Prix Jean Sonnet 2007
Ama Contacts n°53
André Verheylewegen, lauréat du Prix Jean Sonnet 2007, nous envoie un texte résumant son travail en Bolivie, particulièrement riche et original en raison de sa double qualité de prêtre et de médecin.
Médecin et prêtre en Bolivie
Médecin diplômé de l’UCL en 1975, spécialisé en chirurgie et en médecine tropicale, je m’envolai vers la Bolivie en 1978, pour prêter mes services à une population défavorisée, dans la cordillère à plus ou moins 4000 mètres d’altitude.
Les habitants n’avaient jamais vu de médecin. La médecine était purement traditionnelle basée sur les plantes ou la sorcellerie. La première réalisation fut la création d’un hôpital à Ocuri, au nord de Potosi dans le cadre d’un projet co-financé par la DGCD de Belgique.
J’ai travaillé pendant 5 ans dans une équipe de santé, dépendant d’une ONG bolivienne, dont le siège était à Ocuri.
Le travail consistait en consultations et interventions chirurgicales. Les conditions de travail étaient difficiles, par exemple une coupure de courant électrique survenant lors d’une hémorragie.
Nous parcourions avec les élèves, les villages disséminés dans la montagne, pour vacciner, donner des conseils de médecine préventive et aborder divers problèmes médicaux. Il fallait parfois marcher 50 kilomètres, dans des lieux sans chemins, sans autre éclairage que le soleil ou la lune quand elle était présente ou des lampes de poche toujours prêtes à tomber en panne. Ces déplacements étaient truffés d’aventures, souvent dangereuses.
Il fallait parfois franchir des torrents ou subir des orages violents sans refuge où s’abriter.
A cela s’ajoutait la méfiance des gens, le manque d’infrastructure et de matériel de soin, des maladies découvertes à un stade très avancé, à peine compatible avec la vie. Malgré l’altitude, on se sentait au fond du panier.
Ayant fait des études de théologie en Belgique et un complément en Bolivie, je fus ordonné prêtre en 1984 à Potosi et nommé responsable de l’immense paroisse de Colquechaca, d’une surface de 2500 Km2, à 45 Km d’Ocuri. La population, analphabète à 80%, était disséminée dans une centaine de petits villages.
Le travail d’un médecin prêtre était différent de celui d’un pur médecin. J’eus l’occasion d’apprendre que la médecine de ces gens avait une autre dimension que chez nous. Les croyances religieuses, les coutumes, l’impact familial, l’économie très rudimentaire et l’absence d’aide de l’état avaient une influence sur les traitements et les programmes médicaux. La santé n’était pas une priorité si la maladie ne s’accompagnait pas de douleurs vives. Aussi longtemps que les douleurs n’étaient pas insupportables on évitait de devoir payer un médecin. C’est la famille qui décidait du sort du malade : pouvait-il se soigner ou non ? Participer à une fête avait plus d’importance que soigner un enfant malade, même si sa vie était en danger. Il était très important de mourir dans son village: il était donc hors de question d’aller dans un hôpital qui ne soit pas tout proche. La vaccination était mal considérée, « parce qu’elle fait pleurer les enfants ».
Le sentiment religieux n’était pas le même qu’en Europe. Le comportement était influencé par des superstitions, la magie, la sorcellerie, des coutumes héritées des Incas, mélangées à un vernis chrétien, et par la crainte du châtiment des divinités.
Au point de vue médical, la médecine occidentale était une alternative à la médecine traditionnelle laissée au libre choix des gens. De même, au point de vue religieux, le message chrétien était proposé sans être imposé comme ce fut le cas il y a 5 siècles. Ce message quasi totalement méconnu était difficile à faire passer étant donné les conditions climatiques, géographiques et sociales ainsi que l’analphabétisme, les croyances diverses et les coutumes.
Après plus de 20 ans de travail de prêtre, sans négliger l’action médicale, le message chrétien a pu passer dans une large couche de la population, avec des changements dans la manière de vivre: diminution des coutumes violentes, dialogue dans les conflits, union pour des travaux de bien commun….Actuellement, dans le domaine pastoral, le travail est centré sur la formation des catéchistes et un enseignement des jeunes, avec surtout l’aide d’images. Dans le domaine médical, la formation de promoteurs et la création de petits postes de santé ont permis à la médecine occidentale d’atteindre les points les plus reculés, sans qu’elle remplace toutefois la médecine traditionnelle. Les gens peuvent choisir.
En ce qui concerne l’aspect social, l’agriculture, la construction de routes et de ponts et l’éducation se sont ajoutées à mon travail, l’Etat étant quasi inexistant dans la région. C’est ainsi que j’ai du faire des démarches pendant six ans, pour obtenir l’électricité à Colquechaca, ville minière, qui en avait besoin pour augmenter sa production. Actuellement, l’électricité est progressivement installée dans toute la province, grâce aux impôts sur les hydrocarbures, prélevés par un gouvernement plus soucieux du bien-être de la population depuis 2006. Des routes et des ponts sont construits. L’infrastructure sanitaire s’installe.
Le progrès social est enfin devenu une affaire d’état et une collaboration s’installe entre les autorités et la paroisse.
Pourtant une proportion importante de la population vit sous le seuil de pauvreté et recourre à la paroisse pour beaucoup de services qui ne sont pas assurés par l’état. L’action de ce dernier est toujours entravée par une corruption généralisée et une politisation excessive de la société. On note récemment un recul de la corruption, mais la politisation et le régionalisme sont toujours des fléaux qui freinent le développement. C’est là que la religion a son rôle à jouer notamment dans l’éducation des jeunes, qui doivent acquérir une autre mentalité. Des jeunes collaborent avec la paroisse et prennent de l’autorité. Des catéchistes occupent également des postes clefs. Grâce à ces gens qui ont une autre vision des choses la population change petit à petit de mentalité. Ceci nous incite à poursuivre le travail paroissial dans les domaines de l’éducation et de la formation.
Il faut que des jeunes avec une idéologie de service puissent faire face à la corruption et à l’égoïsme de ceux qui ont le pouvoir et qui l’utilisent à leurs propres fins. Le travail est toujours à recommencer sous d’autres formes et dans un contexte qui évolue. Mais si rien ne se fait, la situation ne peut qu’empirer.