, l’exécuter, récupérer sa valeur de retour et la retourner au shell qui pourra l’utiliser et poursuivre son exécution.
Les designers de Unix ont choisi de construire un appel système pour chacune de ces opérations. Le premier est l’appel système fork(2). C’est l’appel système qui permet de créer un processus. Schématiquement, cet appel système crée une copie complète du processus qui l’a exécuté. Après exécution de fork(2), il y a deux copies du même processus en mémoire. Le processus qui a exécuté fork(2) est considéré comme étant le processus père tandis que celui qui a été créé par l’exécution de fork(2) est le processus fils.
#include <unistd.h>
pid_t fork(void);
L’appel système fork(2) est atypique car il est exécuté par un processus mais provoque la création d’un second processus qui est identique au premier. Après l’exécution de l’appel système fork(2), il y a donc deux séquences d’instructions qui vont s’exécuter, l’une dans le processus père et l’autre dans le processus fils. Le processus fils démarre son exécution à la récupération du résultat de l’appel système fork(2) effectué par son père. Le processus père et le processus fils récupèrent une valeur de retour différente pour cet appel système. Cette valeur de retour est d’ailleurs la seule façon de distinguer le processus père du processus fils lorsque celui-ci démarre.
- l’appel système fork(2) retourne la valeur -1 en cas d’erreur et met à jour la variable errno. En cas d’erreur, aucun processus n’est créé.
- l’appel système fork(2) retourne la valeur 0 dans le processus fils.
- l’appel système fork(2) retourne une valeur positive dans le processus père. Cette valeur est l’identifiant du processus fils créé.
Pour bien comprendre le fonctionnement de fork(2), analysons l’exemple /Threads/S8-src/fork.c ci-dessous :
#include <stdio.h>
#include <stdlib.h>
#include <unistd.h>
int g=0; // segment données
int main (int argc, char *argv[]) {
int l=1252; // sur la pile
int *m; // sur le heap
m=(int *) malloc(sizeof(int));
*m=-1;
pid_t pid;
pid=fork();
if (pid==-1) {
// erreur à l'exécution de fork
perror("fork");
exit(EXIT_FAILURE);
}
// pas d'erreur
if (pid==0) {
// processus fils
l++;
g++;
*m=17;
printf("Dans le processus fils g=%d, l=%d et *m=%d\n",g,l,*m);
free(m);
return(EXIT_SUCCESS);
}
else {
// processus père
sleep(2);
printf("Dans le processus père g=%d, l=%d et *m=%d\n",g,l,*m);
free(m);
// ...
return(EXIT_SUCCESS);
}
}
Lors de son exécution, ce programme affiche les deux lignes suivantes sur sa sortie standard :
Dans le processus fils g=1, l=1253 et *m=17
Dans le processus père g=0, l=1252 et *m=-1
Lors de l’exécution de ce programme, deux variables sont initialisées en mémoire. La variable globale g est initialisée à la valeur 0 tandis que le variable locale l est initialisée à la valeur 1252. malloc(3) est utilisé pour réserver une zone mémoire sur le heap et son contenu est initialisé à -1. Lorsque le processus père fait appel à fork(2) le noyau du système d’exploitation crée une copie identique à celui-ci en mémoire. Cette copie contient tous les segments du processus père (code, données, heap et stack) dans l’état exact dans lequel ils étaient au moment de l’exécution de l’appel système fork(2). Le contexte du processus père est copié et devient le contexte du processus fils. A cet instant, les deux processus sont complètement identiques à l’exception de certaines données qui sont maintenues par le système d’exploitation, comme l’identifiant de processus. Chaque processus qui s’exécute sur un système Unix a un identifiant unique et est retourné par l’appel système getpid(2). Le processus père et le processus fils ont un identifiant différent.
Les deux processus vont se différencier dès la fin de l’exécution de l’appel système fork(2). Comme tout appel système, fork(2) place sa valeur de retour dans le registre %eax. Comme indiqué plus haut, cette valeur sera positive dans le processus père. Celui-ci exécute sleep(2); et reste donc bloqué pendant deux secondes avant d’afficher un message sur sa sortie standard. Le processus fils de son côté incrémente les variables l et g et modifie la zone mémoire pointée par *m puis affiche leur contenu sur sa sortie standard puis se termine.
L’exécution de ce programme illustre bien que le processus fils démarre avec une copie du processus père lorsque l’appel système fork(2) se termine. Le processus fils peut modifier les variables qui ont été initialisées par le processus mais ces modifications n’ont aucun impact sur les variables utilisées dans le processus père. Même si le processus père et le processus fils sont identiques au moment de la création du processus fils, ils sont complètement indépendants par après. C’est une différence importante avec les threads. Contrairement à ce qu’il se passe avec les threads, un processus père et un processus fils ne partagent ni le segment de données, ni le heap ni le stack. Ces zones mémoires ne peuvent pas être utilisées directement pour permettre à un processus père de communiquer avec son fils.
