Rapport du Cem - Avant-propos
C'est un fait qui ne doit pas être démontré aujourd'hui : les médias, quels qu'ils soient, radio, cinéma, bandes dessinées et surtout télévision, alimentent la culture des jeunes. En Europe occidentale, les trois quarts des jeunes de 6 à 18 ans regardent quotidiennement la télévision de deux à trois heures par jour; on a estimé parfois que, pendant l'essentiel de leur scolarité, ils passent plus de temps devant le petit écran que sur les bancs de l'école. Ils sont particulièrement intéressés par la fiction - les films, les feuilletons - par le divertissement, la musique et le sport. C'est d'abord par la télévision qu'ils découvrent le monde. Ils sont aussi des auditeurs des chaînes de radio qui leur sont spécialement destinées. Ils représentent la part la plus fidèle des spectateurs de cinéma en salle.
Cependant, la télévision en particulier suscite certaines inquiétudes auprès de beaucoup de parents et d'enseignants, car elle est perçue comme une contre-école. Ils estiment qu'elle déverse un flux d'images et d'informations qui mêlent dangereusement le vrai et le faux, la réalité et la fiction; on lui reproche aussi de montrer trop de violence gratuite et de proposer parfois des modèles de comportement déviants; en raison de la place qu'elle accorde à la publicité, elle apparaît comme un symbole de la société de consommation, de ses facilités et de ses complaisances, en opposition aux vertus d'effort et de travail que représente l'école. L'introduction de l'audiovisuel dans le systè me éducatif se heurte, en effet, à de grandes résistances. La formation scolai re est traditionnellement fondée sur une culture de l'écrit et du verbal. L'image n'y joue encore qu'un rôle accessoire. Comme l'image appelle l'imaginaire, elle paraît, dans un premier temps, en contradiction avec la mission essentielle de l'école qui est de structurer les connaissances.
Cependant, sur base de nombreux travaux sur l'usage de la télévision, et à l'expérience, l'idée s'est imposée progressivement qu'il est important de ne pas considérer la télévision et les médias comme faisant partie d'une «sous-culture». Ils sont, eux aussi, une source d'enrichissement, de connaissances, d'ouverture sur les autres et sur le monde et font partie intégrante de la vie des jeunes. Il convient donc d'en tirer parti et d'en faire un facteur positif de l'éducation. L'audiovisuel doit donner l'occasion aux enseignants de développer un certain nombre de démarches essentielles grâce auxquelles les élèves pourront appréhender l'information. En effet, au prix d'une formation critique, l'image, tout comme la parole ou l'écrit, permet de développer des compétences spécifiques, et exige de mettre en oeuvre des démarches d'apprentissa ge qui lui sont propres.
Par ailleurs, l'accès aux médias, puisqu'il est le plus souvent payant, se distribue inégalement dans notre société. De plus, le bagage culturel familial se trouve, lui aussi, inégalement réparti. Les jeunes ne sont donc pas égaux devant les médias; il appartient donc aussi à l'école de leur donner des chances pour les utiliser.
En réalité, l'éducation aux médias et à l'audiovisuel n'est pas un terrain vierge en Europe et en Communauté française.
En Europe, depuis 1973, diverses réunions d'experts ont été organisées sur ce thème, à l'initiative de l'Unesco, du Conseil de l'Europe et plus récemment du Parlement européen.
Ces rencontres ont contribué à sensibiliser les responsables sur la nécessi té d'une éducation généralisée aux médias; elles ont permis d'établir un consensus sur des objectifs généraux, de formuler des recommandations sur les modalités de cette formation.
En Communauté française de Belgique, certaines structures étaient déjà en place :
Le Ministère de la Communauté française offrait divers services :
la Cinémathèque de la Communauté (1944)
le Service de l'Inspection des moyens audiovisuels (1970)
le Service des Auxiliaires de l'Enseignement (1972)
le Centre de formation continuée de La Neuville Tihange (CAF) qui regroupe un service d'animateurs proposés par l'inspection (1989)
En ce qui concerne l'enseignement officiel subventionné (UVCB et CPEONS), le Centre Audiovisuel de la Ville de Liège , créé en 1975, est aussi ouvert aux autres réseaux et au public socioculturel.
En ce qui concerne l'enseignement libre, une ASBL, Média Animation, constitue, depuis 1962, le service audiovisuel de l'Enseignement catholique.
