Colloque Dispositifs et Médiation des Savoirs (1998)

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L'usage de la notion de dispositif comme cadre d'analyse sociologique du fonctionnement d'un laboratoire industriel

François Mélard
Unité de Sociologie (USOC), UCL & Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris (ENSMP)

 

Quid de la notion de dispositif ?

Un dispositif peut se concevoir comme la concrétisation d'une intention au travers de la mise en place d'un collectif composé d'êtres humains et d'êtres non-humains. Un dispositif est, dès lors, la manifestation d'une volonté (quelques fois oubliée...) pour laquelle des environnements sont aménagés.La volonté de connaître ( que cela soit pour des raisons scientifiques, pédagogiques, politiques, industrielles ou économique...) mobilise des ressources qui ensemble produisent les conditions de fonctionnement du dispositif socio-technique.

La notion de dispositif qui sera développée ici s'insérera dans une sociologie des pratiques métrologiques c'est-à-dire une sociologie des pratiques sociales pour lesquelles la production de l'action collective est tributaire d'une coordination instrumentée. Cette thématique, qui est très large et dans laquelle peuvent se référer, sans doutes, des pans entiers de vos propres recherches, peut se traduire en une problématique tout aussi large d'ailleurs : comment des acteurs sociaux produisent une action sociale par l'intermédiaire d'instruments de mesure ?

Cette dimension métrologique de l'activité sociale est omniprésente dans la vie quotidienne ; mais curieusement, elle passe souvent inaperçue dans les études sociologiques et anthropologiques, comme si ces innombrables dispositifs consacrés au comptage, à l'enregistrement, à l'agrégation ou la désagrégation des hommes, des choses, des flux, etc. existaient de manière transparente, autonome, et surtout comme s'ils ne modifiaient en rien les rapports sociaux ou le lien social. Néanmoins, si pour la communauté des sociologues la production de l'ordre social ou des macro-structures telles les institutions ou les sociétés pose de nombreux problèmes d'ordre théorique, il apparaît, à la lecture minutieuse des pratiques sociales, que les acteurs sociaux eux-mêmes produisent, au jour le jour, des collectifs, des indicateurs censés représenter l'état des choses.

Un des enseignements les plus féconds du cadre interprètatif qu'offre la notion de dispositif est le rôle que peut jouer les instruments dans la substantialisation des croyances sociales et culturelles. Dans chaque cas concrets, les machines, instruments, organigrammes, formulaires sont autant, non seulement, d'indicateurs mais de véritables " lieutenants " de l'imaginaire sociale de l'action éfficace. Ils reposent sur une idée diffuse de l'éfficacité et de la justesse . Ainsi, ce trouve plier en leurs sein et dans leurs manipulations, tous un ensemble d'idéaux. Chaque proposition de modification dans leur substance ou dans leur usage est soumise à un calcul d'intérêt, puisque chacune des modifications apportées peuvent porter atteinte aux systèmes des équivalences qu'elles rendent possibles.

Une étude de cas:

Comment s'y prend-t-on pour connaître le plus exactement possible la richesse en sucre des betteraves qu'un planteur apporte à la sucrerie pour se faire payer ? Voilà, a n'en pas douter, une curieuse question qui porte en elle mêmes bien d'autres plus étranges encore... : pourquoi payer les betteraves en fonction de leur richesse en sucre ? Que signifie connaître exactement la richesse en sucre ? Comment et pourquoi instrumenter la connaissance que l'on peut avoir de la qualité de ces betteraves ? La connaissance de la qualité du travail réalisé (pour le cultivateur) ou d'une matière première (pour le fabricant de sucre) se doit d'être médiatiser par la mobilisation de toute une série de ressources autant techniques - avec la mise en place d'une procédure d'échantillonnage et d'analyse chimique des livraisons - que sociales - avec la confrontation des différentes manières de se représenter ce qu'est une betterave. Une attention particulière sera donnée à la description du dispositif d'échantillonnage ainsi que sur les principes moraux sur lesquelles il repose et puise sa légitimité. Ainsi, nous verrons comment une chaîne technique se doit de se conformer à des nécessités politiques, économiques et sociales pour absorber la contrainte particulière qu'exerce le contrôle contradictoire des livraisons de betteraves par des acteurs ayant des intérêts relativement opposés.


  Auteur: Hugues Peeters — Modifications: Pierre Fastrez   
  Date de dernière modification: 09.03.2010