Note
Quel est le processus qui s’exécute en premier après fork(2) ?
Après l’exécution de l’appel système fork(2) et la création du processus fils, le kernel se trouve face à deux processus qui sont dans l’état Ready. Si il y a deux processeurs libres, le kernel pourra les démarrer quasi simultanément. Par contre, si un seul processeur est disponible, le kernel devra exécuter l’un des deux processus en premier. En pratique, rien ne permet de contrôler si le kernel commencera d’abord l’exécution du processus père ou l’exécution du processus fils. Tout programme utilisant fork(2) doit pouvoir fonctionner correctement quel que soit l’ordre d’exécution des processus père et fils.
Le kernel gère les processus et attribue un identifiant à chaque processus. Le type pid_t est utilisé pour les identifiants de processus sous Unix. Ce type correspond à un nombre entier généralement non-signé. Le nombre maximum de processus qui peuvent être lancés sur un système Linux est un des paramètres fixés à la compilation ou au démarrage du kernel. L’appel système getpid(2) retourne l’identifiant du processus courant tandis que l’appel système getppid(2) retourne l’identifiant du processus père.
#include <stdio.h>
#include <stdlib.h>
#include <unistd.h>
#include <sys/types.h>
int main (int argc, char *argv[]) {
int pid=getpid();
int ppid=getppid();
printf("Processus %d, parent:%d\n",pid,ppid);
return(EXIT_SUCCESS);
}
Après l’exécution de fork(2) le processus père et le processus fils ont un identifiant de processus différent mais ils partagent certaines ressources qui sont gérées par le kernel. C’est le cas notamment des flux standard stdin, stdout et stderr. Lorsque le kernel crée un processus fils, il conserve la même sortie standard que le processus père. C’est ce qui nous permet de visualiser le résultat de l’exemple précédent. Cependant, le processus père et le processus fils sont en concurrence pour écrire sur la sortie standard. Si aucune précaution n’est prise, ces deux processus risquent d’écrire de façon désordonnée sur la sortie standard.
Pour mieux comprendre le problème, analysons l’exécution du programme ci-dessous. Il crée un processus fils puis le père et le fils écrivent sur stdout.
#include <stdio.h>
#include <stdlib.h>
#include <unistd.h>
#include <sys/types.h>
#include <time.h>
void output(char c) {
printf("Processus : %d\n",getpid());
srand(getpid()+time(NULL));
for(int i=0;i<60;i++) {
putchar(c);
int err=usleep((unsigned int) (rand()%10000));
if(err<0) {
perror("usleep");
exit(EXIT_FAILURE);
}
}
}
int main (int argc, char *argv[]) {
if(argc > 1) {
setbuf(stdout,NULL);
}
pid_t pid;
pid=fork();
if (pid==-1) {
// erreur à l'exécution de fork
perror("fork");
exit(EXIT_FAILURE);
}
// pas d'erreur
if (pid==0) {
// processus fils
output('f');
return(EXIT_SUCCESS);
}
else {
// processus père
output('P');
printf("\n");
sleep(1);
// ...
return(EXIT_SUCCESS);
}
}
Lors de son exécution, il affiche les lignes suivantes sur stdout.
$ ./fork-buf
Processus : 852
Processus : 853
PPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPP
ffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffff
A première vue, on pourrait penser qu’il n’y a pas de problèmes d’accès concurrents à stdout puisque la sortie produite par ce programme semble claire. Cependant, la fonction output utilisée par le père et le fils pour afficher les caractères P et f devrait permettre aux deux processus d’afficher des caractères P et f avec une certaine alternance. Il n’en est rien et la sortie standard semble indiquer que le processus père a affiché tous les caractères P simultanément. Ce n’est pas possible si l’on regarde le code source de la fonction output.
L’utilitaire strace(1) qui permet de tracer tous les appels systèmes effectués par un processus nous permet d’analyser comment le processus père et le processus fils écrivent sur stdout. Lorsqu’ils utilisent les fonctions printf(3) et putchar(3) de la librairie standard, ils utilisent des fonctions qui finalement utilisent l’appel système write(2) qui est le seul permettant d’écrire sur un flux tel que stdout. L’exécution de strace(1) montre que chaque processus effectue deux appels systèmes write(2). Le premier correspond à l’appel à printf(3) et le second à tous les appels à putchar(3) fait par le processus.
strace -f -e trace=write ./fork-buf
Process 1398 attached
[pid 1398] write(1, "Processus : 1398\n", 17 <unfinished ...>
[pid 1397] write(1, "Processus : 1397\n", 17Processus : 1397
) = 17
Processus : 1398
[pid 1398] <... write resumed> ) = 17
[pid 1398] write(1, "ffffffffffffffffffffffffffffffff"..., 60ffffffffff ffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffff) = 60
Process 1398 detached
--- SIGCHLD (Child exited) @ 0 (0) ---
write(1, "PPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPP"..., 61PPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPP PPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPPP
) = 61
L’exécution d’un appel système tel que write(2) peut être couteux au niveau des performances. Une règle de bonne pratique est d’essayer de minimiser le nombre d’appels systèmes effectués par un programme. La librairie standard prend en compte cette règle et utilise un buffer dans lequel elle stocke temporairement les données produites par les fonctions telles que printf(3) ou putchar(3) avant de les écrire via write(2). Ce buffer peut être contrôlé via les fonctions setvbuf(3) et setbuf(3). Ces fonctions permettent de fixer la taille du buffer utilisé par la librairie standard.
