La médecine interne de 1926 à 1948

Extrait de
P. Lambin
Allocution prononcée à l'occasion de l'ouverture des cours de la Clinique médicale A, le 18 octobre 1948
Revue Médicale de Louvain 68:1-12,1949



Au moment d'occuper cette chaire de Clinique médicale, en octobre 1948, je revois en esprit l'état de la médecine interne à l'époque de mon internat en 1926
Dans le domaine des maladies du coeur, le recours à l'électrocardiogramme était encore tout à fait exceptionnel : c'est à peine si nous adressions de temps à autre à l'Institut de Physiologie un patient présentant un trouble du rythme qui nous semblait extraordinaire. Le diagnostic d'infarctus du myocarde n'était posé qu'à l'autopsie.
 
En pathologie respiratoire, pneumonies et bronchopneumonies étaient des affections redoutées, dont nos thérapeutiques ne modifiaient guère révolution. En matière de tuberculose, l'école de Louvain commençait seulement à abandonner les espoirs qu'elle avait basés sur la tuberculinothérapie et à appliquer les méthodes collapsothérapiques, auxquelles il n'était encore que rarement recouru.
 
En endocrinologie, l'opothérapie thyroïdienne était la seule à donner des résultats incontestables ; le métabolisme basal, grande nouveauté, se mesurait à l'Institut de Physiologie, où le professeur Noyons poursuivait d'intéressantes recherches dans ce domaine.
L'insuline venait de faire son apparition, mais nous l'injections encore à petites doses, par suite de son prix élevé et d'une crainte exagérée dès accidents hypoglycémiques.

En gastro-entérologie, la cholécystographie était encore inconnue et nous ne pratiquions pas encore le tubage duodénal. Mais notre maître Albert Lemaire avait poussé très loin l'étude des topographies douloureuses et des réflexes viscéromoteurs, ce qui lui permettait de brillants diagnostics en pathologie abdominale.

Dans le domaine des maladies du sang, les anémies pernicieuses méritaient encore leur nom et aboutissaient régulièrement à la mort. En dehors des hémorragies aiguës, on ne recourait à la transfusion sanguine qu'avec parcimonie. Nous n'avions pas encore vu un seul cas d'agranulocytose.
Dans les septicémies, la sérothérapie et les autres thérapeutiques mises en œuvre, procuraient rarement un succès.
 
Le bilan des 23 années qui se sont écoulées depuis lors tient vraiment du prodige, et le rythme des progrès va en s'accélérant.

Parmi les grandes découvertes thérapeutiques de cette époque, une des premières en date a été celle du traitement des anémies pernicieuses par l'opothérapie hépatique, que nous devons aux recherches de Minot et Murphy, basées elles-mêmes sur les expériences de Whipple. Notre maître, le professeur Lemaire, fut le premier en Europe à confirmer le caractère décisif des résultats thérapeutiques acquis par la nouvelle méthode.

Les progrès réalisés dans la lutte contre les agents infectieux ont eu une portée immense. Ils se firent en deux étapes. De 1935 à 1944, ce fut l'ère des sulfamidés, nés des travaux de Domagk sur le prontosil. Le pronostic de la plupart des infections streptococciques en fut complètement modifié, comme celui de la pneumonie, vaincue par le Dagenan (sulfapyridine).
A partir de 1944, s'ouvrit l'ère des antibiotiques, avec la pénicilline de Fleming, suivie de la streptomycine de Waksman, qui a permis pour la première fois d'arracher à la mort des cas de granulie aiguë et de méningite tuberculeuse.

Il nous faudrait des heures pour passer en revue tous les progrès marquants de la pharmacothérapie : contentons-nous d'une allusion rapide aux hormones synthétiques, aux vitamines, aux antihistaminiques, aux antithyroïdiens de synthèse, aux agents cytostatiques.
L'introduction de ces agents puissants en thérapeutique n'a pas été du reste sans contre-partie : les phénomènes d'intolérance dus à l'idiosyncrasie et aux surdosages ont fait apparaître une pathologie nouvelle avec laquelle le praticien d'aujourd'hui doit être familiarisé.
 
La période considérée a vu le développement d'innombrables techniques diagnostiques nouvelles et le raffinement de la plupart de celles que nous possédions déjà.
En cardiologie, l'électrocardiographie a pris un développement considérable. Les spécialistes ont accumulé une énorme documentation sur l'interprétation des tracés obtenus en dérivations périphériques. Depuis 10 ans, l'étude des dérivations précordiales a fourni une ample moisson de données complémentaires.

En pneumologie, les observations des bronchoscopistes sont en train de rénover la pathologie bronchique. Le repérage topographique des lésions pulmonaires, qu'il s'agisse de bronchectasies, d'abcès, de cavernes ou de tumeurs, est devenu de plus en plus précis grâce à l'association de l'endoscopie et des investigations radiologiques, parmi lesquelles la tomographie s'est acquis une place de premier rang. Ce repérage soigneux eut été assez inutile à l'époque encore proche où la plupart de ces lésions n'étaient que médiocrement influençables par nos traitements symptomatiques ou généraux. Il est devenu obligatoire depuis que les progrès de la chirurgie thoracique ont permis d'entreprendre des exérèses susceptibles de procurer une guérison intégrale.

En hématologie, les ponctions des organes hématopoïétiques et plus particulièrement la biopsie médullaire sont venues compléter l'étude du sang périphérique. Leur interprétation exige une connaissance approfondie de l'hématologie morphologique. De nombreux cas de diagnostic difficile ont été de ce fait éclairés, mais de nouveaux problèmes ont été posés, que nous ne soupçonnions pas, en sorte que certaines hémopathies nous apparaissent aujourd'hui plus complexes qu'il y a 20 ans et devront probablement être démembrées.

En endocrinologie, les travaux conjugués des cliniciens, des expérimentateurs et des biochimistes ont permis de préciser la pathogénie et la symptomatologie humorale des diverses endocrinopathies : la part de la biochimie dans l'interprétation de bien des syndromes s'est considérablement accrue. Nous n'en donnons pour preuve que les recherches récentes sur les cétostéroïdes urinaires.

En pathologie digestive, la collaboration des gastro-entérologues et, des radiologistes a poussé jusqu'au raffinement l'analyse des clichés de l'estomac et du duodénum, cependant que la pathologie hépatobiliaire a largement bénéficié de la mise au point de nombreuses épreuves fonctionnelles et de la cholécystographie.