Colloque Dispositifs et Médiation des Savoirs (1998)

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Le Tamagoshi, nouveau dispositif cognitif et affectif

Thierry De Smedt
Dépt de Communication (COMU), UCL
Groupe de Recherche en Médiation des Savoirs (GReMS)

 

Un Tamagoshi est un petit jeu électronique de la taille d'un porte-clés comportant trois ou quatre boutons et un écran noir et blanc d'environ trois centimètres de côté. Ces animaux virtuels et électroniques que sont les Tamagoshi, ont, paraît-il, fait fureur au Japon avant d'être vendus en Europe depuis un peu plus d'un an. L'animal consiste en un écran qu'il faut « nourrir », « laver » et « faire dormir » à intervalles réguliers. De l'attention du joueur, de ses soins, dépend la vie d'un animal... virtuel. Il vieillit d'un an chaque nuit et met environ 20 jours pour sortir de sa coquille et se transformer en oiseau. Le Tamagoshi s'est déjà vendu à 7 millions d'exemplaires au Japon et l'exportation a commencé en février vers 10 pays. A New York, un magasin de jouets affirme en avoir écoulé 30.000 en trois jours.

Mais les Tamagoshi ne sont pas du goût de tous. Les proviseurs des écoles de Hong Kong sont de plus en plus nombreux à les interdire dans l'enceinte de leur établissement, sous prétexte que les élèves ne peuvent plus se concentrer, trop occupés qu'ils sont à prendre soin de leurs jouets durant les heures de cours. Un psychologue d'une école primaire de New York aurait, selon le journal Le Soir, mis en garde contre les effets pernicieux du jouet. En Italie, où il connaît aussi un succès foudroyant, un psychologue a qualifié ces créatures de " jeu diabolique " car, juge-t-il, le risque existe d'un traumatisme pour les jeunes enfants à la mort de l'animal.

Dans la presse étrangère également et chez certains parents et éducateurs, les Tamagoshi sont souvent décriés. Selon l'agence Reuter, le « Quotidien du Peuple », organe du Parti communiste chinois, a estimé récemment que ces « animaux » pouvaient être une calamité pour les enfants. Hong Kong et Taiwan les ont déjà interdits dans les écoles. Ils sont vus comme des menaces pour l'intégrité cognitive et affective des enfants.

Bandai, la société qui commercialise les Tamagoshi, déclare qu'en moins d'un an, elle a vendu plus de 21 millions de ces jouets. D'autres versions sont commercialisées par des fabricants de médias comme la société Walt-Disney, reprenant les héros de ses films.

Comme nouveau média, le Tamagoshi présente cependant des aspects remarquables. Le premier concerne sa nature de dispositif. Contrairement à de nombreux médias classiques dans lesquels le récit se développe à l'identique, comme le fait un film ou un enregistrement sur disque, le Tamagoshi débute son évolution à partir de conditions initiales définies, mais évolue ensuite différemment suivant les "soins" apportés par le joueur. Ainsi, à chaque nouvelle vie, le Tamagoshi présente un récit différent. En ce sens, il se range davantage du côté du dispositif que du message. Il propose en effet au "lecteur" de jouer un rôle dans la biographie du petit animal virtuel.

En second lieu, les différents états du récit apparaissent sur l'écran sous la forme d'idéogrammes dynamiques (Pierre Lévy, L'idéographie dynamique. Paris, La Découverte, 1991) utilise ces termes. Ces idéogrammes sont des figures schématisées du petit animal-personnage, dotées de certains attributs visuels correspondant à l'état instantané de celui-ci. Le joueur peut ainsi repérer à tout moment l'effet de ses soins sur l'animal. La modélisation d'un personnage virtuel apparaît donc sous la forme d'un idéogramme modulé par chaque état du personnage virtuel sur lequel agit le joueur. Voici, par exemple l'image initiale et l'image finale d'un personnage devenu ange et flottant parmi les étoiles à la fin de sa vie.

 

Face aux nombreux dangers signalés par les éducateurs, il conviendrait d'être plus soucieux d'observer ce que font réellement les enfants lorsqu'ils jouent avec des Tamagoshi et s'il y voient plutôt un personnage réel -ce serait alors une lecture de récit- ou plutôt une oeuvre d'auteur, qui impliquerait davantage une réception liée à un discours. Dans ce dernier cas, on peut imaginer que le Tamagoshi donne lieu à des attitudes réceptrices plus décentrées. En outre, il y a matière à se demander si le Tamagoshi n'est pas le précurseur d'un nouveau dispositif narratif hypermédiatique susceptible d'une approche éducative féconde qui s'inscrirait dans la ligne-même de l'éducation aux médias. L'inquiétude des éducateurs devant le Tamagoshi semble, à certains égards, l'expression d'un désarroi à l'encontre de cet objet médiatique nouveau plus proche du dispositif que du message. Cela montre peut-être que l'idée d'un dispositif fait aujourd'hui plus peur que celle d'un message.


  Auteur: Hugues Peeters — Modifications: Pierre Fastrez   
  Date de dernière modification: 09.03.2010