Lorsque le buffer de la librairie stdio(3) est désactivé en faisant setbuf(stdout,NULL);, le processus père et le processus fils écrivent bien de façon entrelacée sur la sortie standard.
$ ./fork-buf 1
Processus : 1419
PProcessus : 1420
fffPffPffPffPfPfffPPfPPPfPfffPfPfPPfffPfPffPPfPPPPfPPfPPfPfPPfPfPffPfPfPffffPPfPPffPffPPfPfPfPPfPfPfPfPfPPffPPfffPfPPPP
L’utilisation de strace(1) lors de cette exécution montre effectivement que chaque appel à la fonction putchar(3) provoque une exécution de l’appel système write(2) :
[pid 1420] write(1, "f", 1f) = 1
[pid 1419] write(1, "P", 1P) = 1
[pid 1419] write(1, "P", 1P) = 1
[pid 1420] write(1, "f", 1f) = 1
Note
Faut-il modifier le buffer de la librairie stdio(3) ?
En pratique, il est préférable de ne pas désactiver le buffer utilisé par la librairie stdio(3) car cela peut avoir des conséquences négatives sur les performances des programmes. Par contre, lorsque l’on développe des programmes qui utilisent plusieurs processus il est important de se souvenir de l’existence de ce buffer car il peut expliquer certains comportements qui pourraient apparaître comme étant bizarres lorsque l’on observe l’exécution de processus via les messages qu’ils affichent sur stderr ou stdout. Lorsque l’on soupçonne un comportement bizarre qui pourrait être expliqué par des interactions avec ce buffer, il est possible d’ajouter dans le programme des appels explicites à la fonction fflush(3) qui a pour effet de vider immédiatement le buffer de stdio(3).
Note
Génération de nombres aléatoires
Le programme /Threads/S8-src/fork-buf.c présenté ci-dessus est un exemple d’utilisation de nombres aléatoires. Ceux-ci sont générés avec la fonction rand(3) de la librairie standard. Cette fonction utilise un générateur de nombres aléatoires qui génère toujours la même séquence de nombres aléatoires lorsqu’elle est initialisée avec la même semence par la fonction srand(3). Souvent, les programmeurs qui utilisent des nombres aléatoires cherchent à ce que la séquence générée diffère d’une exécution du programme à l’autre. Une façon simple de procéder est d’utiliser comme semence la somme entre le temps courant retourné par time(3posix) et l’identifiant du processus obtenu via getpid(2). Une telle semence n’est cependant pas suffisante pour toutes les applications. Certaines applications cryptographiques notamment nécessitent des nombres aléatoires qui ne peuvent pas être facilement prédits. Pour ces applications, il est nécessaire d’utiliser des semences qui sont parfaitement aléatoires, comme random(4).
Fin d’un processus¶
Il y a deux événements importants dans la vie d’un processus sous Unix. Sa création avec l’appel système fork(2) et sa terminaison. Nous avons déjà vu qu’un programme C (et donc un processus) pouvait se terminer de deux façons principales [5] :
- par l’exécution de return(...) dans la fonction main
- par un appel explicite à la fonction exit(3) dans la fonction main ou n’importe quelle fonction du processus
Ces fonctions appellent en fait la fonction de la librairie exit(3). Cette fonction permet de faire plus que simplement terminer le processus en cours d’exécution et retourner sa valeur de retour. Il est en effet possible d’associer une ou plusieurs fonctions de terminaison à exit(3) via la fonction atexit(3). Lorsque exit(3) est appelée, elle lance d’abord les fonctions enregistrées par atexit(3) puis termine correctement le processus. Ces fonctions de terminaison d’un processus sont utilisées lorsque par exemple un processus utilise des services particuliers du système d’exploitation comme par exemple une mémoire partagée entre plusieurs processus. Ces services consomment des ressources et il est nécessaire de les libérer correctement lorsqu’un processus se termine comme nous le verrons ultérieurement.
L’exemple ci-dessous illustre brièvement l’utilisation de atexit(3).
