Le laboratoire de
Carnoy
S'appliquant à l'étude de la cellule, structure fondamentale de la matière vivante, Jean-Baptiste Carnoy (1836-1899), s'est tout naturellement intéressé à la microscopie. Dès qu'il eut obtenu le doctorat en sciences naturelles en 1861, il se rendit à Bonn grâce à une bourse de voyage du Gouvernement - un des rares modes de financement possibles pour des séjours d'étude et de recherche - et étudia sous la direction du professeur Haustein. Lorsqu'il fut nommé à la chaire de Biologie générale en 1876, il publia un Manuel de microscopie (1879), équipa un premier laboratoire à ses frais, mal commodément installé dans un grenier du collège du Pape, et fit en sorte que tous les étudiants disposent d'un microscope, robuste et bien conçu, le statif VII de C. Zeiss. Enfin, dans le premier fascicule de la Biologie cellulaire (1884), il consacra 130 pages aux techniques microscopiques: une partie singulièrement détaillée et fouillée, abondamment illustrée. En 1889, il négocia l'achat du collège de Villers - un édifice de 1760 qui avait appartenu à l'ancienne université - grâce à un legs dont il bénéficia conjointement avec Gustave Verriest. Ils y installèrent l'enseignement et la recherche en cytologie, en histologie et en anatomie. La revue La Cellule (fondée en 1884) y disposait d'un bureau et d'un espace de travail pour un dessinateur et un graveur. Désormais, plusieurs générations de biologistes allaient vivre l'aventure enthousiasmante des études universitaires et de la recherche dans ce bâtiment. Carnoy manifestait un grand intérêt
pour les problèmes techniques regardant
l'optique, la préparation des coupes,
les manipulations qui se posaient alors avec
une acuité et une ampleur que l'on mesure
difficilement aujourd'hui où l'on est
passé à un autre niveau de performances
et de solutions techniques. Un des enjeux majeurs fut
de pouvoir examiner des tissus, là où
les devanciers n'avaient pu observer que des cellules
isolées ; et, bien sûr, il s'agissait
d'atteindre les composants de la cellule. Carnoy
correspondait avec Carl Zeiss, le célèbre
fabriquant d'instruments d'optique de Iéna.
Plusieurs fois, il testa des prototypes Zeiss
et ne manqua pas d'en dire l'excellence dans
ses publications, son laboratoire recevant gracieusement
des objectifs et divers accessoires. Partie et contre-partie
furent équitables. Jean-Baptiste Carnoy opéra dans
le nouveau champ disciplinaire des avancées
décisives, même si toutes ses intuitions
scientifiques ne se vérifièrent
pas. Il fut aussi, et cela regarde notre propos sur
le développement de la recherche à l'UCL,
un meneur d'hommes sachant s'entourer des plus compétents,
ainsi qu'un organisateur hors pair. Lui et quelques
autres à l'université, dont son
collègue historien et ami Alfred Cauchie,
lancèrent le laboratoire (en sciences humaines,
le séminaire) comme idéal scientifique,
lieu de recherche et de formation, lieu de vie
rassemblant quotidiennement un patron et une équipe. Le laboratoire au temps de Pierre Martens Après le décès
de Carnoy, la direction du laboratoire de cytologie
fut confiée à Victor Grégoire,
élève de Carnoy, ensuite à
Pierre Martens (1895-1981). La disposition des
lieux dans les années '50 était semblable
à celle que Carnoy avait voulue : une longue
salle, très éclairée ; au centre,
le plan de travail du patron du laboratoire, et
face à chaque fenêtre, une logette
destinée à un étudiant/chercheur.
Lorsque l'un ou l'autre s'enthousiasmait pour
ce qu'il rencontrait au bout de son microscope,
il appelait les autres. La discussion scientifique
se faisait tout naturellement dans un tel lieu. Le patron du laboratoire stimulait les
recherches, notamment des futurs docteurs, à
partir de thèmes qu'il déterminait,
imposait en réalité. Pierre Martens
s'est intéressé à un grand
nombre de sujets, sa curiosité étant
toujours en éveil. " Allons y voir "
était son réflexe à propos d'une
question obscure. Il y mettait au travail des étudiants/chercheurs
et les suivait de tout près. Pierre Martens,
qui enseigna à plus de 1 000 étudiants
par an, alliait l'enseignement et la recherche.
À son sens, ils formaient un tout indissociable.
Pas de distinction, tout au contraire : un soutien
et une inspiration mutuels qui caractérisent
l'université. La recherche permet, par
rapport à l'enseignement, une perpétuelle
remise à jour. Elle rend concrètes
les préoccupations les plus nouvelles.
Rien de plus stimulant pour un auditoire que
d'entendre celui qui enseigne dire " pas plus
tard que hier, j'ai vu au microscope… ". Réciproquement,
l'enseignement est une bonne école pour le chercheur
car il l'oblige à rendre intelligible,
à adapter son discours afin de faire passer
des notions souvent difficiles, ardues, sans
pour cela les fausser, les simplifier à
outrance. C'est là toute la difficulté
de la bonne " vulgarisation ". L'enseignement
amène à une réflexion de
fond sur le sens de la recherche. Ainsi, ce qui à
mes yeux caractérise l'université, c'est
cette symbiose essentielle et permanente entre recherche
et enseignement. Qui ne se souvient de ces moments où le Professeur quittait le laboratoire pour tout mettre en place dans l'auditoire, inscrire un plan au tableau, préparer les schémas et les dessins. L'étudiant, le cours terminé, voyait alors Pierre Martens regagner son laboratoire qui jouxtait l'auditoire de candidature. Certains professeurs peuvent jouer ainsi un rôle décisif dans le développement de la vocation des futurs chercheurs et déterminer l'orientation qu'ils choisissent. |