« Des vécus aux récits de la postmigration: Réinventer la narration de soi et du monde dans les sociétés européennes pluralistes »
Colloque international
Argumentaire et appel à contributions
Développée et portée par le monde universitaire germanophone, régulièrement mobilisée par la critique anglophone et scandinave, encore peu utilisée dans les études francophones et italophones, la postmigration se présente comme un tournant dans les discours sur la migration, qui, en abolissant l’opposition binaire entre migrants et non-migrants, permet d’envisager l’immigration comme une composante intrinsèque des sociétés européennes. Le colloque « Des vécus aux récits de la postmigration » s’inscrit dans le cadre de ce tournant épistémologique et analytique en cours. Il cherche à voir comment la postmigration amène à retravailler, voire à redéfinir les récits que l’on peut écrire, raconter ou reconstituer à partir des vécus et des expériences en lien avec la migration. Il s’intéresse aux postures, stratégies, dispositifs et contenus narratifs qui peuvent émerger des épreuves, des négociations, des conflits ou des alliances survenant au sein des sociétés européennes confrontées à la diversité impliquée par la migration.
Conscient des différents sens qui peuvent être prêtés à la postmigration, le colloque fait volontairement le choix d’entendre celle-ci dans son acception la plus large. Il invite ainsi à réfléchir sur les récits de personnes postmigrantes, entendus comme des descendants d’immigrés qui n’ont pas connu directement l’expérience migratoire. Mais il encourage aussi l’étude de récits consacrés aux sociétés postmigrantes définies comme des sociétés transformées par l’immigration. Enfin, il peut aussi être le lieu d’une perspective postmigrante sur le récit saisi comme pratique elle-même restructurée par l’immigration.
Résolument pluraliste, le colloque entend susciter le dialogue entre tous les arts et toutes les disciplines qui, d’une façon ou d’une autre, s’attachent à raconter ou à faire parler les traces et histoires que la migration laisse dans les différentes strates des sociétés européennes contemporaines. Pensé dans un esprit comparatiste, il encourage aussi la rencontre d’études menées sur les récits de la postmigration dans différents contextes culturels et linguistiques européens (Allemagne, Belgique, France, Italie, Espagne, Scandinavie, Royaume-Uni, etc.).
Issues de diverses disciplines, portant sur différents arts et cultures, les communications auront pour point commun d’explorer les récits postmigrants de soi et du monde. Ces récits pourront être abordés à travers toutes les dimensions du vécu individuel et collectif susceptibles de donner lieu à une forme de narration. Identité, hybridité, traumatisme ou épreuve sont quelques mots-clés qui pourront guider le récit du rapport à soi. Histoire connectée, mémoire et postmémoire sont autant de concepts qui pourront être mobilisés pour le récit du rapport au temps. Quant au rapport à l’espace, il pourra être saisi à travers les récits de lieux privés et publics qui portent des traces de la migration. Une attention particulière sera également prêtée à la dimension religieuse entendue comme composante qui structure autant le rapport à soi que le rapport au monde. À côté des pistes fournies ici à titre indicatif, de nombreuses autres dimensions pourront être envisagées.
Tout en pouvant aborder un vaste éventail de récits à partir de dimensions variées, les communications devront répondre à l’un des axes suivants.
1) Récits littéraires de la postmigration. Cet axe s’intéressera aux formes et aux contenus qui définissent le récit de la postmigration depuis les genres canoniques (roman, autofiction, autobiographie, etc.) jusqu’aux genres à la reconnaissance plus récente (rap, slam, etc.). Il s’agira d’explorer les ressources thématiques, sémiotiques, pragmatiques, linguistiques et narratives dont chaque genre dispose pour raconter et interroger les vécus propres aux individus ou aux sociétés postmigrantes. Les récits littéraires pourront aussi être envisagés comme des laboratoires de l’imaginaire qui permettent d’expérimenter de nouvelles configurations de l’identité, de la mémoire et de l’espace, qui restent largement à construire dans les sociétés pluralistes contemporaines. Les récits littéraires pourront enfin être étudiés des outils de reconnaissance qui font entendre les voix usuellement dominées et qui œuvrent ainsi à l’établissement d’une nouvelle communauté imaginée.