#include <stdio.h>
#include <stdlib.h>
void e1() {
printf("Exécution de la fonction e1\n");
}
int main (int argc, char *argv[]) {
int err;
err=atexit(e1);
if(err==-1) {
perror("atexit");
exit(EXIT_FAILURE);
}
return(EXIT_SUCCESS);
}
Après avoir exécuté les fonctions de terminaison, la fonction exit(3) appelle fflush(3) sur tous les flux existants puis les ferme proprement. Ensuite, la fonction exit(3) exécute l’appel système exit(2). Cet appel système est particulier. C’est le seul appel système qui n’a pas de valeur de retour, et pour cause ! Il ferme tous les fichiers qui étaient encore ouverts (normalement un processus devrait fermer proprement tous ses fichiers avant de s’arrêter) et libère les ressources qui étaient associées au processus.
#include <unistd.h>
void _exit(int status);
L’appel système exit(2) permet au processus qui se termine de retourner un statut à son processus père. Pour récupérer le statut de son fils, un processus père doit utiliser l’appel système waitpid(2).
#include <sys/types.h>
#include <sys/wait.h>
pid_t waitpid(pid_t pid, int *status, int options);
L’appel système waitpid(2) prend trois arguments. C’est un appel système bloquant. Le premier argument permet de spécifier quel est le processus fils dont la terminaison est attendue. Un premier argument négatif indique que waitpid(2) attend la terminaison de n’importe quel processus fils. Si le premier argument est positif, alors il contient un identifiant de processus fils et waitpid(2) attendra la terminaison de ce processus [6]. Le second argument est un pointeur vers un entier qui après le retour de waitpid(2) contiendra le statut retourné par le processus fils. Le troisième argument permet de spécifier des options à waitpid(2) que nous n’utiliserons pas. La fonction wait(2) est une simplification de waitpid(2) qui permet d’attendre n’importe quel processus fils. wait(p) est en pratique équivalent à waitpid(-1,p,0).
Un processus qui lance un processus fils avec fork(2) doit attendre la terminaison de son processus fils en utilisant waitpid(2). Le programme ci-dessous illustre l’utilisation de waitpid(2).
#include <stdio.h>
#include <stdlib.h>
#include <unistd.h>
#include <sys/wait.h>
#include <sys/types.h>
int main (int argc, char *argv[]) {
int status;
pid_t pid;
pid=fork();
if (pid==-1) {
// erreur à l'exécution de fork
perror("fork");
exit(EXIT_FAILURE);
}
// pas d'erreur
if (pid==0) {
sleep(8);
return(42);
}
else {
// processus père
int fils=waitpid(pid,&status,0);
if(fils==-1) {
perror("wait");
exit(EXIT_FAILURE);
}
if(WIFEXITED(status)) {
printf("Le fils %d s'est terminé correctement et a retourné la valeur %d\n",fils,WEXITSTATUS(status));
return(EXIT_SUCCESS);
}
else {
if( WIFSIGNALED(status)) {
printf("Le fils %d a été tué par le signal %d\n",fils,WTERMSIG(status));
}
return(EXIT_FAILURE);
}
}
}
Dans ce programme, le processus père récupère la valeur retournée par le fils qu’il a créé. Lors de l’exécution de waitpid(pid,&status,0);, la valeur de retour du fils est placée dans l’entier dont l’adresse est status. Cet entier contient non-seulement la valeur de retour du processus fils (dans les 8 bits de poids faible), mais aussi une information permettant de déterminer si le processus fils s’est terminé correctement ou a été terminé de façon abrupte via l’utilisation de kill(1). Les macros WEXITSTATUS et WTERMSIG utilisées pour extraire la valeur de retour et la raison de la terminaison abrupte sont décrites dans waitpid(2).
Même si un processus doit attendre la terminaison de tout processus fils qu’il a lancé, il arrive parfois qu’un processus n’attende pas ses fils. Cela peut arriver lorsqu’un processus s’arrête suite à une erreur avant de pouvoir récupérer ses fils. Ce cas est illustré par l’exemple ci-dessous dans lequel le processus père se termine sans attendre son fils.
#include <stdio.h>
#include <stdlib.h>
#include <unistd.h>
#include <sys/wait.h>
#include <sys/types.h>
int main (int argc, char *argv[]) {
pid_t pid;
pid=fork();
if (pid==-1) {
// erreur à l'exécution de fork
perror("fork");
exit(EXIT_FAILURE);
}
// pas d'erreur
if (pid==0) {
printf("Processus : %d, père : %d\n",getpid(),getppid());
fflush(stdout);
sleep(3);
printf("Processus : %d, père : %d\n",getpid(),getppid());
return(EXIT_SUCCESS);
}
else {
// processus père
sleep(1);
printf("Fin du processus père [%d]\n",getpid());
return(EXIT_FAILURE);
}
}
Du point de vue du kernel cette situation est ennuyeuse car il maintient pour chaque processus non seulement son identifiant de processus mais également l’identifiant de son processus père qui est retourné par getpid(2). Lorsque le père se termine avant son fils, le processus fils est dit orphelin et le kernel modifie ses structures de données pour que le père de ce processus orphelin soit le processus dont l’identifiant est 1. Ce processus est le processus init(8) qui est lancé au démarrage du système et n’est jamais arrêté.
