Prix Jean Sonnet 1997
Ama Contacts n°2
Le Prix Jean Sonnet a été attribué au docteur Dominique Alles, pour son projet d’aide aux enfants de détenus. Le jury s’est trouvé devant un choix difficile et a fait son évaluation sur base : de l’urgence et de la gravité de la situation motivant l’initiative, de la pauvreté des moyens disponibles, de l’efficacité du projet, jugée sur le caractère ciblé et structuré, la compétence des promoteurs, la formation antérieure, l’expérience, l’encadrement et le suivi à long terme, de l’adéquation des moyens financiers aux objectifs.
Après sept années de pratique en médecine générale et une formation en criminologie (via la licence), les centres d’intérêt du docteur Dominique Alles se sont déplacés vers un travail d’orientation psycho-sociale avec le souhait de s’investir dans le domaine de la maltraitance infantile, la délinquance et sa prévention, la déviance au sens large. C’est dans le cadre de l’assistanat en pédopsychiatrie qu’elle a inscrit ce projet d’aide à une population en difficulté : celle des enfants de détenu(e)s.
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Quelques mois de travail à la prison de Mons en 1995, comme médecin anthropologue (fonction de psychiatre), m'ont confrontée à la dure réalité de la vie carcérale. Chemin faisant, interpellée par la direction en questionnement face à ces "détenu(e)s-parents" et à leurs enfants, l'idée a germé début 1996 de leur consacrer du temps de manière plus spécifique.
Un peu plus tard a éclaté ce qu'il est convenu d'appeler "l'affaire Dutroux". Ces morts d'enfants ont focalisé l'attention sur le sort et les besoins des victimes d'actes criminels. Avec les mouvements blancs et la modification de la conscience sociale qui en est à la fois la cause et la conséquence, on pourrait dire que La Victime est entrée dans la galerie des citoyens de droit, à l'image des "membres de droit" d'une société donnée; sa position est devenue déterminante dans bien des domaines et susceptible d'influencer l'élaboration des politiques sociales et pénales.
Le contexte politique actuel favorise toutes les initiatives orientées vers les victimes et tend à leur consacrer l'entièreté des énergies tant intellectuelles que budgétaires. Le secteur carcéral, la situation des détenus, tend à passer au second plan. Et pourtant ...
Une enquête menée par le Docteur M.H. Sauvage, conseillère pédiatre auprès de l'ONE, estimait en 1994 à 16.000 le nombre d'enfants confrontés chaque année à l'incarcération d'un parent, voire des deux. Cela représentait 1 % de la population totale des enfants de 0 à 15 ans (1). Etant donné la hausse constante de la population pénitentiaire depuis 1994, il est à craindre que ce chiffre n'ait fait qu'augmenter. Il y aurait chez 30 % d'entre eux le risque d'être à leur tour un jour incarcérés. Ces enfants de détenus risquent très fort de faire les frais de cette évolution conjoncturelle. Or, ne sont-ils pas les premières victimes de la criminalité d'un parent et de son incarcération ? A ce titre, ne méritent-ils pas une égale attention et préoccupation ?
Pratiquement, un courrier a été adressé aux détenu(e)s :
"... Outre vos problèmes de femmes et d'hommes incarcérés, vous devez affronter une autre réalité : celle d'être un parent séparé de votre (vos) enfant(s). Si cette situation est source de nombreuses questions et difficultés pour vous, il peut en être de même pour eux; c'est pourquoi il est important de leur consacrer du temps et de les écouter Si vous le souhaitez, nous pouvons nous rencontrer afin que vous me fassiez part de vos préoccupations ..."
Que de récits, de témoignages, d'appels au secours ... "Ils" ont 5, 9, 11, 16 ans ... peu importe; "ils" se ressemblent, tout en étant différents ... J'en rencontre certains à la prison ou à leur domicile.
... elle dort mal la nuit et vomit tous les matins avant de partir à l'école ...
... elle fait l'école buissonnière et mène la vie dure à son entourage
... il commence à avoir de "mauvaises fréquentations"...
... ils ont été renvoyés de l'école pour vol...
... on est méchant avec elle dans sa classe et sa maman a perdu son travail : son papa a touché le sexe d'un petit garçon ...
... elle a besoin de voir son père, de lui dire sa colère par rapport aux perturbations de la vie familiale depuis qu'il est en prison à cause de ce qui s'est passé entre lui et sa grande soeur ...
... ils vivent chez les grands-parents depuis que papa a tué maman ...
"Ils" ? Ces enfants compromis, ravagés par l'incarcération de l'adulte : du père, de la mère.
