Numéro 30 : Les interviews de l’AMA-UCL
Les interviews de l'AMA-UCL

Professeur Edgard Coche

AMA : Monsieur Coche, votre carrière médicale et universitaireest étonnante.  Vous avez atteint des fonctions de haut niveau,alors que vous n'êtes manifestement pas un carriériste etque vous avez poursuivi votre travail de médecin avec ce qu'il impliquede disponibilité et de dévouement.  Racontez-nous ceparcours.

E.C. : Après avoir terminé ma spécialitéde médecine interne, avec orientation néphrologique, en 1967je suis devenu l'adjoint de Charles van Ypersele jusqu'en 1970.  Ace moment, en accord avec lui, j'ai décidé de partir, caril n'y avait pas entre nous une grande différence d'âge. La clinique de Jolimont recherchait un néphrologue, pour créerun service d'hémodialyse.  J'ai obtenu ce poste.  Etantseul néphrologue, j'étais de garde jour et nuit ;  souventappelé la nuit pour des problèmes techniques ou autres encours de dialyse.  Ma carrière a pris une nouvelle orientationen 1971, lorsque Georges Bogdanowicz est décédé brutalement. On m'a demandé si j'étais éventuellement prêtà assurer une fonction dans le service de médecine internegénérale.  Georges Bogdanowicz était chef declinique chez Joseph Hoet et assurait des fonctions administratives, notammentla répartition des assistants.  J'ai beaucoup  réfléchiavant d'accepter, car je m'étais investi en néphrologie àJolimont et l'on me proposait de revenir à Louvain dans le servicede médecine interne générale, à temps plein,sans toutefois participer aux activités néphrologiques. J'ai accepté d'être candidat.   Mais on m'a apprisque Jean Sonnet, qui depuis son retour de Lovanium était en chargedu laboratoire, était désireux de faire de la clinique etpostulait également ce poste.  Assez curieusement, nous avonsété nommés tous les deux.  Nous avions chacunnos lits pour des périodes déterminées en alternance,la salle 10 et le 5ème étage; en outre, Franz Lavenne m'avaitchargé de la répartition des assistants, tâche de plusen plus compliquée que j'ai rempli durant des années. Pierre Lacroix, directeur médical de l'Hôpital Saint Pierre,est mort peu après ;  Jean-Jacques Haxhe a éténommé à sa succession ; je lui ai écrit peu de tempsaprès, pour suggérer une standardisation des étagesdu nouveau Saint-Pierre : si l'on disposait de la même manièreà tous les étages, l'ordonnance des différents locaux(bureau d'infirmière, salles de pansements, etc·) cela ferait gagnerpas mal de temps au personnel et aux médecins.  Il est possiblequ'à cette occasion on ait remarqué que j'avais une certainefibre pour l'organisation.

AMA : Cette fibre a eu l'occasion de s'exercer lors de la migrationde Leuven à Woluwe·

E.C. : Evidemment.  Nous avons commencé àréfléchir à cette aventure avec Jean-Jacques Haxhe. Dès 1974, nous avons installé une consultation dans des locauxde l'école d'infirmières ;  nous avions quatre àcinq  bureaux de consultation, une radiologie dirigée par PierreBodart, un local de prélèvements sanguins·  Ce n'étaitpas simple : toutes mes matinées étaient occupéespar des consultations, tantôt à Saint Pierre, tantôtdans les nouvelles consultations Saint Luc, dans les locaux disponiblesde l'école d'infirmières.
Dans la suite, j'ai eu la chance d'inaugurer Saint Luc avec 10 premierslits d'hospitalisation, mais peu de possibilité d'examens techniquessur place : pour beaucoup d'investigations les malades devaient êtreamenés en ambulance à Louvain·  Progressivement, malgréquelques gags inévitables lors de la mise en route d'un grand hôpital,les choses évoluèrent assez vite : l'unité de médecineinterne générale s'agrandit, P.J. Kestens arriva avec lachirurgie digestive, alors que la finition d'autres étages se poursuivait. Dans ma première unité, on avait mis toutes les infirmièreschefs, qui ont ensuite été réparties au fur et àmesure dans les nouvelles unités qui arrivaient.  J'avais aussila charge de la coordination des consultations, qui se développaientrapidement.  Il faut se rendre compte que les cliniques UCL louvanistesétaient dispersées à Saint Pierre, à SaintRaphaël et à Herent.  Les disponibilités technologiquesd'Herent ne pouvaient pas être transférées directement; d'autre part les médecins d'Herent qui vivaient là basdans un cocon étaient peu pressés de venir à Woluwe.

