AMA-UCL - Avril2001 - Numéro 19 : Editorial.

Albert Lemaire (1875 – 1933)
La médecine à l’UCL à l’aube du XXème siècle

Albert Lemaire est né à Havay, près de Mons,dans une ferme voisine de celle des parents de Monseigneur Ladeuze, recteur de 1909 à 1940.  Après des études au Collège Saint Michel à Bruxelles et à la Faculté de Médecine de Louvain, il devient assistant du professeur Denys à l’Institut Carnoyet complète sa formation médicale en anatomie pathologique àParis chez le professeur Letulle.  Au cours des études de médecine,il ne se contente pas de recevoir la science enseignée, mais «brûlant de la fièvre des découvertes, il s’enfermaitdéjà dans les laboratoires » (1)

Rappelé à Louvain en 1901, à l’âge de26 ans ( !) pour occuper la chaire d’hygiène, « il dépouille ce cours des chapitres démesurés sur la météorologie, l’architecture et les arts vestimentaires et organise un service d’autopsie » (2)

En 1906, il succède au professeur Hayoit de Termicourt à la chaire de pathologie interne, « sous le regard chargé deméfiance et quelquefois d’hostilité de la vieille école » (1), la neurologie étant confiée à Arthur Van Gehuchten.  Le jeune interniste dresse les plans d’un institut depathologie, introduit dans le curriculum la bactériologie, la pathologiemicroscopique et la chimie physiologique et s’initie à la médecineexpérimentale qui « dégage la médecine du chaosdes discussions philosophiques où elle étouffe chez nous dansun combat à mort à l’assaut des vieilles doctrines »(1).  Dans la foulée, il crée le cours d’histologie normaleet pathologique, la clinique et la polyclinique médicale, et inauguredes laboratoires de radiologie, d’hématologie et de chimie, ainsique des « cages pour animaux d’expérience », ceque nous appelons aujourd’hui une animalerie.  Il démontre ainsisur des animaux infectés que la fièvre ne favorise pas la formationd’anticorps et peut donc être combattue.  Par contre, chez lechien, en injectant des colibacilles dans une veine de la patte ou dans laveine porte, il trouve moins de microbes dans le sang périphériquedu second groupe, prouvant ainsi le rôle protecteur du foie dans l’évolution de certaines septicémies.

D’autres travaux sont consacrés au traitement de l’anémie pernicieuse par la méthode de Murphy et Minet et à la sensibilité viscérale, notamment à la douleur appendiculaire qui peut seprojeter au niveau de la peau de la région ombilicale : il en ferala triste expérience personnelle à la fin de sa vie.
Après avoir démontré en 1911 le rôle prédominant de la rate dans la genèse des hémolyses aiguës, il expérimente avec Georges Debaisieux la ligature de l’artère splénique moinsdangereuse à l’époque que la splénectomie, dans le traitementde la thrombopénie essentielle.

C'était un brillant interniste, doué d’un talent insurpassé pour la percussion.  Il sillonnait les routes du pays « pour porter aux malades les ressources de son savoir ».  C'étaient les consultations que pratiquaient à l’époque les professeurs de médecine, appelés par les médecins généralistes, car il y avait encore très peu de spécialistes en dehors desuniversités.  Comme le dit Monseigneur Ladeuze dans son discoursaux funérailles d’Albert Lemaire, « ces courses parmi leschemins maintenaient des rapports avec les médecins dispersés dans le pays et permettaient de recruter des malades pour l’hôpital universitaire » (sic).
Dans la plaquette « in memoriam » que m’a communiquée ledocteur Pierre Lemaire, son fils, on trouve également une allocution, en français, du président de la Commission d’Assistance Publique de Louvain qui remercie Albert Lemaire pour les soins aux malades indigents, mais aussi « parce qu’il nous a aidé à venir à bout des lenteurs inhérentes aux organismes supérieurs dont notre commission subit la tutelle ».  Il fait allusion à la crise économique qui n’a pas permis au gouvernement de mettre àdisposition de la ligue antituberculeuse les crédits votés parles chambres.  Dans un article de la Revue Médicale de Louvain,Richard Bruynoghe nous apprend qu’en 1914-18 Albert Lemaire a cachéà l’Hôpital Saint Pierre des soldats alliés et belgesblessés, tout comme son aïeul Pierre Lemaire, fermier àBrettignies, avait caché dans les souterrains de sa ferme des prêtrestraqués par les jacobins, à la révolution française.

A 57 ans, en septembre 1932, une crise d’appendicite conduit tardivement à une intervention le 9 janvier 1933 : une fièvre postopératoire donne des inquiétudes et Albert Lemaire meurt le 17.  Monseigneur Ladeuze, appelé à son chevet à 6 heures du matin, letrouve agonisant : « Il ne répondait plus à mon appeltandis que je prenais sa main déjà moite des sueurs de la mort. Suprême dérision des destinées humaines !  La mortsemblait se venger de celui qui lui avait disputé tant d’existencesen le faisant succomber en quelques jours des suites d’un opérationbanale ».

Les cloches de la bibliothèque sonnent le glas, tandis quela foule s’assemble devant la mortuaire rue Léopold, avant de se rendre à l’Eglise Saint Joseph, puis au cimetière de l’Abbaye du Parc.

René Krémer

(1) Pierre Lemaire
(2) Maldague : éloge académique d’Albert Lemaire (3 avril 1933)