La Médiathèque est un réseau de diffusion, par le prêt, de médias sonores, visuels et audiovisuels présents dans quelque 120 villes et communes, en Wallonie et à Bruxelles. Elle détient de larges collections de vidéos, diapositives et disques compacts qui peuvent servir à l'enseignement, à l'éducation et à la culture générale. Ses services de prêt sont ouverts à tous les publics, aux écoles, aux particuliers et au secteur socioculturel. Elle expérimente activement le prêt multimédia. Certains services de prêt possèdent déjà une collection de CD Rom.
Les émissions de radio-télévision scolaire assurées par la RTBF, en collaboration avec l'Organisation des Etudes du Ministère de l'Education, ont joué longtemps un rôle important. Dans les dernières années, la RTBF a réduit ses interventions dans le secteur scolaire, mais elle a conclu une convention avec la Médiathèque de la Communau té française qui permet à cel le-ci de prêter à divers utilisateurs, et notamment aux écoles, des enregistrements de certains programmes généraux, qui acquièrent un intérêt didactique par l'usage qui en est fait.
Depuis des années, diverses associations relevant du secteur socioculturel développent des activités diverses en relation avec l'audiovisuel. Certaines s'adressent aux adultes et aux enseignants, d'autres sont particulièrement orientées vers les jeunes, en milieu scolaire ou non. Certaines produisent des vidéogrammes relatifs à la formation audiovisuelle et assurent la diffusion de vidéogrammes et de dossiers pédagogiques, d'autres pratiquent l'animation.
Des enseignants se sont efforcés, depuis de longues années, d'intégrer les médias comme objet et comme moyen d'enseignement. Faute de reconnaissan ce officielle, il ne s'agissait toutefois que d'initiatives de personnes ou de groupes qui ne s'inséraient pas dans une véritable politique d'éducation aux médias. Il convient de généraliser ces initiatives.
Dès 1986, des initiatives de coordination des diverses réalisations ont été prises par la Médiathèque de la Communauté française. Elle a mené des enquêtes sur l'usage pédagogique des vidéocassettes dans le cadre scolaire, ainsi que sur les besoins et demandes de formation des enseignants dans ce domaine; après avoir constaté que les enseignants ne pratiquaient pas ou peu l'éducation aux médias, elle a organisé à Bruxelles et dans diverses villes de Wallonie des expériences de formation à l'utilisation pédagogique de moyens audiovisuels. Elle a conçu et publié des guides pour l'éducation aux médias audiovisuels, en octobre 1992; elle a réuni un Groupe de travail et a publié ses conclusions dans un Livre blanc, Pour une éducation aux médias généralisée en Communauté française de Belgique.
Au cours des dernières années, la Fondation Roi Baudouinssance empathique des éléments et des situations, ma a joué un rôle déterminant dans la sensibilisation à l'éducation aux médias dans notre Communauté. En 1990, elle a réuni un Groupe de travail sur le thème des jeunes et des médias en Belgique francophone et a publié le résultat de ses constats et de ses réflexions sous le titre «Pour une éducation des jeunes à l'audiovisuel». Cette étude se termine par diverses «Propositions concrètes». Durant l'année scolaire 1992-1993, la Fondation, guidée par un comité d'accompagnement, a mené une opération expérimentale d'éducation aux médias, l'opération Télécole, dans vingt et une classes, de la maternel le au secondaire, des trois réseaux d'enseignement. Cette opération a été accompagnée par une évaluation réalisée par le Département de communication de l'Université catholique de Louvain et a donné lieu à la publication de constatations et de réflexions synthétiques.
Les travaux de la Fondation Roi Baudouin ont mis en évidence que ce qui a été réalisé déjà en Communauté française en matière d'éducation aux médias est dû surtout à l'enthousiasme d'un certain nombre d'enseignants. Ils font constater que l'école, dans son ensemble, «ne s'est guère préoccupée de l'environnement médiatique de l'enfant et qu'elle tient pour négligeable le rôle pédagogique que la télévision peut jouer»; «trop souvent - y lit-on - l'école considère qu'il s'agit là d'une sous-culture qu'elle se plaît à opposer au savoir noble qu'elle-même dispense». La constatation finale était que, même si l'école commence à prendre en compte les mutations psychologiques et l'évolution des capacités d'apprentissage des «enfants de la télévision», on en est resté chez nous au stade des expériences limitées.
Au terme de ses travaux sur ce thème, la Fondation Roi Baudouin a énon cé les objectifs et les exigences d'»une politique d'éducation aux médias».
