Colloque Savoirs Formels, Savoirs Informels (2000)
AbstractsVéronique Duchenne (GReMS - COMU - UCL)Le tourisme rural, entre connaissance et reconnaissance.Depuis deux ans, nous menons une enquête de terrain dans un petit village du sud de l'Entre-Sambre-et-Meuse (Belgique). Ce village, comme beaucoup d'autres partout en Europe, poursuit activement une politique de développement touristique, dans l'espoir de remédier à la crise sociale et économique qu'il traverse. Dans un contexte où le tourisme culturel reprend vigueur (renouant ainsi avec les pratiques qui ont marqué l'"invention" du tourisme moderne aux 18o et 19o siècles), les décideurs locaux multiplient la création de musées et d'"attractions touristiques", plus ou moins étroitement dévolus à l'explicitation de l'identité locale. Le village que nous observons compte désormais cinq musées, tandis que ses alentours, essentiellement boisés, sont quadrillés par des chemins balisés que le promeneur est invité à parcourir, "topoguide" en main. L'analyse des réalisations (musées, plaquettes, bornes, topoguides...), de même que l'observation des touristes visitant les lieux, nous conduisent à proposer plusieurs réflexions en lien avec la problématique des savoirs informels.Sur le plan de la réorganisation de l'espace suite à sa "mise en tourisme", force est de constater que les touristes y sont considérés a priori comme à informer, voire à éduquer. Dans la plupart des espaces destinés aux touristes, les aménageurs ne se bornent pas à faciliter l'accès au lieu (J. Davallon parlerait alors de "mise en valeur" d'un site). Considérant que les visiteurs ne disposent pas nécessairement d'un bagage de connaissances préalables suffisant pour interpréter les lieux, ces responsables mettent au point des dispositifs (écrits, muséaux, etc.) susceptibles de fournir aux touristes des clés de compréhension et de signification de l'espace (géographique, social, culturel) qu'ils découvrent. En ce sens, nous pensons que la construction touristique de l'espace rural correspond à la notion de "valorisation" telle que définie par J. Davallon : l'enjeu y consiste non seulement à fournir un accès matériel au site, mais également à en faciliter l'accès "intellectuel" ou "culturel", quand bien même le tourisme rural se serait caractérisé, depuis sa création, par des pratiques essentiellement récréatives et physiques. Dans le cadre du tourisme rural, nous constatons que les systèmes d'interprétations proposés fondent essentiellement leur construction et leur légitimité sur les registres de l'authenticité, de l'ancienneté et de l'esthétique. Les informations qui sont communiquées aux touristes concernent invariablement le passé, tandis que toute allusion au présent et aux réalités contemporaines de la région est exclue. Les connaissances ayant trait aux sciences naturelles (faune, flore, etc.) sont elles-mêmes enchâssées dans des discours de préservation et de patrimonialisation qui correspondent à une idéologie de rejet du progrès. S'agissant d'évoquer la culture locale, les mêmes mécanismes de valorisation du passé sont à l'oeuvre, les autochtones n'étant en définitive représentés qu'au travers de l'évocation (souvent idéalisée) de leurs ancêtres. Sur le plan de l'appropriation de cet espace touristique rural par les touristes, nous observons que ces derniers valorisent l'objectif culturel de leur voyage (celui-ci légitime le déplacement) et se forgent une représentation de l'espace (géographique et culturel) en puisant de manière disparate parmi les informations qu'ils ont reçues et ce qu'ils ont observé de leur propre chef. La vision qu'ils conservent du lieu est vécue comme actualisée (ils parlent de la région visitée au présent, soulignent ce qu'ils pensent être ses réalités contemporaines), mais, ponctuellement, ils transposent au présent les informations "historiques" qu'ils ont reçues. L'image de la communauté villageoise soudée et homogène, par exemple, persiste dans leur imaginaire, même si cette représentation relève désormais davantage du stéréotype que de la réalité. Les catégories de touristes âgés que nous observons manifestent à l'égard des dispositifs et des lieux une empathie qui les pousse davantage à s'y reconnaître qu'à les connaître (M. Augé). Le thème du retour aux sources et aux racines, de la remémoration des souvenirs d'enfance (d'un passé révolu) instaure un rapport aux lieux et aux objets dans lequel les visiteurs se positionnent comme possesseurs du savoir bien plus que comme destinataires d'un savoir qu'il s'agirait de leur dispenser. Le contexte social (excursions organisées) des visites crée quant à lui une sociabilité particulière au sein des voyageurs, qui constitue un objectif en soi du voyage, au même titre (sinon davantage) que l'objectif culturel, pourtant revendiqué avec insistance.
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Auteur: Pierre
Fastrez Modifications: Pierre
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Date de dernière modification:
09.03.2010