Louvain médical 107:485-488, 1988 IN MEMORIAM PROFESSEUR FRANS LAVENNE (1919 - 1988) Avant de retracer la carrière du Professeur F. Lavenne et de dégager les traits saillants de sa personnalité, je crois nécessaire de réfléchir quelques instants à la signification d'un éloge funèbre.
En tant que porte-parole de la Faculté, je peux dire : "Notre communauté est fière d'avoir compté M. Lavenne parmi ses membres ". L'expression même de cette fierté légitime justifie certainement l'éloge funèbre. Mais la signification la plus profonde des éloges n'est-elle pas liée à l'intuition que nous avons que chaque homme est un peu prophète. Par son originalité, il apporte quelque chose de particulier à la société que nous formons. Dans notre université, nous dirions que Dieu parle à travers lui. Au moment de la séparation, nous craignons de perdre ces richesses intérieures que chaque homme possède et que nous n'avons pas toujours appréciées à leur juste valeur, car souvent ces richesses ne peuvent se découvrir que dans l'amour ou l'amitié. C'est probablement la raison pour laquelle les éloges funèbres paraissent toujours un peu superficiels, en particulier, quand ils concernent une personnalité comme celle de M. Lavenne. Cependant, la tradition le veut. Aussi, aidé par quelques collègues proches de M. Lavenne, je vais vous rappeler les étapes de sa vie et décrire l'humanité profonde de grand universitaire.
M. Lavenne est né à Aulnois en 1919. Après ses humanités au collège épiscopal de Chimay, il est entré à l'UCL à l'âge de 17 ans. Il terminait ses études de médecine en 1943, après avoir obtenu deux fois la grande distinction et cinq fois la plus grande distinction.
Interviewé par les étudiants, M. Lavenne racontait ainsi le début de sa carrière : " Il n'y avait plus qu'un médecin à Beaumont, les autres avaient fui dans la résistance ou étaient poursuivis par les Allemands. On m'a donc demandé de m'installer à Beaumont où j'ai fait un an de médecine générale, à la fois dure, agréable et enrichissante. En ce temps, les gens allaient peu à l'hôpital : le généraliste appareillait des fractures, amputait des doigts, ouvrait des abcès de l'amygdale et faisait des accouchements.
En 1944, le Professeur Lambin m'a demandé de revenir à l'Université comme assistant de propédeutique, chargé outre de la transfusion sanguine. En 1952, j'ai été nommé agrégé, puis l'année suivante, chargé de cours extraordinaire avec un enseignement relativement peu important en médecine interne et médecine du travail si bien que je travaillais en même temps comme médecin et chercheur à l'Institut d'Hygiène des Mines à Hasselt. L'Université, à l'époque, restreignait au maximum le personnel plein temps.
Jusqu'en 1964, j'ai été consultant dans le secteur de cardiologie et responsable du laboratoire d'explorations fonctionnelles cardio-pulmonaires. Le Professeur Lambin étant décédé, le Recteur m'a demandé de reprendre l'ensemble de la médecine interne, partiellement d'abord, tant que le Professeur Hoet n'était pas à l'éméritat. J'ai donc dû faire l'effort de me recycler en médecine interne. Le Professeur Hoet étant décédé en 1967, j'ai repris l'ensemble du service. J'ai pu ainsi faire des deux services de médecine interne le département unique que vous connaissez."
A la question "Etes-vous heureux d'être devenu ce que vous êtes ? " M. Lavenne répondait: "De temps en temps, j'ai gardé la nostalgie du rôle social de médecin généraliste. J'étais très heureux comme généraliste, mais à partir du moment où l'on accepte une nouvelle vie, on doit y trouver des joies. J'aurais mauvaise grâce à ne pas être heureux. La médecine m'a donné plus que ce que j'avais pu rêver en revenant à l'Université : des possibilités d'enseignement, des contacts étroits avec les malades, avec mes assistants et de nombreux étudiants. La vie en général m'a offert de très larges compensations aux difficultés que j'ai rencontrées ".
Ces diverses étapes d'une carrière racontée simplement par M. Lavenne méritent quelques commentaires. Considérons, par exemple, son département de Médecine Interne. Comme me le disait un de ses proches collaborateurs, alors qu'au début des années soixante, la réputation des deux services de médecine interne restait confinée à notre pays, en 1985 quand M. Lavenne prend sa retraite, le département est reconnu à l'échelle européenne comme un centre d'excellence. Le nom de l'Institut d'Hygiène des Mines à Hasselt est également lié à celui de F. Lavenne. Il en a assuré la qualité scientifique, tâche parfois difficile face aux pressions de divers groupes socio~écononliques.
Ces réalisations trouvent leur origine dans les qualités d'organisateur de M. Lavenne, dans le choix judicieux de ses collaborateurs, mais aussi dans la perspicacité et le sens critique du scientifique qu'il était. C'est ce que ne manque pas de rappeler un collaborateur exprimant son admiration pour la thèse d'agrégation qu'avait présentée M. Lavenne en 1951 sur "Le retentissement cardio-vasculaire de la silicose et de l'anthraco-silicose".
M. Lavenne avait d'ailleurs été à bonne école ; il avait été marqué en particulier par le Professeur J. Lenègre de Paris. Il faut dire qu'à l'époque il s'intéressait également à l'hématologie et, en particulier, au catabolisme de l'hémoglobine. En parcourant le curriculum vitae de M. Lavenne, on est frappé par le grand nombre de maîtres étrangers qu'il a fréquentés en France, en Grande-Bretagne et aux EtatsUnis. J'en ai relevé une dizaine. Les qualités scientifiques de M. Lavenne furent non seulement reconnues par l'Académie Royale de Médecine mais aussi par l'American College of Cardiology, dont il a été nommé Fellow en 1970.
