Louvain Médical 87 : 163 - 165, 1968

In Memoriam

J.P.  HOET

(1899 - 1968)


La disparition brutale du Professeur Joseph- Pierre Hoet a été durement ressentie, en Belgique, par les spécialistes en médecine interne et, par le monde, par tous ceux qui s'intéressent au diabète.

Né à Anvers, le 21janvier 1899, J.P. Hoet obtient à l'Université de Louvain, en 1923, le diplôme de docteur en médecine. Durant ses études, il avait dejà poursuivi des recherches en biochimie sous la direction des professeurs M. Ide et F. Malengreau. Ide avait découvert le «Bios », précurseur des vitamines du groupe B, nécessaire à la multiplication des cellules de levure. Dans l'alimentation synthétique des pigeons, le Bios est indispensable comme substance anti-névritique. C'est le sujet de la première publication de J.P. Hoet en 1922.

Boursier du Gouvernement belge, puis de la Fondation Rockejeller (1924-1926), il poursuit sa formation à Cambridge au laboratoire de pharmacodynamie dirigé par W.E. Dixon, puis à Londres au National Institute for Medical Research, sous la direction de Sir Henry Hartlett Dale. C'est là qu'il rencontre C.H. Best. De cette collaboration avec celui qui venait de découvrir l'insuline, naîtra une amitié profonde qui devait durer plus de 40 ans.

J.P. Hoet étudie l'action de l'insuline sur le glycogène musculaire et présente l'ensemble de ses recherches dans un mémoire soumis à l'Université de Cambridge «The fate of sugar disappearing under the action of insulin ». Le jury, constitué par G. Hopkins, H.H. Dale et J. Barcroft, lui décerne le titre de Ph. D. en i 926.

Nommé chargé de cours à l'Université de Louvain en 1926, puis professeur ordinaire l'année suivante, il y enseigne successivement la pharmacodynamie, la pathologie générale et la pathologie et la thérapeutique spéciales des maladies internes.

Après avoir été le collaborateur de A. Lemaire, il devient chef de clinique dans le service de F. Van Goidsenhoven. Mais c'est surtout au laboratoire de pathologie générale qu'il donne toute sa mesure de chercheur et d'animateur. Il étudie les effets de la synthaline, proposée dans le traitement du diabète, puis ceux de l'insuline et des extraits thyroïdiens sur le glycogène cardiaque. Il aborde également l'acétonurie de la gestation et ses causes. Il met au point le traitement des diabètes infantile et juvénile ainsi que celui de la femme enceinte diabétique.

Les travaux de son équipe vont rapidement déborder le cadre du diabète : l'action des hormones anté-hypophysaires sur la thyroïde et les autres glandes à sécrétion interne, le métabolisme du fer, les anémies hémolytiques et l'importance de la prothrombine dans les troubles de la coagulation sont successivement abordés de 1926 à 1944 par une série de chercheurs, qui, dans la bibliographie du maître, paraissent se passer de l'un à l'autre le flambeau de l'enthousiasme.

Les sombres années de la guerre 1940-1944 ne parviennent pas à arrêter cet élan et je me souviens — pour avoir fréquenté à ce moment ce laboratoire — que les trois derniers de ces sujets y étaient encore travaillés simultanément à cette époque. Parmi les nombreux lauréats du Concours Universitaire, du Concours des Bourses de voyage et de l'Agrégation de l'Enseignement supérieur qui ont travaillé de 1926 à 1944 dans les laboratoires de J.P. Hoet, on trouve notamment les noms d'A. Simonart, J. Arcq, J. Schockaert, J. Lederer, C. Gessler, R. Bogaert, P. Van Rossum, M. Cosyns, M. Renaer et A. Van Vyve.

Les événements de mai 1940 allaient poser en Belgique un problème majeur de ravitaillement en insuline. Devant la menace d'interruption du traitement des enfants diabétiques, un comité de la Croix-Rouge internationale (P. Nolf, C. Heymans et J.P. Hoet) prit la responsabilité de renouveler les stocks d'insuline, en particulier par l'importation de Hollande et des Etats-Unis. Ainsi prit naissance en Belgique une Commission pour la défense des intéréts des diabétiques, qui assura pendant trois ans la distribution rationnée de l'insuline. C'est de cette Commission qu'allait naître après la guerre, l'Association belge pour la défense des intéréts des diabétiques, dont J.P. Hoet fut élu président.

La libération, en 1944, apporte une nouvelle impulsion au laboratoire de pathologie générale. La découverte du facteur Rh a donné une solution inattendue à un de ses importants thèmes de recherches de l'entre-deux-guerres, l'ictère grave du nouveau-né. Comme pour la prothrombine, J.P. Hoet comprend immédiatement l'importance de la découverte et l'on voit immédiatement J. Vandenbroucke, P. De Somer, C. Vanden Bosch, A. Dereymaeker et H. Gelders étudier ce problème et enrichir le palmarès du laboratoire.

