Eloge du professeur Pierre- Paul De NayerLe professeur Pierre-Paul De Nayer a été si longtemps parminous et, jusqu'il y a deux ans, si souvent présent aux manifestationsuniversitaires, toujours pareil à lui-même, qu'il nous semblaitune figure éternelle et sans âge de la faculté. La surpriseet la peine de sa disparition sont à la mesure de l'affection et durespect que nous lui portons. Célébrer sa mémoire, c'estretracer la carrière d'un enseignant, d'un chercheur, d'un constructeurqui a profondément marqué l'évolution de notre, université;c'est aussi évoquer une personnalité originale, d'une qualitéhumaine exceptionnelle. P. P. De Nayer est né à Hal en 1906. Après ses humanitésà Hal et au petit séminaire de Malines, il entame les étudesde médecine. Bientôt, i I fréquente le laboratoire duprofesseur Bouckaert comme étudiant chercheur. Avant même d'êtrepromu docteur en médecine, il participe aux importantes publicationsdu laboratoire sur l'équilibre glucose-insuline, publications quimarquent un tournant dans les recherches sur l'insuline de l'époque. Diplômé en 1931, nommé presque d'emblée chef detravaux, une carrière de chercheur et d'enseignant s'ouvre àlui. Uni par une profonde amitié au professeur Bouckaert, il devientun des principaux animateurs du laboratoire de physiologie. Il partage. avecson maître l'enthousiasme pour la recherche. Mais alors que celui-ciest plutôt un théoricien, P. P. De Nayer est un expérimentateurhabile qui révèle très tôt son originalitédans ses publications sur l'insuline et sur le muscle. Responsable des travauxpratiques de physiologie, il y montre ses dons pédagogiques et sontalent d'organisateur. Son enthousiasme, sa générosité,ses qualités didactiques attirent les jeunes. Christian de Duve asouvent rappelé que P. P. De Nayer avait été son initiateurà la recherche, que ses propres recherches sur l'insuline se fondaientsur les techniques et les découvertes de P.P. De Nayer et que si sontravail lui avait valu très tôt une bonne réputationinternationale et l'avait conduit à la découverte du glucagon,il le devait dans une large part à son premier maître. On peutrêver de l'extraordinaire équipe que ces deux chercheurs auraientfaite si les fonctions de P. P. De Nayer ne l'avaient pas écartédu laboratoire de physiologie. Car sa carrière connaît un tournantdécisif en 1937. Le recteur, Mgr Ladeuze, lui demande de prendre en charge la constructiond'un institut sportif, la direction du sport étudiant, et la supervisiondes programmes de médecine du sport. P. P. De Nayer hésiteun moment, parce qu'il perçoit bien que cette réorientationréduira sérieusement son engagement en recherche. Mais il acceptecette mission sur le conseil du professeur Bouckaert. Le choix du recteurne pouvait pas être plus heureux. P. P. De Nayer était, nonseulement un scientifique, un enseignant et un organisateur de premier plan,c'était aussi un enthousiaste du sport. Durant ses humanitésdéjà, il en avait été le promoteur dans son collège,à une époque où le sport était plutôt malvu dans l'enseignement catholique. A l'université, avec Mgr Lemaitrenotamment, i I avait pris une part active dans l'animation du sport universitaire. La construction des bâtiments et l'aménagement des plaines desport étaient une tâche d'envergure, dont l'ampleur dépassaitles moyens financiers de l'université. Mais l'habileté et l'enthousiasmede P. P. De Nayer permettent de réunir les fonds qui complétaientles subsides à la construction et à l'équipement dubâtiment. P. P. De Nayer tenait sans doute de son père, entrepreneuren construction, une prédisposition génétique ou familialede bâtisseur. Inauguré en 1939, deux ans seulement aprèsqu'on en ait débuté l'étude, l'institut est un modèled'installation moderne. Il restera longtemps un outil performant de rechercheet de formation, en même temps qu'un centre d'organisation du sportuniversitaire. Dès le départ, P. P. De Nayer a des objectifs très clairset sans doute beaucoup plus précis et ambitieux que ceux de l'autoritéacadémique. Bien que l'institut ne soit, au début, qu'une institutionsportive para-universitaire, P. P de Nayer veut d'emblée lui donnerune plus grande dimension : celle d'un centre de recherche sur la physiologiedu mouvement et la pathologie du sport, et celle d'un centre de formationuniversitaire de médecins et d'éducateurs. Il est significatifque, dès 1938, la licence en éducation physique destinéeà des médecins était déjà organiséeet rencontrait un vif succès. Il est tout aussi clair que P. P. DeNayer prévoyait que l'école supérieure d'éducationphysique qu'il organisait serait le germe d'une licence en éducationphysique intégrée aux programmes universitaires de la facultéde médecine. La structure des programmes de l'école révèlebien l'intention qui animait P. P De Nayer. Bien qu'il soit un passionné des sports, y compris de ce qu on qualifieaujourd'hui de sport spectacle, l'enseignement de l'école ne visepas du tout à former des sportifs de compétition, mais deséducateurs et des organisateurs sportifs polyvalents. Les sciencesexactes et les sciences humaines occupent une place très importantedans le programme d'études. En même temps qu'il recrute commeenseignants des éducateurs sportifs de qualité, il obtientla collaboration de toutes les facultés qui lui délèguentdes professeurs du meilleur niveau scientifique. L'actuel Institut d'éducationphysique et de réadaptation a d'ailleurs gardé cette ambitionde former des scientifiques et des humanistes bien plus que des techniciensdu sport; il a aussi entretenu la tradition