NOUVELLE
BIOGRAPHIE NATIONALE
Académie Royale des
sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique
Tome 8, pp. 270 - 272; 2005
MORELLE,
Jean, Marie, François, Joseph chevalier,
chirurgien, membre de l'Académie royale de Médecine de
Belgique, né à Bruxelles le 5 août 1899,
décédé à Louvain le 20 janvier 1983.
Fils d'Aimé-Félix Morelle, professeur de dermatologie
à l'Université catholique de Louvain (UCL), Jean Morelle,
débute ses études à Bruxelles, puis poursuit ses
études secondaires dans un collège en Grande-Bretagne
pendant deux ans; il en gardera une grande admiration pour la
culture et le savoir-vivre anglo-saxon.
A dix-sept ans, Jean Morelle s'engage comme volontaire de guerre et il
vit la vie des tranchées durant les années 1914-1918.
C'est encore revêtu de l'uniforme kaki qu'il entame en 1918 ses
études à l'Université catholique de Louvain et
mène de front, dés le début de ses études.
un travail scientifique dans le laboratoire d'histologie du chanoine
Grégoire : il s'intéresse particulièrement aux
cellules endocrines du pancréas, en étudiant une de ses
constituantes : la substance de Golgi. Ce domaine d'avant-garde,
à l'époque, lui fera acquérir le goût de la
recherche. Il l'a dit lui-méme lors de sa leçon
inaugurale, lorsqu'en 1954, il reprendra la chaire de clinique
chirurgicale : "J'y ai appris, avec le goût de l'exactitude, la
précision de la technique, mais j'y ai surtout appris la
rectitude et la rigueur de la pensée". Dans ses publications
d'alors, il dessine à l'encre de Chine des cellules au fort
grossissement : la précision du détail préfigure
déjà l'étude des structures intracellulaires qui
seront, plus tard, démontrées par la microscopie
électronique.
Diplômé en 1924, il obtient une bourse de voyage de l'Etat
en 1925 et entame sa formation de chirurgien à l'hôpital
Saint-Pierre à Louvain dans le service du professeur Georges
Debaisieux qui l'envoie, comme "fellow" de la CRB (Commission for
Relief in Belgium), chez le professeur Harvey Cushing au Peter Bent
Brigham Hospital (Harvard Medical School) à Boston : il s'initie
à la neurochirurgie, discipline en plein développement
à ce moment-là outre-Atlantique. Il y publie un article
sur les tumeurs du nerf acoustique.
De 1927 à 1930, Jean Morelle est chargé par
l'université de missions à l'étranger, notamment
au Congo belge, où il participe en Afrique au premier jalon
d'une oeuvre qui va devenir une émanation de l'Université
catholique de Louvain : il prend la direction, à Kisantu, du
premier hôpital de la Fondation médicale de
l'Université de Louvain en Afrique centrale, autrement dit, la
FOMULAC, qui servira, plus tard, de base de lancement de la jeune
Université Lovanium, à Léopoldville. Après
son retour à Louvain, suivi d'un bref séjour chez
René Leriche à Strasbourg, il sera chercheur
qualifié au Fonds national de la Recherche scientifique de 1929
à 1933. Il est chargé, en 1931, du cours d'anatomie des
régions, succédant à René Appelmans,
désigné pour cet enseignement à la Katholieke
Universiteit Leuven (KUL). La même année, il est
nommé chef de clinique à l'hôpital universitaire,
puis professeur en 1933.
Soucieux de la recherche, attentif à saisir au plus vite ce qui
est d'avant-garde, il prend en charge, à l'instigation de
Georges Debaisieux, le laboratoire de chirurgie expérimentale,
le fleuron de sa carrière. C'est ainsi qu'est né à
l'Université catholique de Louvain, un des premiers laboratoires
en Europe continentale destinés aux développements
nouveaux en chirurgie qui imposaient, en effet, une
expérimentation, notamment animale, nécessaire pour
tester des techniques nouvelles et appliquer la rigueur scientifique
à une discipline encore en grande partie "artisanale". C'est
dans ce laboratoire que seront développées plus tard les
techniques de greffe de rein et de foie, mais que se réaliseront
aussi des recherches plus fondamentales, l'étude des fractures
expérimentales, le métabolisme du calcium et le
rachitisme provoqué chez l'animal, la composition corporelle et
le métabolisme de l'eau ainsi que la résorption
intestinale des graisses, étudiés tous deux, au moyen
d'isotopes radioactifs.
Pendant la guerre 1940-1945, il est directeur de l'hôpital de la
Croix-Rouge à Louvain au moment où l'hôpital
universitaire Saint-Pierre est occupé par les Allemands
auxquels, avec la complicité de l'infirmier-chef, il arrive
à subtiliser une partie de l'équipement chirurgical !
Après la guerre, il fait de nombreux voyages aux Etats-Unis pour
perfectionner ses connaissances en neurochirurgie à laquelle il
apporte sa marque personnelle. Il est avec Paul Martin à
l'Université libre de Bruxelles et Louis Christophe à
Liége, un des pionniers de cette spécialité dans
notre pays.
La technique chirurgicale qu'il assimile ainsi imprégnera toute
sa carrière : c'était un chirurgien minutieux,
respectueux des tissus par l'emploi systématique de la pince
à l'exclusion presque totale des doigts, réalisant les
dissections les plus exsangues possible grâce, notamment,
à l'usage du bistouri électrique.