En 1948, J.P. Hoet est nommé chef de service à l'Hôpital St-Pierre et chargé avec P. Lambin de l'enseignement de la clinique et de la polyclinique médicales. Ces responsabilités cliniques augmentées ne vont pas freiner l'élan de la recherche, mais vont peut-être la réorienter vers le métabolisme des hydrates de carbone. Peut-être aussi est-il vrai que, même en sciences, on revient toujours à ses premières amours. Si A. Prinzie étudie encore le métabolisme du fer et F. Meersseman les anémies hémolytiques, c'est le diabète alloxanique qui fait l'objet des travaux de P. De Moor et C.A. Vuylsteke, tandis que le thème diabète et grossesse apparaît dans ceux de P.L. Hoet, L. Brasseur, G. Vaes, R. De Meyer, C. van Ypersele, A. Gommers et J. J. Hoet.

Tandis que des études des hormones surrénaliennes et des stéroïdes sont entreprises, c'est la mise au point du dosage de l'insuline qui constitue la contribution la plus importante de son laboratoire au cours de ces toutes dernières années. Le thème diabète et grossesse va d'ailleurs déborder le cadre du laboratoire et devenir une des préoccupations cliniques majeures du Professeur Hoet.

En 1953, à l'occasion de l'inauguration de l'institut C. Best à Toronto, il développe ses vues à ce sujet. La grossesse peut révéler un prédiabète et cet environnement diabétique au cours de la gestation provoque de la macrosomie, de la mortalité périnatale et des malformations congénitales, en particulier du système nerveux centrai, du coeur, des vaisseaux et des reins.

Ces travaux, subsidiés par la Fondation Médicale Reine Élisabeth, et dont E. P. Joslin a souligné l'importance, mettent en évidence le rôle du diabète latent dans l'apparition des embryopathies. Elles valent à J.P. Hoet non seulement des honneurs nationaux (membre correspondant de l'Académie de Médecine depuis 1938, il en est élu membre titulaire en 1957), mais une véritable célébrité internationale. Docteur honoris causa de l'Université de Toronto en 1964, il reçoit la même année la «Banting Medal », la plus haute récompense de l'American Diabetes Association. En avril 1965, il est élu premier Président de l'Association Européenne pour l'Étude du Diabète. Il est invité à présenter ses travaux aux universités d'Hambourg, Londres, Oxford, Edimbourg, Münster, Munich, Berlin, Zurich, Paris, Milan et Rome.

Malgré une santé devenue fragile, il n'hésite pas à répondre en 1965 à l'invitation du Collège Royal des médecins et chirurgiens du Canada et à accepter un Professorat R. S. Mc Laughlin Edward Gallic. Il succède ainsi à Sir Charles S. W. Illingworth de Glasgow, à Sir Georges Pickering d'Oxford, au Professeur R. Kourilski de Paris, au Professeur Lance Townsend de Melbourne et au docteur Johannes Mortens de Copenhague. Durant deux mois, il donne surtout son enseignement à l'Université de Toronto et à celle de Montréal ainsi qu'au Best Institute à Toronto. Mais les facultés du Nouveau Brunswick, de LavaI, de McGilI et Winnipeg veulent également profiter de sa présence au Canada.

L'Association Européenne pour l'étude du diabète, sous la présidence de F. G. Young de Cambridge, désirait lui rendre hommage, en se réunissant en juillet 1968 dans la cité universitaire où il avait oeuvré. Il devait être le Président d'honneur de ce Congrès. Il y aura ces jours-là un grand absent à Louvain et l'Association a décidé de l'honorer à ce moment à titre posthume.

Il y aura surtout un grand absent à notre Faculté de Médecine et à l'Hôpital St-Pierre qui doit tellement au Professeur J.P. Hoet. Nos étudiants savent-ils que c'est sous son impulsion que furent construits les pavillons qui ont permis toute l'activité de laboratoire au cours de ces quinze dernières années ? Se souvient-on également du temps qu'il a consacré à rendre possible la construction du nouvel Hôpital St-Pierre, qui sans lui n'aurait sans doute jamais été construit ?

C'est dans cet hôpital, qui avait vraiment été son oeuvre, que le Professeur Hoet a connu ses plus grandes joies professionnelles au cours de ces dernières années. Il aimait le contact humain et savait inspirer la confiance à ses malades, qui lui étaient très attachés. Il s'attardait longtemps auprès d'eux et ce n'est souvent que très tard qu'il quittait son service. Le 8 février, il était près de 9 heures du soir quand, apparemment en bonne santé, il prit congé pour la dernière fois de ses assistants, qui ne se doutaient pas que leur patron allait réellement mourir à la tâche.

Louvain Médical perd en lui un collaborateur et un ami. L'Association des Médecins Anciens Étudiants de l'Université de Louvain, dont il avait été longtemps le Secrétaire Général et la véritable cheville ouvrière, déplore la disparition d'un de ses Vice-Présidents. Ils prient Madame J. P. Hoet et ses enfants d'accepter leurs chrétiennes condoléances.

Pr F. LAVENNE,

Secrétaire Général de l'Association des Médecins Anciens Etudiants de l'Université de Louvain.