Entretiens avec Nicolas Tardy

menés par Anne Reverseau (11 et 18 mai 2020, en video)

Nicolas Tardy et la manipulation des images : quelque chose de l’ordre de l’intuition

 

Nicolas Tardy est né en 1970 ; il a étudié aux Beaux-Arts et il vit à Marseille. C’est un écrivain du collage, du cut-up. Poète, il anime souvent des ateliers d’écritures, notamment dans les écoles d’art, et collabore parfois avec des artistes visuels et des musiciens. Il est l’auteur de plusieurs livres numériques, et, avec les Éditions Contre-mur qu’il codirige avec Caroline Scherb, il en publie aussi.

 

Nicolas Tardy raconte comment il lui est arrivé de constituer des stocks d’images pour écrire

« De plus en plus et comme tout le monde, le fait de travailler sur ordinateur, où j’ai mon traitement de texte ouvert et une fenêtre internet, je peux aller piocher tout et n’importe quoi, ca augmente la banque d’images susceptible »

« Pour certains projets, j’ai parfois constitué spécifiquement des stocks d’images. Par exemple, pour Monde de seconde main, dans « Cohabitations », je suis parti de photos de Lee Friedlander. Ca avait été impulsé en voyant sur internet quelques images de Lee Friedlander, une ou deux au départ, alors j’ai fait une recherche en ligne pour savoir le nombre de photos qu’il y avait dans cette série, car il était impossible d’avoir le catalogue correspondant à cette série. Puis j’ai été traquer sur le net sur plein de sites et j’ai complété en photographiant dans des catalogues en bibliothèque pour avoir toute la série, entre 20 et 30 images. Là, j’ai constitué un corpus d’images.

[…] Plus je reconstituais cette série, plus je voyais bien qu’il y avait quelque chose à faire avec ça. C’est de l’ordre de l’intuition plus que de la réflexion très poussée au départ. » (Voir extrait vidéo: Autour de Lee Friedlander et de la traque d’images)

Nicolas Tardy raconte l’importance du feuilletage du livre papier, notamment dans son projet sur les Twentysix Gasoline Stations d’Ed Ruscha

« J’avais demandé une résidence à la Maison de la poésie de Rennes car le Frac Bretagne possédait ces 3 livres. J’ai été deux mois en résidence. J’ai été quasi quotidiennement écrire en manipulant les livres […] C’était la première fois qu’ils avaient quelqu’un qui venait utiliser ces livres comme une matière pour un travail littéraire qui n’était pas un essai.

Etait-ce important d’être sur place face à des livres papier ou aurais-tu pu écrire avec des images numériques ?

« J’avais vu des reproductions partielles, mais il me manquait l’ensemble.

[…] Ce que m’a apporté la manipulation des livres, c’est la découverte des variations de couleur, et aussi des choses en arrière-plan, même si tout n’était pas révélé.

Le geste du feuilletage et les marque-pages

« Parfois je vais prendre en photo une image dans un catalogue, quand ce n’est pas chez moi, dans les écoles d’art par exemple.

Je fais aussi des bookmarks, une manière de garder des images. Je retourne voir des sites ou des comptes instagram d’artistes ou de photographes qui m’intéressent, par pur plaisir, ou en me disant « il y a quelque chose à faire pour moi, pour mon travail d’auteur ou comme matière, matériau à un atelier.

Mais je n’ai pas tant de bookmarks que cela, cela s’est déplacé avec instagram.

J’essaie de ne pas juste engranger pour engranger.

Je me suis inscrit sur quelques comptes instagram, mais plutôt de structures qui vont me permettre de découvrir des gens que je ne connais pas forcément, comme Le Bal ou Le jeu de Paume. » (Voir extrait vidéo: Catalogues, bookmarks et comptes instagram: la pratique du feuilletage)

Ce qui l’intéresse dans les images, ce qu’il appelle le « potentiel » de certaines images.

« Meriol Lehman, c’est quelqu’un dont je regarde le travail assez régulièrement et en cogitant un peu dessus, je dirais en tâche de fond, pendant que je fais d’autres choses, depuis une bonne année, et je pense que dans peu de temps, je vais finir par me mettre à écrire vraiment. Je n’ai pas encore trouvé le bon angle d’approche » 

« Dans les photos de Meriol Lehman, mais c’est pas le seul, un truc qui me questionne en ce moment, c’est comment dans les gens qui font cette photo documentaire qui se veut assez neutre, comment on ne peut s’empêcher d’avoir un placage fictionnel »

« Je sens quelque chose, je n’en fais pas un truc mystique, mais je sens un potentiel ».

« En ce moment, je travaille pour La Marelle sur Vampirisation, des textes écrits à partir des films de Feuillade, les Vampires. Ce qui m’a intéressé, c’est le côté proto-blockbuster, des choses très grand public, et en même temps des personnages qui se retournent et s’adressent aux spectateurs, le 4e mur tombe, des choses à la Fernand Léger, qui appartiennent davantage à l’avant-garde. C’est ce quelque chose, une zone de friction entre cinéma populaire et cinéma d’avant-garde qui m’a intéressé » (Voir extrait vidéo: Autour des photos de Meriol Lehman et du « potentiel » de certaines images)

« Concrètement, pour Les Vampires, j’ai d’abord tout regardé (les 7h30), comme spectateur, puis j’ai repris tous les films en coupant pour prendre des notes : je décrivais tout, ce qui se passe, mais aussi les changements de couleur, par exemple. Je renotais les écrans de texte, aussi. C’était pharaonique… Dans un deuxième temps, j’ai écrit des poèmes en vers comptés et rimés, ce que je n’avais jamais fait. Parfois j’allais revoir un petit bout du film, mais j’ai utilisé surtout mes notes. M’intéressait beaucoup le rapport au temps : le fait que 15 min de film soient compressées en 2 vers, par exemple ».

