Colloque Dispositifs et Médiation des Savoirs (1998)

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Présentation

Visiter un musée ou une exposition, se plonger dans un cd-rom multimédia, naviguer sur Internet, prendre part à un forum de discussion, déambuler dans un parc d'attraction, jouer avec une console vidéo... ces nouvelles formes d'expérience font de plus en plus partie de notre quotidien. Au-delà de leur diversité apparente, toutes présentent cette particularité de se dérouler au sein d'«environnements» aménagés, c'est-à-dire : de dispositifs.

 

Introduction : le concept de dispositif

Si l'on parcourt la littérature actuelle en sciences humaines, on est frappé par la fréquence d'utilisation du terme « dispositif » et en même temps, par l'extrême diversité des champs dans lesquels cette notion apparaît, faisant l'objet de débats spécifiques et originaux, mais aussi relativement déconnectés les uns des autres.

Par ailleurs, dans ces débats, une sorte de paradoxe peut surprendre : l'utilisation fréquente de la notion pour sortir d'impasses théoriques ou donner corps à des intuitions pratiques, mais aussi son extrême discrétion. Le concept de dispositif apparaît souvent comme une sorte de « terme nègre », dans des expressions telles que « dispositif cognitif collectif », « dispositif de médiation des savoirs », « dispositif de surveillance », « dispositif d'interactivité distribuée », « dispositif filmique », etc., c'est-à-dire dans des expressions de portée plus restreinte où l'accent tonique est mis sur les attributs de la notion plutôt que sur la notion de dispositif elle-même. Pourtant, la pertinence de ces expressions semble également tenir à la valeur propre de l'idée de dispositif.

Derrière ces questions de vocabulaire, derrière cette prolifération, il semble - telle est l'idée de cette proposition - qu'un véritable concept de dispositif est en voie d'émergence, concentrant un certain nombre de changements de perspectives théoriques comme de visées pratiques, notamment dans le champ de la médiation des savoirs. Mais en même temps, cette notion demande encore à être travaillée, précisée, conceptualisée.

 

Des « lieux de formation » aux « dispositifs de médiation »

La médiation des savoirs a été généralement appréhendée à partir des formes et des lieux institutionnels qui lui sont consacrés : le livre, l'école, la bibliothèque, et autres « hauts-lieux » de la culture. Or, en l'abordant à partir de ces champs spécifiques, elle se connote de significations très particulières et limitatives. Cependant, il devient important, à côté de ces champs spécifiques, de détecter d'autres formes et d'autres lieux où des savoirs se constituent : les genres télévisuels, les expositions, les journaux, les magazines, les cybercafés, les multimédias, les jeux vidéo, les parcs d'animations, etc. Ces nouvelles formes suggèrent un élargissement du cadre dans lequel sont posées les questions de médiation des savoirs ; un tel élargissement devrait pouvoir s'opérer sans nuire à la cohérence, à la spécificité de la notion.

 

Les transformations de l'« apprendre » liées à la multiplication des dispositifs de médiation des savoirs.

S'étant inscrites dans une pluralité de champs d'application, les nouvelles technologies de la communication ont pu servir, dans un premier temps, de marchepied à cette appréhension plus transversale de la médiation des savoirs. A en croire le discours sur la société de l'information qui les accompagne, ces nouvelles technologies déplacent la question de la connaissance vers un autre lieu, autonome et transversal à tous les autres. Cependant, cette approche « technologiste » peut, à son tour, faire subir une réduction à la notion de savoir, qu'elle ramène à une collection d'informations traitées de manière logico-formelle. Lorsque l'on observe les utilisateurs de ces technologies, on constate en effet qu'ils adoptent d'autres démarches que celle exclusivement centrée sur le traitement de contenus de connaissance. On remarque, par exemple, des démarches opératoires, privilégiant la manipulation, l'essai et erreur ; on voit aussi des comportements affectifs, expérienciels, voire même corporels ; ou encore des démarches de l'ordre de la créativité et de l'expression personnelle...

Tous ces constats conduisent à reconsidérer nos conceptions de l'apprentissage et de la construction des savoirs. Dans cette perspective nouvelle, apprendre ne signifie plus seulement assimiler des agencements d'informations, des contenus objectivables, dans des espaces institués à cet effet. C'est, aussi, faire l'expérience d'environnements qui permettent de se les approprier de diverses manières. Ce sont ces environnements qui doivent être théorisés à partir de la notion de dispositif. Ainsi, cette notion, pour peu qu'on la définisse de façon rigoureuse, paraît susceptible d'élargir l'approche de la connaissance au-delà des domaines habituels. Elle permet d'éviter l'appauvrissement de l'idée de savoir que certains entrevoient comme une conséquence fatale des nouvelles technologies de l'information.

 

De l'apprentissage à l'expérience

De tels changements, cependant, gardent pour acquise la spécificité des situations d'apprentissage par rapport aux autres circonstances de la vie quotidienne. Or, lorsqu'on donne son plein sens à la notion de dispositif, l'évidence de cette spécificité vacille. Il apparaît au contraire que la dimension de l'apprentissage est présente dans tout dispositif, de manière plus ou moins centrale, et corrolairement, qu'elle n'est qu'une dimension parmi d'autres des dispositifs considérés habituellement comme orientés vers cette finalité. Au-delà de la question de l'apprentissage dans les dispositifs, se pose dès lors aussi celle de l'expérience faite des dispositifs, en tant que constitutive, dans notre société, du rapport que nous entretenons à nous-mêmes, aux autres et au monde.

La question peut donc être élargie à celle de la place des dispositifs dans la vie quotidienne, comme agents d'organisation sociale, comme lieux de plaisir, comme espaces potentiels. Ces « ouvertures » du concept de dispositif devraient permettre d'enrichir la recherche sur la médiation des savoirs, en permettant de prendre plus de recul, de jeter un regard plus novateur sur les domaines qu'elle aborde traditionnellement - à savoir, les lieux institués de formation de la connaissance. Par ailleurs, une réflexion conceptuelle de cette envergure contribuerait sans doute à l'indispensable renouvellement des cadres d'analyse des politiques et des pratiques actuelles en matière d'éducation et de formation. L'enjeu est ici d'explorer les nouvelles possibilités offertes par ce que certains appellent la « société cognitive », pour éviter de « faire du vieux avec du neuf ».

 

En bref

L'hypothèse sous-jacente à cette proposition est donc que ce qui est en train de se jouer, c'est le passage d'une conception de la connaissance comme contenus à une autre, qui la voit comme l'expérience faite d'environnements aménagés, de dispositifs. C'est à l'affinement de cette hypothèse, à l'examen de ses implications dans le champ de la médiation des savoirs, à sa confrontation éventuelle avec d'autres conceptions (philosophique, sociologique, psychologique, économique, juridique), qu'est consacré ce colloque. Il ne s'agit donc pas de dresser un inventaire des différentes sortes de dispositifs existants, mais bien, à partir de cas concrets, d'entamer l'élaboration théorique d'un concept souvent utilisé, mais encore peu défini. Une telle entreprise de clarification, aujourd'hui, est susceptible de débloquer des débats intellectuels et de lancer de nombreuses pistes heuristiques pour les chercheurs, les concepteurs de dispositifs et les responsables politiques.


  Auteur: Hugues Peeters — Modifications: Pierre Fastrez   
  Date de dernière modification: 09.03.2010