Mémorial Léon H. Dupriez
Université catholique de Louvain
(Belgique)
C'était un Maître, exigeant et enrichissant. Il n'était sans doute pas facile à approcher du fait de sa discrétion et surtout de la richesse et de la complexité de sa pensée. Mais dès lors que l'on entrait en dialogue avec lui, on ne pouvait que progresser, stimulé par ses exigences de rigueur, son immense culture intuitive et théorique, son incessante créativité.
J'ai été personnellement frappé - et marqué - par trois composantes du dynamisme intellectuel du Professeur Dupriez.
Tout d'abord, l'effort considérable et sans cesse renouvelé de recherche inductive. Le Professeur Dupriez cherchait d'abord à connaître les faits, dans toute leur étendue et toute leur complexité, et ce dans une démarche faite à la fois d'audace, de rigueur et d'humilité. Rien ne lui était plus étranger que le dogmatisme qui illustre, de quelques faits sélectionnés, les pré-supposés qu'il affirme.
Cette recherche inductive se nourrissait d'une étonnante maîtrise des apports et outils théoriques. Chez le Professeur Dupriez, la réflexion théorique n'était jamais absente de l'investigation statistique. Elle la nourrissait, l'éclairait, la guidait et s'en trouvait, en retour, approfondie et enrichie.
La façon, par exemple, dont il avait conçu, comme Conseiller de la Banque Centrale, les grandes opérations de 1936 et de 1944, était particulièrement significative à cet égard, comme l'est d'ailleurs l'ensemble de son oeuvre sur les mouvements économiques, intégrant de façon permanente connaissance statistique et questionnement théorique. Les théories n'étaient pas pour lui affaire d'érudition ou de jeu intellectuel, mais un effort de compréhension et d'explication cohérente des faits. A cet égard, il décantait remarquablement les nombreux économistes dont il avait fréquenté la pensée, ne retenant que les principaux - et parmi ceux-ci - par exemple Walras, Marshall, Keynes,... - l'essentiel de leur apport.
Ce travail considérable inductif et théorique s'inscrivait dans une perspective d'une très large envergure. Ce qui intéressait et mobilisait le Professeur Dupriez, ce n'était pas seulement une meilleure connaissance d'un champ particulier de l'économie, mais plus largement et plus profondément une explication cohérente de l'ensemble des dynamismes économiques, ouvrant elle-même sur une vision de l'homme et de la société. Le Professeur Dupriez ne voyait pas l'économie comme un jeu de mécanismes déterministes mais comme un lieu privilégié d'affirmation et d'émergence de la condition humaine.
Et au fur et à mesure que s'élargissait et s'approfondissait sa recherche, c'est bien cette dimension humaniste et philosophique qui s'y exprimait de plus en plus, déjà présente dans les "Mouvements Economiques Généraux" et beaucoup plus marquée encore dans "Philosophie des Conjonctures Economiques".
Economiste certes, particulièrement
créatif, avec tout ce que cela implique de maîtrise théorique,
de recherche inductive, d'interaction et enrichissement permanent entre
ces deux dimensions ; économiste mais aussi en amont et au-delà
de l'économiste, philosophe et humaniste : voilà ce que je
retiens personnellement, avec un recul de près de quarante ans,
de ce qu'a pu être et apporter à moi-même comme à
bien d'autres, le Professeur Léon Dupriez.
< Témoignage du Prof. Michel Norro |
Affiché le 1er octobre
2001
page : Université
catholique de Louvain|
ECON
Dept |
IRES Center for Economic
Research