de collaboration avec les autresdépartements. Si plus tard, l'institut a pu passer du statut para-universitaire àcelui d'un département universitaire harmonieusement intégréà la faculté de médecine, c'est grâce àl'orientation initiale que P. P. De Nayer lui a donnée. Mais l'intérêtpour le sport n'atténue pas sa sensibilité médicale,bien au contraire. Il développe, déjà durant la guerre40-45, l'examen médico-sportif préventif et la radiophotoscopiede dépistage de la tuberculose des jeunes. Surtout, il s'intéresseaux handicapés. Dès 1946, il crée dans son institutun service de rééducation motrice et de réadaptationfonctionnelle auquel il participe activement comme médecin. Ce servicedéménagera plus tard aux Cliniques universitaires; il est l'embryondes services des cliniques de l'UCL et de la KUL. Il sera le support techniquede la licence en réadaptation et kinésithérapie conçuedans le même esprit universitaire que la licence en éducationphysique. Le travail scientifique n'est pas oublié pour autant, mais sonchamp d'intérêt s'élargit : de la physiologie pure,il s'étend à la physiologie de l'effort et à la pathologiesportive et plus tard, à l'organisation des sports et à leurenseignement. La qualité de ces travaux vaut d'ailleurs au professeurDe Nayer d'être élu membre de l'Académie de Médecineen 1948. Il en sera le président en 1971. Mais pour le professeur De Nayer, la fonction d'enseignement et de recherchede l'institut se situe dans un objectif beaucoup plus large qui lui tientparticulièrement à coeur promouvoir l'activité sportive,non comme une fin en soi, mais comme un moyen d'épanouissement physiqueet psychologique des jeunes. Et cet objectif débordait largement lecadre de l'université. De là, son engagement dans d'innombrablesorganisations extra-universitaires, par exemple, l'institut du Parnasse,l'INEPS devenu ultérieurement l'ADEPS, l'Oeuvre nationale de l'enfance,les oeuvres de plein air de Caritas Catholica, la Fédérationnationale sportive de l'enseignement catholique, puis la fédérationinternationale, et bien d'autres organisations où il assura des fonctionsimportantes, et souvent même la présidence. La personnalité et l'activité du professeur De Nayer ont étédes facteurs déterminants du rayonnement de l'institut hors de l'universitéet de la place que ses élèves ont prise dans l'enseignementet l'organisation des activités physiques. Malgré ces activitésextérieures débordantes, le professeur De Nayer reste le grandpatron de l'institut. Jusqu'à la veille du déménagementvers Louvain-la-Neuve, il anime les réformes de programmes, arbitreles différents et apaise les conflits stériles. Il assume aussi une charge d'enseignement importante qui va de la physiologiedu mouvement à la déontologie de I'éducation physiqueen passant par la biométrie. Son ambition est comblée lorsqu'ilobtient la promotion de l'institut au niveau d'un département universitaireet, plus particulièrement, son rattachement à la facultéde médecine. Après son éméritat, en 1976, le professeur De Nayerreste actif, surtout dans le milieu extra-universitaire. Son expérience,sa lucidité, sa diplomatie en font un interlocuteur recherchéet un arbitre respecté. Mais le décès de son épouse,il y a 8 ans, le peine profondément. Il se tourne plus vers sa famille,ses enfants et ses nombreux petits-enfants et arrière-petits-enfants.Il est l'ancêtre compréhensif et lucide, l'autorité morale,le conseiller chaleureux d'une grande famille. Jusqu'aux derniers jours,il garde sa curiosité, son esprit pénétrant, son intérêtpour les autres et il aborde avec sérénité la fin d'unevie heureuse et bien remplie. La qualité des réalisations du professeur De Nayer traduitévidemment son intelligence, sa capacité de travail et sontalent d'organisateur. Mais ceci n'est qu'une face d'une personnalitéexceptionnelle et, par bien des aspects, assez peu conventionnelle. Ce quifrappait au premier abord c'était une joie de vivre évidente,une jovialité, assez rare dans les milieux académiques généralementplus engoncés; c'était ensuite l'assurance, mais une assurancebon enfant qui n'avait, elle non plus, rien d'académique, ni de prétentieux ;c'était l'écoute et l'attention aux autres, si jeunes ou simodestes fussent-ils; c'était le discours simple et clair, trèsdirect, mais jamais blessant. Le professeur De Nayer avait l'étoffed'un chef; mais son autorité n'avait pas besoin d'être affirmée;le respect et l'affection y suffisaient. Et s'il était habile diplomate,ce n'était pas seulement par intelligence et par expérience;c'était aussi parce qu'il était sincère, dévoué,désintéressé et parce qu'il savait écouter etrespecter ses interlocuteurs. Ces qualités exceptionnelles n'expliquent pas complètementune vie aussi bien remplie, si heureuse, si cohérente dans ses objectifset ses réalisations. Quelle motivation soutenait cet enthousiasme? Pour ceux qui ont eu le privilège de travailler avec le ProfesseurDe Nayer, la réponse est immédiate: la générosité.Jamais l'ambition personnelle, l'intérêt, la recherche des honneursou du pouvoir ne se sont substitués à une volonté constante :servir les autres. Il aimait à répéter que chacun aune place, une mission à remplir. Pour lui, la vie avait un sens,soutenu par une profonde foi chrétienne, celui du service des autres :les jeunes, les handicapés, l'université, la communautéchrétienne, son pays, sans oublier sa famille. Pour lui, ce servicen'était pas un fardeau, mais une joie. Il savait, et il a montrépar toute sa vie, que l'amour des autres est la seule source du vrai bonheur. |