Processus : 28750, père : 28749
Fin du processus père [28749]
Processus : 28750, père : 1
A côté des processus orphelins dont nous venons de parler, un système Unix peut également héberger des processus zombie. Un processus zombie est un processus qui s’est terminé mais dont la valeur de retour n’a pas encore été récupérée par son père. Dans ce cas, le kernel libère l’ensemble des ressources associées au processus fils et ne conserve de ce processus qu’une petite structure de données contenant notamment son identifiant, l’identifiant de son processus père et sa valeur de retour. En pratique, il est préférable d’éviter les processus zombie car ils consomment quand même un peu de ressources.
Exécution d’un programme¶
fork(2) et waitpid(2) permettent respectivement de créer et de terminer des processus. Pour comprendre la façon dont les programmes sont exécutés, il nous reste à expliquer le fonctionnement de l’appel système execve(2). Cet appel système permet l’exécution d’un programme. Lors de son exécution, l’image en mémoire du processus qui effectue execve(2) est remplacée par l’image de l’exécutable passé en argument à execve(2) et son exécution démarre à sa fonction main.
#include <unistd.h>
int execve(const char *path, char *const argv[], char *const envp[]);
execve(2) prend trois arguments. Le premier est le nom complet du fichier exécutable qui doit être lancé. Le second est un pointeur vers un tableau de chaines de caractères contenant les arguments à passer à l’exécutable. Le troisième est un pointeur vers l’environnement qui sera nécessaire à l’exécution du programme. Comme execve(2) remplace l’image mémoire du programme en cours d’exécution, il ne retourne une valeur de retour que si l’appel système échoue. Cela peut être le cas si son premier argument n’est pas un fichier exécutable accessible par exemple.
execve(2) s’utilise souvent juste après l’exécution de fork(2), mais il est aussi possible de l’utiliser directement dans un programme. Dans ce cas, le programme qui exécute avec succès execve(2) disparaît et est remplacé par le programme appelé. Le programme ci-dessous illustre une utilisation simple de execve(2).
#include <stdio.h>
#include <stdlib.h>
#include <unistd.h>
int main (int argc, char *argv[]) {
char *arguments[]={"expr", "1", "+", "2", NULL};
char *environnement[]={"LANG=fr",NULL};
printf("Exécution du processus %d\n",getpid());
printf("Exécution de /usr/bin/expr\n");
int err=execve("/usr/bin/expr", arguments, environnement);
if(err!=0) {
perror("execve");
exit(EXIT_FAILURE);
}
// jamais atteint
printf("Ce message ne sera jamais affiché\n");
return(EXIT_SUCCESS);
}
Lors de son exécution, ce programme affiche sur sa sortie standard les lignes suivantes :
3
Il y a quelques points importants à noter concernant l’utilisation de execve(2). Tout d’abord, execve(2) remplace l’entièreté de l’image mémoire du processus qui exécute cet appel système, y compris les arguments, les variables d’environnement. Par contre, le kernel conserve certaines informations qu’il maintenait pour le processus. C’est le cas notamment de l’identifiant du processus et de l’identifiant du processus père. Si le processus qui a effectué execve(2) avait lancé des threads, ceux-ci seraient immédiatement supprimés puisque l’image du processus en cours d’exécution est remplacé lors de l’exécution de execve(2). Les flux standard (stdin, stdout et stderr) sont utilisables par le programme exécuté via execve(2). Il faut cependant noter que lors de l’appel à execve(2), les données qui se trouveraient éventuellement dans le buffer de la librairie stdio ne sont pas automatiquement envoyées vers leurs flux respectifs. Cela pourrait paraître étonnant puisque lorsqu’un processus se termine avec exit(3), exit(3) vide les buffers de stdio avant d’appeler exit(2). execve(2) est un appel système qui est exécuté par le kernel. Celui-ci ne peut pas savoir si il y a des données en attente d’écriture dans stdio. Il ne peut donc pas automatiquement vider les buffers maintenus par la librairie stdio. Si des données ont été écrites avec printf(3) avant l’exécution de execve(2), il est préférable de forcer leur écriture via fflush(3) avant d’appeler execve(2).
L’appel système execve(2) est très souvent exécuté dans un shell tel que bash(1). Lorsqu’un shell lance un programme externe, il doit d’abord utiliser fork(2) pour créer une copie de lui-même. Ensuite, le processus père se met en attente via waitpid(2) de la valeur de retour du processus fils créé. Le processus fils quant à lui utilise execve(2) pour exécuter le programme demandé.