AMA : Les chirurgiens cardiaques n'étaient pas certains deretrouver à Saint Luc le même nombre de lits et la mêmedisponibilité du quartier opératoire.  C'est pourquoiils ont poussé à la création d'une cardiologie médico-chirurgicaleà Mont-Godinne.

E.C. : Effectivement.  Je me suis de plus en plus intéresséaux problèmes d'organisation, tout en respectant la mission quim'avait été confiée : faire de la médecineinterne générale et ne plus envisager une spécialité,comme la néphrologie qui avait été mon premier choix.
Jules Arcq nous a progressivement associés, Henoch Meunier,Jacques De Plaen et moi, à l'enseignement de la propédeutique,d'abord en participant aux examens de 1er doctorat et ensuit en étantassociés à l'enseignement.

AMA : Il y avait encore à cette époque de la médecineinterne à Saint Pierre ?

E.C. : Oui.  Jules Arcq en était le responsable,mais chaque interniste avait une autonomie de fait.  Henoch Meunieravait en charge le 4ème étage, Jean Sonnet et moi alternionsentre la salle X et le 5ème étage, le 6ème étageétait tenu par Jules Arcq et Joseph Hoet et Franz Lavenne avaientdes malades privés au 10ème.  La structure en serviceétait plutôt lâche.
A l'éméritat de Jules Arcq en 1978, j'ai étéproposé comme chef de service, mais comme il fallait êtreprofesseur pour l'être et que je n'étais chargé decours que depuis 1973, j'ai été pendant un an chef de servicefaisant fonction.  Ensuite, j'ai assumé cette responsabilitéjusqu'en 1993.

AMA : A l'époque, il devait y avoir un parallélismerigoureux entre les carrières académique et clinique.

E.C. : Effectivement.  Nous avons partagé, HenochMeunier, Jacques De Plaen et moi, la chaire de propédeutique médicaleet la clinique médicale.  Je participais à la cliniquemédico-chirurgicale dans les trois premiers doctorats, Franz Lavenneen étant le responsable.

AMA : Cette clinique était donnée avec le chirurgien?

E.C. : Non.  Malgré son nom, elle était donnéepar les seuls internistes.  Avec Franz Lavenne et Henoch Meunier,nous répartissions les cours cliniques parmi les différentsprofesseurs et avions la charge de l'examen final de 4ème doctorat. C'était une lourde responsabilité.  Il n'y avait alorsque les matières de l'intitulé du diplôme, plus lapédiatrie.
Il y avait déjà le concours de médecine interne: avec une partie écrite comportant trois questions rédigéeset corrigées par les internistes généraux (40 points)et une partie orale, comportant huit interrogatoires par les spécialistes(8 X 5 points).  Les 20 points restants étaient baséssur les grades obtenus en doctorat.  Les étudiants étaientclassés selon ces points, sans qu'il y ait de délibérationvéritable et répartis en fonction de ce classement.

AMA : Comme au Concours Reine Elisabeth !

E.C. : En quelque sorte.   Dès 1978, Jean-JacquesHaxhe et les autorités de l'époque m'avaient demandéd'accompagner la direction des soins infirmiers en tant que directeur médicaladjoint, cela consistait en réunions et concertation hebdomadairesavec la directrice et les monitrices.  En 1985, à l'éméritatde Franz Lavenne, j'ai été nommé chef de départementde médecine interne.  C'était une situation un peu délicate,car sauf André Lambert, tous les chefs de service de médecineinterne étaient mes aînés et de fortes personnalités,tels par exemple Gérard Sokal, L. Brasseur, Jacques Prignot, CharlesDive, Charles van Ypersele, Charles Nagant, qui avaient tous une certainehabitude d'indépendance.  Je voulais favoriser la communicationö j'avais en ce temps suivi des séminaires à ce propos. Avant d'entamer mon mandat de chef de département, j'avais réuniles chefs de service pour une journée de réflexion. Des journées annuelles se sont poursuivies, avec bientôt laprésence de nos homologues de Mont-Godinne.  Cette formuleétait intéressante et existe toujours.  Une journéede réflexion de même type a été crééeau niveau institutionnel.  Ces journées favorisent certainementl'entente dans les structures.