2) Récits visuels de la postmigration. Les réflexions porteront ici sur les productions artistiques, culturelles et médiatiques qui donnent une place centrale à l’image dans le récit de la postmigration (cinéma, documentaire, récit photographique, etc.). L’enjeu sera de mettre en évidence comment l’image offre des ressources spécifiques pour raconter et transmettre des vécus individuels et collectifs transformés par l’immigration. On pourra aussi interroger toutes les techniques (de composition, de montage) par lesquelles une image est amenée à narrer l’histoire des individus ou des sociétés postmigrantes en Europe. Dans cette optique, on pourra être particulièrement attentif aux récits qui rendent visibles les traces de la migration dans l’espace urbain et qui conduisent ainsi les lieux à raconter l’histoire, souvent silenciée, qu’ils conservent de l’immigration en Europe.
3) Récits postmigrants des études de terrain en sciences sociales. Cet axe portera sur les modes d’enquête qui, en anthropologie et en sociologie, permettent d’amener les populations immigrées et leurs descendants à se raconter selon une perspective « démigrantisée ». Il sera possible de réfléchir aux formes de récit qui permettent de rendre compte de l’expérience des personnes interrogées comme d’une composante intrinsèque aux sociétés européennes. Dans cette optique, on pourra être particulièrement attentif aux récits scientifiques qui, à partir de trajectoires de vie concrètes, redéfinissent les histoires et les identités européennes par l’intégration de référents culturels, tels que l’islam, dans un horizon pluraliste où ils cessent d’être tenus pour étrangers.
4) Récits historiques de la postmigration. Il s’agira ici d’analyser et d’illustrer comment la postmigration permet de produire un contre-discours aux formes dominantes de l’histoire nationale. Dans cette optique, notamment dans le prolongement des travaux de Duncan S.A. Bell sur le « mythscape » (2003), on pourra s’intéresser aux conditions d’écriture et de réception d’une historiographie transnationale et connectée permettant de rendre compte de la formation et de l’évolution des sociétés européennes postmigrantes.
5) Récits postmigrants et éducation. Cet axe s’intéressera à la manière dont l’usage du récit peut contribuer à affronter les défis pédagogiques que suppose le multiculturalisme en classe dans les sociétés européennes de la postmigration. Il s’agira également d’explorer et de détailler des activités et des dispositifs pédagogiques novateurs à travers lesquels les élèves et les étudiants peuvent partager des histoires personnelles profondément liées à l’immigration et à la diversité des héritages culturels et religieux.
6) Récits postmigrants et engagement. Cet axe se demandera comment le récit peut fonctionner comme une forme d’engagement face aux enjeux sociétaux liés à la pluralité des héritages culturels et religieux. Il s’agira notamment d’explorer si, pour faire valoir leur point de vue spécifique à travers le récit, les individus investissent en particulier certains domaines du vécu personnel ou collectif (développement personnel, questions relatives au corps, prises de position politique, etc.). Il faudra aussi s’interroger sur les modalités par lesquelles les récits traduisent l’engagement de leur auteur. Il sera également intéressant d’étudier les valeurs qui sous-tendent l’engagement et qui se trouvent exprimées dans le récit.
7) Récits postmigrants et réception. Cet axe s’intéressera à la façon dont les récits de la postmigration préparent leur propre réception. On pourra notamment étudier comment les récits jouent avec l’horizon d’attente du récepteur suivant l’usage qu’ils font des stéréotypes et des conventions génériques. Il s’agira également de voir comment le récit, en tant qu’acte communicationnel, est construit afin de transmettre un message tenant compte du contexte pluraliste dans lequel il est émis. On pourra enfin envisager l’image du récepteur que construit le récit et, en lien avec l’axe précédent, le type d’engagement qu’il cherche à susciter auprès de son destinataire implicite.
Le colloque se tiendra à l’Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve, Belgique) du 17 au 19 septembre 2025.
Les communications pourront être réalisées en anglais, en français, en allemand ou en italien. Les propositions, consistant en un titre, un abstract (environ 300 mots) et une brève notice bio-bibliographique, sont à envoyer à Amaury Dehoux (amaury.dehoux@uclouvain.be), Hubert Roland (hubert.roland@uclouvain.be) et Letizia Sassi (letizia.sassi@uclouvain.be), pour le 30 avril 2025 au plus tard.
Des panels peuvent également être proposés. Nous demandons à l’organisateur/organisatrice du panel de nous envoyer un document reprenant le titre et le programme du panel, avec un abstract de chaque communication (environ 300 mots) et une présentation bio-bibliographique de chaque intervenant. Dans ce cas aussi, les propositions sont à envoyer à Amaury Dehoux (amaury.dehoux@uclouvain.be), Hubert Roland (hubert.roland@uclouvain.be) et Letizia Sassi (letizia.sassi@uclouvain.be), pour le 15 avril 2025 au plus tard.
Les réponses à toutes les propositions seront communiquées le 15 mai 2025 au plus tard.