La programme ci-dessous est un exemple un peu plus complexe de l’utilisation de fork(2), execve(2) et waitpid(2). Ce programme prend comme argument une liste d’exécutables et il essaye de les exécuter l’un à la suite de l’autre. Pour cela, il parcourt ses arguments et essaye pour chaque argument de créer un processus fils et d’y exécuter le programme correspondant. Si le programme a pu être exécuté, sa valeur de retour est récupérée par le processus père. Si l’appel à execve(2) a échoué, le processus fils se termine avec 127 comme valeur de retour. Comme celle-ci est stockée sur 8 bits, c’est la plus grande valeur de retour positive qu’il est possible de retourner depuis un processus fils. Cette valeur indique au processus père que le fils n’a pas réussi à exécuter execve(2).
#include <stdio.h>
#include <stdlib.h>
#include <unistd.h>
#include <sys/wait.h>
#include <sys/types.h>
#include <libgen.h>
extern char **environ;
int main (int argc, char *argv[]) {
int status;
pid_t pid;
for(int i=1;i<argc;i++) {
// création du fils
pid=fork();
if (pid==-1) {
perror("fork");
exit(EXIT_FAILURE);
}
if (pid==0) {
// fils
printf ("Exécution de la commande %s [pid=%d]\n",argv[i],getpid());
fflush(stdout);
char *arguments[2];
arguments[0]=basename(argv[i]);
arguments[1]=NULL;
int err=execve(argv[i], arguments, environ);
if(err!=0)
return(127);
} // fils
else {
// processus père
int fils=waitpid(pid,&status,0);
if(fils==-1) {
perror("wait");
exit(EXIT_FAILURE);
}
if(WIFEXITED(status)) {
if(WEXITSTATUS(status)==0)
printf("La commande %s [%d] s'est terminée correctement\n",argv[i],fils);
else
if (WEXITSTATUS(status)==127)
printf("La commande %s n'a pu être exécutée\n",argv[i]);
else
printf("La commande %s [%d] a retourné %d\n",argv[i],fils,WEXITSTATUS(status));
}
else {
if( WIFSIGNALED(status))
printf("La commande %s [%d] ne s'est pas terminée correctement\n",argv[i],fils);
}
fflush(stdout);
} // père
} // for loop
return(EXIT_SUCCESS);
}
Lors de son exécution, ce programme affiche sur sa sortie standard les lignes suivantes :
$./fork-manyexec /bin/true /bin/false /bin/none
Exécution de la commande /bin/true [pid=14217]
La commande /bin/true [14217] s'est terminée correctement
Exécution de la commande /bin/false [pid=14218]
La commande /bin/false [14218] a retourné 1
Exécution de la commande /bin/none [pid=14219]
La commande /bin/none n'a pu être exécutée
En pratique, il existe plusieurs fonctions de la librairie standard qui apportent de petites variations à execve(2). Il s’agit de execl(3), execlp(3), execle(3), execv(3posix) et execv(3). Ces fonctions utilisent toutes l’appel système execve(2). Elles permettent de spécifier de différentes façons le programme à exécuter ou les variables d’environnement. Enfin, la fonction system(3) de la librairie permet d’exécuter une commande du shell directement depuis un programme.
Outre les exécutables compilés, Unix et Linux supportent également l’exécution de programmes interprétés. Contrairement aux programmes compilés que nous avons manipulé jusque maintenant, un programme interprété est un programme écrit dans un langage qui doit être utilisé via un interpréteur. Un interpréteur est un programme qui lit des commandes sous la forme de texte et exécute directement les instructions correspondant à ces commandes. Unix supporte de nombreux interpréteurs et comme nous allons le voir il est très facile de rajouter de nouveaux interpréteurs de commande. L’interpréteur le plus connu est bash(1) et ses nombreuses variantes. En voici quelques autres :
- awk(1) est un langage de programmation interprété qui permet de facilement manipuler des textes
- perl(1) est un langage de programmation complet qui a été initialement développé pour la manipulation de textes, mais est utilisé dans de nombreuses autres applications
- python(1) est un langage de programmation complet
Pour comprendre la façon dont Unix interagit avec les interpréteurs de commande, il est bon de voir en détails comment execve(2) reconnaît qu’un fichier contient un programme qui peut être exécuté. Tout d’abord, le système de fichiers contient pour chaque fichier des métadonnées qui fournissent de l’information sur le possesseur du fichier, sa date de création, ... Une de ces métadonnées est un bit [7] qui indique si le fichier est exécutable ou non. Ce bit peut être manipulé en utilisant la commande chmod(1). Lorsqu’un programme est compilé avec gcc(1), celui-ci utilise chmod(1) pour marquer le programme comme étant exécutable.
$ ls -l a.out
-rwxr-xr-x 1 obo stafinfo 8178 Mar 16 13:42 a.out
$ chmod -x a.out
$ ./a.out
-bash: ./a.out: Permission denied
$ chmod +x a.out
$ ./a.out
exécution de a.out
$ ls -l a.out
-rwxr-xr-x 1 obo stafinfo 8178 Mar 16 13:42 a.out
Lorsqu’execve(2) est appelé, il vérifie d’abord ce bit de permission. Si il n’indique pas que le programme est exécutable, execve(2) retourne une erreur. Ensuite, execve(2) ouvre le fichier dont le nom a été passé comme premier argument. Par convention, le début du fichier contient une séquence d’octets ou de caractères qui indiquent le type de fichier dont il s’agit. La commande file(1) permet de tester le type d’un fichier inconnu.