Je me dois de rappeler à présent le rôle qu'a joué M. Lavenne dans des missions délicates au service de l'Université. Les autorités étaient confiantes dans son intelligence. son intuition et sa persévérance. Ses dons de diplomatie et de séduction en faisaient un négociateur redoutable. En 1967, c'est la commission "Lavenne-Van der Schueren" qui fut chargée de mettre au point le statut financier des médecins travaillant plein temps à l'Université. Dès 1965, la fameuse Commission pour le Planning de la Médecine, ou "Commission Lavenne-De Somer" préparait l'implantation de la Faculté de médecine à Louvain-en-Woluwe. Le rapport de 16 pages, qui fut remis aux autorités en 1966 constitue un véritable document historique.
Pour illustrer encore le dévouement de M. Lavenne à notre communauté, rappelons qu'il a siégé au Bureau de la Faculté sans interruption de 1964 à 1985. Dans ces tâches administratives, il était attentif à l'essentiel. On ne l'a jamais perçu enfermé par les structures, mais au contraire, soucieux d'adapter ces dernières à la vie telle qu'elle se développait.
Malgré ces diverses tâches, M. Lavenne est toujours resté un clinicien compétent et profondément humain. Un de ses collaborateurs me disait à ce propos : "J'ai eu la chance de suivre avec lui, l'an dernier, une jeune malade ; quelle attention à la personne, quelle capacité de consolation et d'encouragement. Les malades ne s'y trompent pas, qui lui restent profondément attachés".
Scientifique, clinicien, meneur d'hommes, M. Lavenne était également un universitaire soucieux de la qualité de l'enseignement. A ce propos, il avait gardé une grande faculté d'adaptation. Dans les discussions vives qui ont accompagné la récente réforme des études médicales, fidèle à son intuition, attentif à ce que lui disaient les étudiants, il s'est opposé fermement aux vues plus passéistes de certains de ses collaborateurs. C'est aussi à M. Lavenne que l'on doit l'organisation de l'enseignement post-universitaire. En effet, dès 1965, il jouait un rôle déterminant dans l'Association des Médecins Anciens Etudiants de l'UCL.
Voilà ce que M. Lavenne a réalisé. Mais qui était-il vraiment ? Incontestablement, un être sensible, un peu timide, mais passionné. Il pouvait même parfois paraître agressif, peut-être parce que trop vulnérable. Son ton direct, teinté d'ironie, en a désarçonné plus d'un, et certains ne le lui ont pas pardonné. Mais ce que ses amis ont le plus apprécié en lui, c'est sa lucidité, son désir d'excellence et son goût de la vie et du beau. Il nous a caché longtemps ses dons de poète. Notre communauté a été profondément marquée par M. Lavenne. Que sa mémoire nous inspire pour l'avenir de la Faculté.
P. MASSON
Doyen de la Faculté de Médecine
Quel tribut apporter à la vie du Professeur Lavenne si pleine de distinctions de tout genre?
Ses anciens malades ne se consolent pas de son décès et témoignent toujours leur reconnaissance à Madame Lavenne, car il était avant tout un clinicien avec les qualités de sympathie et de compassion que cela implique. Il était révolté par les attitudes désinvoltes et irresponsables affichées par certams assistants vis-à-vis des malades.
Ses étudiants ne l'oublieront pas, car son enseignement reflétait le genre de médecin qu'il était, dominant à la fois la clinique et la science. Il nous disait que le professeur le plus populaire est celui qui pense à la place des étudiants, mais que le bon professeur fait penser les étudiants. Les jeunes médecins avaient sans cesse recours à lui, car il était l'un des rares membres du corps académique à se préoccuper sérieusement de leur avenir. Il était convaincu de la nécessité de l'enseignement continu postgradué qu'il a sans cesse organisé et patronné et qu'il considérait comme une partie normale de la charge des enseignants et une façon de lier nos anciens étudiants à notre Faculté.
Ses amis intimes ne se consolent pas de sa disparition, car la partie la plus attachante de sa personnalité ne concernait pas la pratique de la médecine et son enseignement. Il était un esprit solitaire et caché et doué d'une culture très vaste comme l'ont révélé ses poèmes que nous avons publiés lors de son éméritat en 1986. Il s'agissait presque d'oeuvres posthumes révélant une sensibilité tout à fait insoupçonnée.
Au cours de ses études, il composait de petites pièces en vers pour un petit cercle d'intimes. Il était fortement influencé par Aragon et Paul Valéry, comme en témoignait l'un de ses premiers sonnets, actuellement perdu, intitulé "Sommeil et poésie ". Il y traitait en général des thèmes pleins de couleurs, d'inspiration souvent médicale, qui révélaient une maturité désabusée. Au terme de discussions que nous avions avec les étudiants en philosophie, il composait rapidement quelques vers où il tournait en dérision les platitudes concernant la morale, la politique, l'immaturité de la jeunesse, la sagesse du grand âge.
À l'insu de tous, en guise d'exutoire à la grisaille de la vie professionnelle, il a continué à écrire fiévreusement des poèmes débordant d'émotion, riches en images colorées, souvent inspirés par l'adoration fervente qu'il avait pour son épouse.
Ses rares intimes se souviennent de lui pas seulement pour son intelligence déductive et son attachement à ses malades et à notre Faculté, mais surtout pour sa gentillesse cachée, par sa timidité et son caractère secret.
Nous assurons Madame Lavenne que nous partageons son désarroi et son chagrin et que le souvenir de son époux restera vivace dans notre mémoire.
Professeur E.G. LEBACQ Président de l'AMA~UCL |