Cette technique méticuleuse, il l'applique aussi à la
chirurgie pédiatrique : c'est ainsi qu'il développe une
technique personnelle pour le traitement chirurgical de la
sténose du pylore chez le nourrisson sous anesthésie
locale. La correction chirurgicale de l'atrésie de l' oesophage
chez le nouveau-né représentait, à
l'époque, un défi que Jean Morelle releva avec
succès : il publie ses résultats dès 1951
dans une revue française.
Ses travaux expérimentaux sur le métabolisme du calcium
le mènent tout naturellement à s'intéresser
à la parathyroïde et à son exérèse.
En 1954, à l'éméritat du professeur Georges
Debaisieux, Jean Morelle, est nommé titulaire de la chaire de
clinique chirurgicale et chef du Service de Clrirurgie
générale, tandis que son collègue Pierre Lacroix
assume des fonctions similaires en chirurgie orthopédique.
Pendant quinze ans, Jean Morelle exerce ses activités comme
chirurgien, comme chef du laboratoire de chirurgie
expérimentale, comme enseignant et, enfin, comme chef
d'équipe. Comme chirurgien, il applique cette minutie que lui
avait apprise la pratique de la neurochirurgie. Et pourtant, lorsqu'il
fallait parer au plus pressé, lorsque l'acte chirurgical
exigeait une décision rapide, des gestes énergiques, mais
néanmoins précis, on retrouvait l'homme qui sait prendre
des risques et les assumer. Comme chef du laboratoire de chirurgie
expérimentale, il s'est entouré de collaborateurs qui ont
pu donner une impulsion nouvelle à cette activité. Comme
chef
d'équipe, il a veillé à diversifier la discipline
chirurgicale en confiant à chacun de ses adjoints un domaine
particulier de façon à permettre à chacun d'avoir
son champ d'activité propre, en se maintenant à la pointe
des progrès réalisés dans sa
spécialité, notamment par des séjours à
l'étranger dans des centres mondialement connus, à
Boston, à Chicago, à Denver, à Lyon et à
Leiden.
C'est ainsi qu'en 1962, arrive des Etats-Unis une chirurgie nouvelle:
la transplantation d'organes. Cette nouvelle technique, Jean Morelle
l'avait prédite. Dans sa leçon inaugurale de 1954, il
disait: "Ne peut -on entrevoir dans un temps plus ou moins proche la
généralisation d'une chirurgie cardiaque exsangue, le
ralentissement du vieillissement des tissus, la substitution de la
chirurgie de transplantation à celle de l'extirpation".
La greffe de rein passe rapidement dans le domaine clinique et permet,
après quelques années, au Service de Chirurgie de Louvain
de publier de très bons résultats sur une longue
série de patients greffés. Jean Morelle, fort de ses
.connaissances en neurologie, autorise le prélèvement de
greffons rénaux chez des patients en coma dépassé.
Cette procédure, soumise à un contrôle rigoureux de
"mort cérébrale", après maintes réticences
outre-Atlantique est actuellement acceptée partout.
Ce sont ensuite les tentatives de greffes de coeur qui aboutissent au
laboratoire de la clinique Saint-Joseph à Herent, à la
survie du veau Rebecca, abondamment commentée dans la presse. A
la même époque, se développe, au laboratoire, la
greffe de foie chez le chien qui permet, avec la collaboration d'une
équipe lyonnaise d'obtenir la survie d'animaux
hépatectomisés, ayant reçu un foie conservé
pendant plusieurs heures grâce à une technique de
perfusion ramenée des Etats-Unis. Ces recherches mènent,
en 1969, au succès, hélas éphémère,
de la première greffe de foie chez l'homme, en Europe
continentale. C'est au cours de cette même année que Jean
Morelle sera admis à l'éméritat.
Jean Morelle, comme enseignant, était infatigable : il
devait assurer une tâche écrasante : pendant des
années, il a dû alimenter dix heures et demie de
démonstrations cliniques par semaine; il se faisait un devoir
de documenter richement les cas cliniques qu'il montrait aux
étudiants.
Pour souligner sa contribution au rayonnement de la chirurgie, un Prix
Professeur Jean Morelle a été institué dont le
financement provient d'une souscription ouverte lors de son
éméritat. Ce Prix avait comme objet "l' encouragement de
la recherche en chirurgie". Par ailleurs, le 13 avril 1971, le Roi a
accordé à Jean Morelle concession de noblesse et du titre
personnel de chevalier.
Après sa mise à la retraite, il a partagé avec son
épouse, la joie de vivre dans sa propriété
à Pellenberg, près de Louvain, entouré de ses
enfants et petits-enfants. Marié à Lucienne Pourbaix,
Jean Morelle, eut six enfants, quatre fils et deux filles.
L'aîné, Jean, ingénieur dans l'industrie, est
professeur aux Facultés des Sciences appliquées à
l'UCL et à la KUL; Vincent est docteur en médecine et
urologue; Françoise, licenciée en histoire de l'art;
Damien, licencié en chimie et en sciences économiques;
Jacques, ingénieur, et la dernière-née,
Marie-Aimée.
Cela ne l'a pas empêché de s'intéresser aux
activités de ses successeurs et d'encourager leur élan
vers l'excellence qu'il leur avait toujours insufflée.
ln memoriam Jean Morelle, dans Bulletin et
Mémoires de l'Académie royale de Médecine de
Belgique, t. 138, p. 79, 1983. - Décès du
professeur médecin Jean Morelle, dans Le Soir, 26
janvier 1983.
Paul-J. Kestens