$ file fork-execve.c
fork-execve.c: UTF-8 C program text
$ file script.sh
script.sh: Bourne-Again shell script text executable
$ file a.out
a.out: ELF 64-bit LSB executable, x86-64, version 1 (GNU/Linux), dynamically linked (uses shared libs), for GNU/Linux 2.6.18, not stripped
Pour les exécutables, deux cas de figure sont possibles:
- le fichier contient un programme compilé et directement exécutable. Sur les systèmes Linux actuels, ce fichier sera au format elf(5). Il débute par une entête qui contient une chaîne de caractères utilisée comme marqueur ou chaîne magique. L’entête fournit de l’information sur le type d’exécutable et sa structure. Voici à titre d’illustration le contenu de l’entête d’un programme compilé décortiqué par l’utilitaire readelf(1) :
$ readelf -h a.out ELF Header: Magic: 7f 45 4c 46 02 01 01 03 00 00 00 00 00 00 00 00 Class: ELF64 Data: 2's complement, little endian Version: 1 (current) OS/ABI: UNIX - Linux ABI Version: 0 Type: EXEC (Executable file) Machine: Advanced Micro Devices X86-64 Version: 0x1 Entry point address: 0x4006e0 Start of program headers: 64 (bytes into file) Start of section headers: 3712 (bytes into file) Flags: 0x0 Size of this header: 64 (bytes) Size of program headers: 56 (bytes) Number of program headers: 8 Size of section headers: 64 (bytes) Number of section headers: 30 Section header string table index: 27
- Le fichier contient un programme en langage interprété. Dans ce cas, la première ligne débute par #! suivi du nom complet de l’interpréteur à utiliser et de ses paramètres éventuels. Le programme interprété commence sur la deuxième ligne. A titre d’exemple, voici un petit script bash(1) qui permet de tester si un fichier est interprétable ou non en testant la valeur des deux premiers caractères du fichier et ses métadonnées.
#!/bin/bash # script.sh if [ $# -ne 1 ] then echo "Usage: `basename $0` fichier" exit 1 fi if [ -x ${1} ] then head -1 $1 | grep "^#\!" >>/dev/null if [ $? ] then echo "Script interprétable" exit 0 else echo "Script non-interprétable" exit 1 fi else echo "Bit x non mis dans les métadonnées" exit 1 fi
Sous Unix et Linux, n’importe quel programmeur peut définir son propre interpréteur. Il suffit qu’il s’agisse d’un exécutable compilé et que le nom de cet interpréteur soit présent dans la première ligne du fichier à interpréter. Lors de l’exécution d’un programme utilisant cet interpréteur, celui-ci recevra le contenu du fichier et pourra l’interpréter. Ainsi, par exemple le programme interprété ci-dessous est tout à fait valide.
#!/usr/bin/tail -n +1
Hello, world
SINF1252
Lors de son exécution via execve(2), l’interpréteur tail(1) va être chargé avec comme arguments -n +1 et il affichera sur stdout la ligne SINF1252.
Cette facilité d’ajouter de nouveaux interpréteurs de commande est une des forces des systèmes d’exploitation de la famille Unix.
Table des processus¶
Un système d’exploitation tel que Linux maintient certaines informations concernant chaque processus dans sa table des processus. Une description complète du contenu de cette table des processus sort du cadre de ce chapitre. Par contre, il est intéressant de noter que sous Linux il existe de nombreux utilitaires qui permettent de consulter le contenu de la table des processus et notamment :
- ps(1) qui est l’utilitaire de base pour accéder à la table de processus et lister les processus en cours d’exécution
- top(1) qui affiche de façon interactive les processus qui consomment actuellement du temps CPU, de la mémoire, ...
- pstree(1) qui affiche l’arbre des processus avec les relations père-fils
Tous ces utilitaires utilisent les informations contenues dans le répertoire /proc. Il s’agit d’un répertoire spécial qui contient de l’information à propos du système d’exploitation y compris la table de processus. Son contenu est détaillé dans la page de manuel qui lui est consacrée : proc(5).
