Extrait de "50 ans de Médecine à l'UCL" Ed. Racine- Bruxelles - 2002. La bactériologie. Le Pr Georges Wauters écrit : En 1955, lorsque je suis entré au laboratoire de l’Institut de bactériologie situé rue Vital Decoster à Louvain, le Pr Richard Bruynoghe âgé de plus de 70 ans, avait depuis peu laissé la direction du laboratoire à son fils Guy Bruynoghe, qui avait par ailleurs repris la plus grande partie de ses charges d’enseignement dans la section francophone. Néanmoins, Richard Bruynoghe – le professeur Bruynoghe père, comme il s’appelait lui-même – avait sa résidence dans les bâtiments de l’Institut et continuait à venir chaque jour au laboratoire où il assumait la supervision de l’activité de routine et exécutait lui-même certaines analyses qu’il se réservait. Le personnel du laboratoire comportait outre un assistant principal et des assistants depassage, deux laborantines, une secrétaire, trois préparateurs et un concierge qui s’occupait également des animaux. … *** Comment se passait l’activité sur le terrain, au laboratoire de bactériologie de la rue Vital Decoster, dans les années cinquante ? La microbiologie était encore fort centralisée et le laboratoire des Prs Richard et Guy Bruynoghe recevait les analyses non seulement des servicesuniversitaires, mais aussi des médecins de la ville de Louvain etde nombreux spécialistes attachés ou non à des cliniques à travers tout le pays. Les premières années portaient encore l’empreinte d’une bactériologie très artisanale. Par exemple, le laboratoire effectuait, pour l’abattoir de Louvain, des examens bactériologiques sur les animaux devant subir une expertise. Pour ce faire, deux quartiers de viande nous étaient soumis et, après prélèvement pour analyse, nous les récupérionspour la préparation des milieux de culture. Il faut savoir qu’en bactériologie,la base des milieux usuels, bouillon et gélose nutritive, est constituéede peptones, c.à d. de produit de digestion de protéines. Laviande était donc digérée par de la pepsine ou de lapapaïne, l’extrait subissait une double stérilisation et unedouble filtration afin d’obtenir un bouillon parfaitement limpide. Cetteopération délicate était effectuée par le vieuxpréparateur Joseph; avec sa retraite en 1956 fut abandonnéela préparation artisanale des peptones au laboratoire … Un autre exemple est donné par l’animalerie que possédaitle laboratoire. Les installations du jardin de l’Institut hébergeaient près de 200 cobayes, quelques lapins et un mouton, entretenus par leconcierge pour qui le mouton était un véritable animal de compagnie.Chaque semaine, le préparateur saignait quelques cobayes par ponctioncardiaque avec une dextérité remarquable entraînant unemortalité minimale, afin de recueillir le sérum nécessaire à l’obtention du complément, encore appelé "alexine"à l’époque et utilisé dans les réactions de déviationdu complément. De même, le mouton était régulièrementsaigné pour fournir les globules rouges nécessaires àdifférentes réactions sérologiques. Le sang stérilequi servait à la préparation des géloses au sang étaitprélevé quant à lui à l’abattoir. D’autres pratiques artisanales nous paraissent parfaitement désuètes et inimaginables aujourd’hui, comme la préparation au laboratoire desdisques de papier buvard imprégnés d’antibiotiques destinés à la réalisation des antibiogrammes. Les analyses directement supervisées par le Pr Richard Bruynogheétaient soumises à un rituel immuable. Chaque matin, la détermination des groupes sanguins était effectuée sur les nombreux échantillons parvenant tous les jours de différents centres de Belgique, aussi bienfrancophones que flamands. C’est la secrétaire Mme Rosa Nevens quiétait chargée de répartir les sérums et les globulesqui étaient ensuite mélangés, la lecture étant faite par le Pr R. Bruynoghe, qui effectuait par ailleurs toutes les manipulations pour la recherche du facteur rhésus, considérées comme plus délicates. Mais l’analyse entourée d’un véritable cérémonial était le Bordet-Wasserman, couramment appelé BW et principal test sérologique de la syphilis à l’époque. Il était exécuté tous les vendredis matin. Ici aussi, cette sérologie était fortement centralisée dans quelques laboratoires, surtout universitaires, qui desservaient toute la Belgique. J. Vandepitte, assistant au laboratoire quelques années auparavant et qui allait devenir plus tard professeur de bactériologie à la KUL, avait comparé de manière très imagée la séance des BW à une grand’messe dont Richard Bruynoghe était l’officiant principal. Sur une table du laboratoire étaient disposés les portoirs, tubes, sérums, réactifs, pipettes et autre matériel. Le Pr R. Bruynoghe présidait, entouré de ses acolytes : la secrétaireà ses côtés, l’assistant principal, une laborantine,un préparateur. Chacun avait sa tâche, passer le matériel,répartir les sérums, ensuite l’antigène puis l’"alexine",l’officiant se réservant l’addition finale du système hémolytique,dernière étape de la réaction. Les nouveaux venus étaientautorisés à regarder, comme on assiste à un spectacle. Mais si certaines pratiques étaient un peu stéréotypées, le laboratoire n’en avait pas moins une activité de recherche indéniable et une ouverture vers des techniques et des mises au point nouvelles. Le décès du Pr Richard Bruynoghe en 1957 a changé profondément la vie du laboratoire. Les bâtiments de l’ancien Institut allaient recevoirune nouvelle affectation et notre laboratoire allait être hébergéà l’Institut Rega, rue des Récollets. Ce bâtiment, neufà l’époque, avait été construit avec le soutiende la firme R.I.T à Genval (devenue actuellement Glaxo-Smith-Kline)dont le Pr P. De Somer était conseiller médical. Il abritaitune série de laboratoires de recherche et une partie du premier étagefut attribuée au Pr Guy Bruynoghe. Ce déménagement amarqué un tournant : les pratiques artisanales de l’ancien Institut ont disparu et ont été remplacées par une approche plus moderne de la bactériologie. |