wsColloque Dispositifs et Médiation des Savoirs (1998)

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Vers les campus virtuels.
Principes et fondements techno-sémio-pragmatiques des dispositifs de formation virtuels

Daniel Peraya
TECFA - Université de Genève

 

Les langages quels qu'ils soient exigent, pour signifier, un signifiant. Or, celui-ci, n'est perceptible, dans la plupart des cas, qu'à travers une représentation matérielle &endash; un ensemble de signes &endash;, produite et médiatisée par un artefact technologique. Que seraient, par exemple, les langages graphique, photographique, cinématographique ou multimédia sans l'existence des objets et des opérations techniques qui permettent de les produire, de les transmettre, enfin de les rendre perceptibles aux destinataires ? Autrement dit

Les dispositifs de communication articulent trois niveaux que l'on ne peut réellement isoler sauf, comme le mentionne P. Lévy (La cyberculture, 1997) pour mieux en analyser les interactions : le sémiotique, le social et le technique. C'est pour rendre compte de cette articulation, spécifique à la démarche des sciences de la communication, que nous avons développé le concept de dispositif techno-sémio-pragmatique (TSP). On peut donc définir un dispositif TPS comme l'ensemble des interactions entre ces trois univers, interactions auxquelles donnent lieu une technologie de l'information, un système de représentation ou plus généralement encore un média pédagogique ou non.

A l'occasion du développement des TIC, les concepts d'outil cognitif et de technologie intellectuelle ont été l'occasion d'un important regain d'intérêt notamment sous l'impulsion des courants cognitivistes ou d'autres plus philosophiques. Et même si dans certains cas, c'est l'outil &endash; au sens d'objet technique &endash; qui est privilégié, sémioticiens et cognitivistes s'accordent au moins sur ce point : les TIC, en tant qu'outil cognitif, possèdent donc une double nature : symbolique et technologique.

Les techniques d'imagerie médicale constituent elles aussi de très bons exemples des rapports qu'entretiennent technologies, représentation et cognition. Les progrès réalisés récemment par les neurosciences et la neuro-anatomie grâce à la résonance magnétique (IMRF) et à la tomographie par émission de positrons (TEP) sont particulièrement intéressantes de ce point de vue. La "cartographie" du cerveau &endash; de nombreux atlas informatisés du cerveau humain sont en chantier tant en Europe qu'aux Etats Unis &endash; pose des problèmes identiques à ceux de la cartographie terrestre. La métaphore est fonctionnellement fondée : il faut en effet représenter le cerveau tout en s'affranchissant de ses reliefs, c'est-à-dire "aplatir le cortex pour y placer les aires visuelles comme on reporte les pays sur un planisphère" (E. De Yoe, B. Wandell, A.M. Dale, "La vision, une perception subjective", in La Recherche, 1996, 289, p. 53). Si les cartes du cerveau publiées par K. Brodmann en 1909 ne reflètent plus les connaissances actuelles sur le cortex et si les connaissances actuelles ont exigé de nouvelles représentations, c'est donc bien que les connaissances se reposent en grande partie sur les représentations matérielles disponibles.

Par ailleurs, les théories de la communication nous apprennent que communiquer c'est transmettre un contenu, mais aussi instaurer une relation sociale. Les exemples issus des médias classiques sont nombreux. Un second exemple très classique est le contact oculaire dont on connaît l'importance pour l'interaction verbale et sa régulation. Dans notre contexte culturel, ce contact a été érigé en une véritable norme sociale. Chacun d'entre nous, enfant, a dû s'entendre dire plus d'une fois "Regarde-moi quand je te parle !" Et toutes les formes de communication médiatisée on tenté de s'approprier et de réinterpréter, à travers leurs dispositif propre, ce mécanisme essentiel de l'intercommunication humaine.

On se souviendra des actrices des films muets qui lançaient une œillade furtive au public ou encore de Laurell qui après chaque gag prenait les spectateurs à témoin en leur faisant face, son regard planté dans le leur. Enfin, ce que E. Véron a défini comme l'"axe YY", les yeux dans les yeux, constitue dans le dispositif télévisuel l'un des éléments fondateurs de l'interpellation et de l'adresse au public. Le présentateur ne peut entrer en contact direct avec ses téléspectateur et pourtant son regard plongé dans l'objectif de la caméra m'interpelle directement : "Il est là, je le vois, il me parle" note cet auteur. Les dispositifs techniques des vidéoconférence, pas plus que les nombreux logiciels de collaboration à distance ne permettent encore de restituer correctement ce contact oculaire. Il s'agit d'ailleurs aujourd'hui d'un thème de recherche important en ergonomie des logiciels de collaboration. Il existe de nombreux autres exemples tirés de la pratique du courrier électronique et de toutes les formes de téléprésence qui commencent à être étudiés systématiquement. Mais tous montrent la détermination de la relation pas le dispositif technique.

Sur la base de ce cadre de référence théorique, nous voudrions suggérer quelques orientations et principes de travail autant que de recherches :

1. Les dispositifs pédagogiques sont avant tout des dispositifs de communication : aussi ressortissent-ils des sciences de la communication.

2. Tout dispositif de communication pédagogique implique une alternance entre des formes de communication médiatisée et des formes non médiatisées. Si certains dispositifs de formation à distance tels que les cours par correspondance ont pu favoriser voire utiliser exclusivement les formes de communication médiatisée, aujourd'hui les dispositifs mixtes tentent à s'imposer à travers les formes d'ODL, d'enseignement ouvert et à distance, organisées selon le mode dual.

3. Du point de vue théorique, il nous paraît pertinent de maintenir au sein d'un TPS, une distinction entre médiatisation et médiation. Le premier concept désigne le travail de scénarisation de contenus de formation (au sens large) à travers un registre sémiotique donné, tandis que le second désigne les interactions entre les acteurs du processus médiatique, à savoir la médiation de la relation sociale et affective, dans notre cas de la relation pédagogique. Si les concepteurs de matériel didactique ont longtemps favorisé le premier aspect au détriment du second, la médiation risque bien de devenir centrale notamment à travers le concept d'interactivité intentionnelle (voir G. Jacquinot, notamment) qui lui est directement lié.

4. D'un point de vue pédagogique, les dispositifs TPS, fondés sur les "nouvelles technologies de la formation" connaissent une situation très différentes des médias classiques, de la télévision ou de l'audiovisuel. Leur pénétration quasi généralisée dans la sphère des usages professionnels et domestiques et corrélativement leur diffusion auprès du grand public leur donnent un poids et une influence que l'audiovisuel pédagogique n'a jamais connu.

5. Ces dispositifs proposent des formes intéressantes de médiatisation comme de médiation dont certaines se constituent comme le prolongement de problématiques anciennes, liées aux technologies plus classiques, et d'autres paraissent résolument nouvelles.

6. Parmi celles-ci, la constitution d'espaces virtuels (un hypertexte, un site WEB) et à terme d'environnements complexes comme les campus virtuels sont l'occasion d'un renouvellement des scénarios pédagogiques tant du point de vue de la médiatisation que de la médiation dont notre intervention esquissera quelques perspectives.

 

 


  Auteur: Hugues Peeters — Modifications: Pierre Fastrez   
  Date de dernière modification: 09.03.2010