A titre d’illustration, considérons le shell d’un utilisateur en cours. Les informations maintenues dans la table des processus pour ce processus sont accessibles depuis /proc/pid où pid est l’identifiant du processus en cours d’exécution. Linux stocke de très nombreuses informations sur chaque processus. Celles-ci sont structurées dans des fichiers et des répertoires :
$ ls -l /proc/18557
total 0
dr-xr-xr-x 2 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 attr
-r-------- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 auxv
-r--r--r-- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 cgroup
--w------- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 clear_refs
-r--r--r-- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 14:56 cmdline
-rw-r--r-- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 coredump_filter
-r--r--r-- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 cpuset
lrwxrwxrwx 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 cwd -> /etinfo/users2/obo/sinf1252/SINF1252/
-r-------- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 environ
lrwxrwxrwx 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 exe -> /bin/bash
dr-x------ 2 obo stafinfo 0 Mar 18 14:56 fd
dr-x------ 2 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 fdinfo
-r--r--r-- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 io
-rw------- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 limits
-rw-r--r-- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 loginuid
-r--r--r-- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 maps
-rw------- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 mem
-r--r--r-- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 mountinfo
-r--r--r-- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 mounts
-r-------- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 mountstats
dr-xr-xr-x 6 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 net
-r--r--r-- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 numa_maps
-rw-r--r-- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 oom_adj
-r--r--r-- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 oom_score
-r-------- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 pagemap
-r-------- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 personality
lrwxrwxrwx 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 root -> /
-rw-r--r-- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 sched
-r--r--r-- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 schedstat
-r--r--r-- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 sessionid
-r--r--r-- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 smaps
-r-------- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 stack
-r--r--r-- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 14:56 stat
-r--r--r-- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 statm
-r--r--r-- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 14:56 status
-r-------- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 syscall
dr-xr-xr-x 3 obo stafinfo 0 Mar 18 15:59 task
-r--r--r-- 1 obo stafinfo 0 Mar 18 16:37 wchan
Certaines des entrées dans /proc sont des fichiers, d’autres sont des répertoires. A titre d’exemple, voici quelques unes des entrées utiles à ce stade de notre exploration de Linux.
cmdline est un fichier texte contenant la ligne de commande utilisée pour lancer le processus
environ est un fichier texte contenant les variables d’environnement passées au processus
$ (cat /proc/18557/environ; echo) | tr '\000' '\n' USER=obo LOGNAME=obo HOME=/etinfo/users2/obo PATH=/usr/local/bin:/bin:/usr/bin MAIL=/var/mail/obo SHELL=/bin/bashstatus est une indication sur l’état actuel du processus. Les premières lignes indiquent dans quel état le processus se trouve ainsi que son identifiant, l’identifiant de son père, ...
$ cat /proc/$$/status | head -5 Name: bash State: S (sleeping) Tgid: 18557 Pid: 18557 PPid: 18556
limits est un fichier texte contenant les limites actuelles imposées par le système sur le processus. Ces limites peuvent être modifiées en utilisant ulimit(1) à l’intérieur de bash(1) ou via les appels systèmes getrlimit(2)/setrlimit(2).
$ cat /proc/18557/limits Limit Soft Limit Hard Limit Units Max cpu time unlimited unlimited seconds Max file size unlimited unlimited bytes Max data size unlimited unlimited bytes Max stack size 10485760 unlimited bytes Max core file size 0 unlimited bytes Max resident set unlimited unlimited bytes Max processes 1024 24064 processes Max open files 1024 1024 files Max locked memory 65536 65536 bytes Max address space unlimited unlimited bytes Max file locks unlimited unlimited locks Max pending signals 24064 24064 signals Max msgqueue size 819200 819200 bytes Max nice priority 0 0 Max realtime priority 0 0 Max realtime timeout unlimited unlimited ustask est un répertoire qui contient pour chaque thread lancé par le processus un sous-répertoire avec toutes les informations qui sont relatives à ce thread.
Nous aurons l’occasion de présenter ultérieurement d’autres éléments utiles se trouvant dans /proc. Une description plus détaillée est disponible dans la page de manuel proc(5) et des livres de référence tels que [Kerrisk2010].
Footnotes
[1] | Dans certains cas, on parle également de librairies dynamiques car ces librairies sont chargées dynamiquement à l’exécution du programme. |
[2] | La variable d’environnement PATH contient la liste des répertoires que le shell parcoure afin de localiser un exécutable à lancer lorsque l’utilisateur ne fournit par le chemin complet de l’exécutable à lancer. |
[3] | En pratique, il correspond une fonction de la librairie à chaque appel système. Cette fonction a le même nom que l’appel système et les mêmes arguments et fait appel à syscall(2) pour l’exécution de l’appel système. |
[4] | Par défaut, gcc(1) cherche après les librairies spécifiées dans les répertoires de librairies standards, mais aussi dans les répertoires listés dans la variable d’environnement LD_LIBRARY_PATH. Il est également possible de spécifier des répertoires supplémentaires contenant les librairies avec l’argument -L de gcc(1). |
[5] | Si le processus a été découpé en threads, le processus peut aussi se terminer lorsque son dernier thread se termine en exécutant return(...) dans sa fonction de démarrage ou par un appel explicite à pthread_exit(3). |
[6] | Si le processus dont l’identifiant est passé comme argument s’est déjà terminé, alors waitpid(2) retourne en indiquant une erreur. |
[7] | En pratique, il y a trois bits qui jouent ce rôle en fonction du possesseur du fichier et de l’utilisateur qui souhaite l’exécuter. Nous décrirons ces bits en détails dans un prochain chapitre. |