Annuaire UCL 1957 - 1959 : 90 - 92 Allocution prononcée par le Prof. de Duve en hommage auprofesseur Fernand Malengreau, en la séance du 4 mai 1958 de l'Associationdes Médecins sortis de l'Université de Louvain.Nous sommes réunis aujourd'hui dans lecadre familial de l'Association des Médecins sortis de l'Universitéde Louvain pour rendre un ultime hommage à la mémoire du ProfesseurFernand Malengreau, Membre honoraire de l'Académie Royale de Médecine,ancien titulaire de la chaire de chimie physiologique, Président dela Fondation Médicale de l'Université de Louvain au Congo,décédé le 13 janvier de cette année après42 ans de professorat actif, suivi de 8 années d'un éméritatparticulièrement fécond. Le privilège me revient d'évoquerdevant vous le Savant et le Professeur. La première publication scientifique de Fernand Malengreau, intitulée "Deux nucléo-albumines et deux histones dans le thymus", a paru dans le XVIIe volume de 'La Cellule" en l'an 1900. L'auteur avait 20 ans. Encore étudiant en médecine, il travaillait comme assistant bénévole dans le laboratoire du Professeur Ide, à côté du célèbre Wildiers, qui au court de la même année devait découvrir le Bios, la première vitamine de microorganismes. A cette époque, la biochimie était une sorte de bâtard malpropre - une chimie de cuisine, disait Louis Henry - de la chimie organique et de la physiologie, que ni l'un ni l'autre de ses parents ne montrait un empressement particulier à reconnaître ou à réclamer comme sien. Seul un esprit d'une vision presque prophétique eut pu voir dans une série d'évènements récents le prélude d'un développement extraordinaire appelé à révolutionner la biologie. C'est en effet entre les années 1896 et 1900 que Fischer établit la structure polypeptidique des protéines, qu'Eyckmann découvre la vitamine B1, et que les frères Büchner démontrent que le jus obtenu par expression de la levure est capable d'assurer la fermentation du sucre en alcool en l'absence de toute cellule vivante. La signification de ces évènements n'échappe pas au jeune Malengreau, et celui-ci prend dès ce moment une décision qui doit donner à sa carrière une orientation définitive. Il poursuit en effet son travail sur les nucléines et les histones, qui fait l'objet de deux autres publications et d'un mémoire présenté au Concours des Bourses de Voyage nouvellement institué. Puis immédiatement après avoir été promu docteur en médecine en 1903, il retourne sur les bancs de l'école et conquiert en 1905 le grade de docteur en sciences chimiques sous la direction de Louis Henry, avec une thèse sur le dibutyl-carbinol normal. Il vaparfaire sa formation en Allemagne, dans l'Institut d'Emile Fischer, où il étudie avec Abderhalden les acides aminés du gluten. Revenu en Belgique, il est nommé chargé de cours en 1908, professeur extraordinaire en 1909 et professeur ordinaire en 1913. Il devient ainsi, après Gustave Bruylants, le deuxième titulaire de la chaire de chimie physiologique, fondée à l'Université de Louvain dès 1882. La prédilection que Malengreau avait pour la chimie organique, et qu'il conservera toute sa vie, se marque dans les premiers travaux qui sortent de son laboratoire : étude de l'homocholine synthétique, des dérivés de la muscarine, de la vitesse d'hydrolyse des acides glycérophosphoriques, des lécithines. Malheureusement, la guerre vient arrêter cette activité en plein essor et oblige le biochimiste à redevenir praticien. Mobilisé, il fait les deux premières années de la guerre comme médecin d'un régiment d'artillerie, puis est attaché à l'Hôpital Militaire de Cherbourg. Cela lui valut d'être porteur de la médaille du Roi Albert, de la médaille commémorative des alliés, de le médaille de la Victoire, etc... Après la fin des hostilités, il vient s'installer dans le nouvel Institut de Physiologie construit à la rue des Doyens par A.K. Noyons. Débute alors une série d'années particulièrement fructueuses. On relève sur les publications de cette époque les noms de Joseph Hoet et de Walter Dulière, du regretté Georges Delrue, de Raphaël Voet, actuellement professeur à Rosario, d'André Simonart et de Joseph Lambillon. Le laboratoire hébergera également pendant un certain temps un jeune assistant de Nolf, Paul Putzeys. Les sujets d'étude sont très variés. A coté de travaux de chimie organique et de pharmacodynamie, où nous retrouvons l'homocholine et la muscarine, déjà étudiées avant la guerre, ainsi qu'une série de recherches brillantes sur les ephédrines de Synthèse, il en est d'autres à orientation plus physiologique et médicale, notamment une comparaison de la vitamine B1 et du Bios, et une étude de l'excrétion de certains médicaments bismuthés. Mais bientôt, cette activité va être à nouveau, sinon interrompue, du moins freinée, par ce qu'on ne peut appeler autrementqu'un appel supérieur. En 1926, un groupe de professeurs créela Fondation Médicale de l'Université de Louvain au Congo,et Fernand Malengreau accepte le secrétariat de la nouvelle Fondation,n'hésitant pas à sacrifier la recherche scientifique aux impératifsde l'apostolat. C'est à l'actuel Secrétaire-général de la Fomulac que reviendra l'honneur de retracer l'oeuvre coloniale du regretté disparu, mais je ne voudrais pas clôturer ce bref exposé de lacarrière scientifique de Fernand Malengreau sans évoquer leProfesseur. Des générations de médecins ont gardé le souvenir de ses leçons claires et concises, précieux décantat d'une science dont le Maître avait vécu, étape par étape, tout le développement et dont il restituait fidèlement ce qu'il considérait comme essentiel à la formation des médecins. Malgré ses responsabilités croissantes à la Fomulac, il ne négligea jamais ce travail didactique, comme le montrent les dernières éditions de ses notes de cours régulièrement remaniées et mises à jour. Persuadé de l'importance de l'enseignement au laboratoire, il avait organisé soigneusement les exercices de chimie physiologique et créa avec Georges Delrue un cours pratique avancé de chimie médicale, où de nombreux médecins vinrent parfaire leur formation. Enfin, derrière le savant, derrière l'homme d'action, derrière le professeur, il y avait l'homme. Aristocrate au meilleur sens du terme, intimement pénétré de la tradition académique, chrétien jusqu'au fond de l'âme, Fernand Nalengreau avait une très haute idée des devoirs de sa charge. Il remplissait celle-ci avec un dévouement absolu et une droiture parfaite. Sa modestie exemplaire qui lui avait fait fuir obstinément tous les honneurs, sa sérénité d'âme, que soutenait une foi profonde, son abord généreux, que la timidité habillait parfois d'une certaine raideur contre laquelle il se défendait, son amour de la science et son désintéressement resteront dans le souvenir de tous ceux qui l'ont connu et aimé. |