Comment vont-ils grandir ... se structurer ... se constituer une identité ... intérioriser la notion de loi, quand on sait que pour y parvenir il faut avoir le sentiment que celui qui l'impose y est soumis ? Quel avenir pour ces enfants d'adultes étiquetés voleurs, escrocs, criminels, parents maltraitants, abuseurs sexuels ?
Face à cette détresse verbalisée et peut-être plus encore face aux "non-dits", face aussi à l'enjeu que représente cette population (avec des problèmes spécifiques) en terme - par exemple - de prévention, la nécessité d'une nouvelle structure est clairement apparue; structure aux rôles thérapeutique, préventif et pédagogique.
Le projet
Les liens enfants-parents détenus se situent nécessairement à la frontière du carcéral : le(s) parent(s) en prison, le ou les enfants à l'extérieur. Si un travail important est à faire au sein de la prison, avec le parent détenu d'une part, avec lui et son enfant d'autre part, lors des visites ou d'activités organisées, un travail d'égale importance, sinon probablement plus, doit se faire à l'extérieur.
Le défi du présent projet peut se résumer en la création d'un lieu à l'extérieur, ayant pignon sur rue et d'accès aisé pour tous, pour accueillir toutes les demandes et y répondre dans l'intérêt de l'enfant.
Il importe qu'il soit à même d'encadrer et de soutenir la famille démunie par l'arrestation et de soutenir la relation à la prison et au milieu carcéral. Il sera en permanence en étroite collaboration avec la prison, véritable charnière entre l'extérieur et l'intérieur, pour - en véritable "service public" - répondre aux demandes formulées tant intra- qu'extra-muros.
En effet, lors de l'arrestation de l'adulte, l'environnement social peut être un soutien ou une source de rejet; la famille peut rester unie ou éclater; l'enfant peut continuer à vivre auprès de proches aimants, être placé en institution ou se retrouver chez un membre de la famille qui - dans sa détresse - veut faire oublier ce parent délinquant, criminel ou abuseur sexuel.
L'affrontement de cette nouvelle réalité doit être soutenu :
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par une évaluation de la situation familiale de la personne détenue; du contexte de prise en charge de l'enfant et de son niveau d'information sur les événements qui le séparent de son parent ;
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par une aide à l'information de l'enfant ;
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par le soutien et l'accompagnement de l'enfant (et de sa famille) dans son vécu, avec prise en charge psychothérapeutique si nécessaire ;
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par le maintien et/ou développement de relations constructives entre les détenu(e)s et leurs enfants (dans la mesure du possible et dans le respect de l'intérêt de l'enfant ;
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par une action pédagogique et éducative: apprendre à être parent à des adultes qui, souvent n'ont pas eu de modèle parental adéquat ;
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par une responsabilisation des personnes infantilisées par l'incarcération ;
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par un apprentissage de la communication au sein de la famille ;
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par une guidance du détenu et de l'enfant concernant les émotions et l'investissement affectif, afin de promouvoir une relation équilibrée et d'éviter le surinvestissement inadéquat des enfants par un parent incarcéré souffrant de solitude, voire le chantage affectif déterminé par des enjeux carcéraux.
La structure mise en place aura pour mission de répondre aux demandes internes à la prison et aux demandes émanant de l'extérieur (enfants, familles, intervenants psycho-médico-sociaux et judiciaires).
Selon les situations et leurs spécificités, elle assurera la prise en charge elle-même, orientera vers des services compétents ou servira d'intermédiaire actif et encadrant entre la prison et d'autres organismes agissant dans le champ concerné (par exemple : encadrement d'une visite à son père détenu d'un enfant suivi par un thérapeute extérieur).
Le projet prévoit la constitution d'une équipe pluridisciplinaire (psychiatre, assistant social, psychologue, criminologue, etc ).
Une plage horaire sera réservée aux consultations et aux entretiens sur rendez-vous, une autre aux déplacements (en famille, en institution, à la prison...).
Un comité scientifique et éthique connaîtra des questions de fond et sera chargé de l'évaluation du projet.
L'expérience semble démontrer que souvent l'incarcération entraîne pour la famille un sentiment de honte qui produit un effet inhibiteur, qui l'empêche ainsi de demander l'aide nécessaire auprès des services ouverts à l'ensemble de la population, parfois peu réceptifs en la matière, voire méfiants à l'égard de cette population.
Nombre de familles se sentent « stigmatisées » et ne font pas de démarches vers les structures d'aide classiques par pudeur face à leur situation et/ou par manque d'argent.
Le type d'aide proposé devrait permettre de réduire le poids d'une punition que l'enfant subit sans être coupable, mais qui peut hypothéquer son avenir, permettre un réel travail de prévention de la délinquance et de prévention de la criminalisation d'enfants de parents déjà criminalisés, et enfin de limiter les dégâts de la prison en améliorant la qualité des rencontres et des relations entre les parents et les enfants.