« En fait, ton procédé, c’est de partir de petites notes que tu as prises sur l’image et que tu réagences sur un principe de collage ? »

« Oui, je suis vraiment sur de l’écriture de collage/montage. Mais je ne pense pas avoir jamais écrit directement à partir d’une image, je recompose du texte portant sur des ensembles d’images »

« Par exemple, pour Des corps, un livre d’artiste avec Claude Horstmann, je suis parti d’images mentales qui venaient de films. J’ai essayé de me souvenir des films que j’ai vus, d’une image par film, en une phrase. Par exemple, la première phrase c’est « l’avant cérémonie est une course pour l’habillement » où je pensais à 4 mariages 1 enterrement. J’ai accumulé plein de phrases, que j’ai assemblées ensuite, comme un récit un peu étrange. Aujourd’hui, il y a des phrases que je n’arrive plus à rattacher à un film. »

« Dans S.F. comme Syndrome fusionnel, j’ai travaillé sur la science fiction : j’ai listé toutes les choses qu’on trouve dans la science-fiction, la téléportation, l’ordinateur qui prend le contrôle, alors il naît de cela une certaine narrativité, mais elle ne mène à rien, cela donne un univers un peu post-apocalyptique. »

Illustration

« Les livres d’artistes comportent des images, bien sûr, mais pour Monde de seconde main, par exemple écrit à partir des collages de David Hamilton et de Lee Friedlander, l’illustration était d’emblée exclue. »

Est-ce que parfois tu écris sans image, sans film, sans support ?

« Oui, cela m’arrive. L’image a pris le devant depuis quelques années. Je suis arrivé à l’écriture par le collage quand j’étais étudiant. Je m’intéressais à Fluxus, à l’art conceptuel, au collage. Avec le temps, plus mon travail s’est éloigné des arts plastiques dans sa forme, plus les œuvres visuelles arrivaient dans mes œuvres, suite à la fréquentation des musées, notamment. »

« Un des déclencheurs, ça a été le livre sur la science fiction. En cherchant des clichés, je suis passé par les images, nécessairement. Puis ma pratique de l’ekphrasis, la description d’image, et la novellisation, qui sont un peu imbriquées, c’est venu avec Un homme tout juste vivant, où j’ai écrit sur L’homme qui valait 3 milliards. » 

Faire écrire à partir d’images

« J’apporte parfois des cartes postales en atelier, cela fait se rapprocher des tableaux, des œuvres différentes »

« J’ai fait des expériences en collège avec la photo : chaque serveur recevait des photos différentes, par exemple Martin Parr et je demandais : « Imaginez que vous envoyez la carte postale » et cette image, c’est l’image de la carte postale ». Dans ca cas, ça allait vers la narration. Avec des photos de Jeff Wall, aussi, la consigne était : « regardez l’image et imaginez ce qui se passe 30 secondes après ». »

Ce qu’apporte l’image dans l’atelier d’écriture :

« L’image permet d’aller plus vite dans l’écriture, sans le temps de lecture de textes qui est un peu lourd pour certains. On démarre plus vite. Je me suis rendu compte que les images permettaient de regarder, d’avoir des idées, de déclencher les choses, de détendre aussi par rapport à l’image qu’ils avaient d’un atelier d’écriture ». « Donc, avec l’image, on va plus vite dans l’écriture et on introduit la question de la description et de l’observation. C’est pour cela qu’à chaque fois en école d’art, je fais une séance d’atelier d’écriture au musée, cela donne des bons réflexes d’observation ».

Quelles images sont utilisées ?

Des photographies, des images trouvées en ligne. Il y a des images qui ne marchent pas, par exemple les paysages des tableaux impressionnistes, là, ça ne décolle pas vraiment.

C’est quoi une image qui fait un bon point de départ, selon toi ?

« Peut-être une image qui a une possibilité de narration même si elle est pas immédiate. Peut-être que quand c’est des choses de l’ordre du décor, quand il n’y a pas de personne, ça permet aussi à celui qui écrit de se projeter. Les photos de Lewis Baltz, des photos de lieux abandonnés en cours de construction, ou celles de Lynne Cohen. Ca permet plus de choses, ça permet aussi aux gens de parler d’eux d’une manière indirecte. Quand c’est les impressionnistes, par exemple, les gens sont bloqués sur « c’est beau, c’est la couleur, etc. »

Bloqués sur quelque chose qui serait attendu dans le commentaire critique ?

« Oui, voilà, peut-être qu’ils n’arrivent à transposer « je suis dans le champ de coquelicots » »

Voir extrait video:  Ateliers d’écriture à partir d’images et  Atelier d’écriture à partir d’images – suite

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