AMA : · et évitent de donner l'impression de décisionsprises en colloques singuliers ou sans avoir entendu les personnes concernées.

E.C. : Certainement.  J'étais opposé aux colloquessinguliers et à la politique de couloir.  Un jour, Jean-JacquesHaxhe a dû interrompre ses activités pendant 3 mois. J'ai reçu un coup de téléphone de Monseigneur Massaux,recteur de l'époque : « Ecoutez, Monsieur Coche, lundivous prenez la direction médicale . »  « Mais,Monseigneur, puis-je avoir un temps de réflexion ? » « C'est tout réfléchi » m'a-t-il dit «Nous sommes jeudi, lundi vous êtes dans le bureau de la direction.»  J'ai assuré l'intérim pendant ces troismois.  C'était une charge qui me tombait sur les épaulessans véritable préparation.  C'est là, je pense,que j'ai puisé le plus clair de mon organisation.  J'avaislu un livre d'un psychologue américain dont le nom m'échappe,qui expliquait qu'un des principes du « management » étaitde segmenter, de compartimenter son activité.  Si je donnecours, je ne pense pas à la réunion qui m'attend et au coursde cette réunion, je ne pense pas à la réunion peut-être plus difficile qui va suivre.  Quand je convoquaisune réunion, je donnais habituellement l'heure de début maisaussi de fin.  Après deux heures au maximum, les réunionstournent en rond.

AMA : La condition est d'avoir de l'exactitude dans ses horaires!

E.C. : C'est évident !  J'ai toujours ététrès ponctuel.

AMA : Il ne faut pas que les soucis de la journée causentdes insomnies.

E.C. : Je n'en ai jamais eu· Dans la suite, j'ai eu trois mandatsde chef de département académique, ce qui me donnait la responsabilitéde l'enseignement de la médecine interne.  Enfin en 1996, àl'éméritat de Jean-Jacques Haxhe, je me suis vu confier ladirection médicale et la coordination générale deSaint Luc.  Là je me suis senti relativement à l'aisecar c'était l'aboutissement d'une série d'expériences: je connaissais bien la maison, j'avais fréquenté des milieuxministériels pour les commissions de spécialisation et l'organisationd'établissements hospitaliers, et j'avais une certaine autoritémorale du fait de mon parcours antérieur et de ma présencependant de nombreuses années au Centre Médical présidépar le recteur, un organe riche en information.

AMA : Dans ce parcours exigeant, comment avez-vous pu poursuivreune oeuvre de médecin, avec ce qu'elle implique de disponibilité?

E.C. : A de très rares exceptions, j'ai toujours maintenumes consultations.  J'ai tenté d'expliquer aux autoritéscombien il était difficile de commencer sa consultation à8 heures, de l'interrompre à 10 heures pendant une heure et demiepour donner un cours ou une clinique, pour la reprendre ensuite. En ce qui concerne la supervision des salles d'hospitalisation, je voyaistous les malades et leurs dossiers deux fois par semaine et selon les périodes,en fonction de la qualité et de l'expérience des assistants,je passais en salle les autres jours, plus ou moins fréquemment. J'étais un maniaque de l'anamnèse et de l'examen clinique. Je regrette que ces deux piliers de l'élaboration du diagnosticsont souvent réduits à peu de choses.

Un jour, faisant la visite des malades à l'étage des femmesà la Clinique Saint Pierre, j'examinais une dame d'une cinquantained'années.  Brusquement je me sentis attiré vers elleet elle m'embrassa sur le crâne.  Triomphante, elle s'exclamaaux trois autres compagnes de la chambre : « J'ai gagnémon pari ! »

AMA : Vous n'avez pendant ce parcours chargé jamais eu besoinde psychologue, ni jamais éprouvé le ãburn-outä àla mode dans notre profession·

E.C. : Non, jamais !  Et, comme dans la chanson, je ne regretterien !  Mes meilleurs souvenirs sont peut-être les périodesoù j'ai été amené à gérer dessituations conflictuelles difficiles.

AMA : Merci, professeur Coche, de nous avoir donné un aperçude votre carrière, qui ne vous a pas empêché d'êtreun pater familias exemplaire : mais ceci est une autre histoire·