Soucieux de généraliser l'éducation aux médias auprès des jeunes, le Ministre de l'Education et de l'Audiovisuel a chargé un Groupe de Réflexion d'élaborer un rapport sur «L'Education à l'Audiovisuel et aux Médias», qui lui a été remis en mai 1994.
Ce rapport a été élaboré avec des représentants des autorités des trois réseaux, des inspecteurs et directeurs d'écoles, des représentants des universités, des représentants des médias audiovisuels, des écoles d'art du spectacle, d'associations socio-culturelles concernées par la formation, avec des experts juridiques, des représentants du Conseil de l'Education et de la Formation, ainsi que de l'Administration de l'Audiovisuel de la Communauté.
Il tire aussi parti des expériences européennes et s'inspire, en particulier, de l'organisation du programme scolaire en Angleterre et au Pays de Galles, où, depuis 1988, l'éducation aux médias figure avec des objectifs clairement définis et selon une progression en niveaux. Il s'inspire aussi des réalisations du CLEMI, en France, comme lieu de rassemblement et de diffusion de l'information sur l'éducation aux médias, comme lieu de formation pour les futurs formateurs, comme lieu de confrontation entre enseignants et représentants des médias.
Il a rencontré largement l'approbation des responsables des réseaux, des praticiens de l'enseignement, d'universitaires spécialisés en pédagogie, en psychologie et en communication, des représentants des médias audiovisuels et du secteur associatif concerné.
Sur base de ce rapport, le Ministre de l'Education et de l'Audiovisuel, a pris un arrêté le 19 mai 1995, installant le Conseil de l'Education aux Médias et officialisant les trois Centres de ressource en éducation aux médias 3 dont se sont dotés les réseaux d'enseignement en Communauté française. Il s'agit:
pour le réseau de la Communauté française, du Centre de formation continuée de La Neuville - Tihange (CAF)
pour le réseau officiel subventionné, du Centre Audiovisuel de la Ville de Liège,
pour le réseau libre, de l'ASBL Média Animation.
Le Conseil de l'Education aux Médias s'est vu assigner les missions suivantes :
- donner, à la demande du Gouvernement ou d'initiative, des avis sur toute question relative à l'éducation aux médias, et en particulier, sur les questions suivantes: les priorités en matière d'éducation aux médias, l'intégration de l'éducation aux médias dans les programmes de formation initiale et dans les programmes de formation continuée à destination des enseignants, l'introduction de l'Education aux Médias dans les matières obligatoires et les programmes d'enseignement, en concertation avec les différents réseaux;
- stimuler, notamment par le biais des Centres de ressources, des actions, des recherches, des expériences pédagogiques, susceptibles de promouvoir et d'évaluer l'éducation aux médias;
- évaluer la mise en oeuvre des actions des Centres de ressources en fonction des moyens qui leur sont alloués;
- favoriser la coopération entre les Centres de ressources, les Centres de distribution, les Médias et les associations concernées par l'éducation aux médias.
Quant aux fonctions des Centres de Ressources en éducation aux médias, elles sont les suivantes: formation, animation, sensibilisation et information, prêt et production de documents, prêt de matériel, recherche.
Le présent dossier de synthèse a pour objectif de sensibiliser le monde de l'enseignement à tout ce qui peut être réalisé et il s'efforce de répondre à ses interrogations. Il tient compte des expériences menées dans les trois réseaux, des réflexions des groupes de travail réunis à l'initiative de la Médiathèque et de la Fondation Roi Baudouin, et des études internationales. Il s'efforce de les approfondir, de les systématiser et d'en tirer des propositions concrètes en vue de permettre une reconnaissan ce formelle de l'éducation aux médias et à l'audiovisuel dans les normes pédagogiques. Il intègre aussi l'éducation aux médias dans les conclusions des travaux du Conseil de l'Education et de la Formation.
Dans une première partie, le dossier de synthèse rappelle les objectifs généraux et les finalités d'une éducation à l'audiovisuel et aux médias. Il montre la place de l'éducation aux médias dans le développement de l'enfant, et il propose les modalités d'une intégration de cette éducation dans les compétences transversales.
Dans une deuxième partie, il énonce des suggestions d'activités concrètes au service des compétences transversales et à travers les matières enseignées.
Dans une troisième partie enfin, il aborde les moyens à mettre en oeuvre. Il parle des écoles, des centres de ressources, des centres de distribution, et des médias d'école. Il rappelle les partenaires extérieurs, susceptibles de favoriser l'éducation aux médias. Et enfin, il énonce un certain nombre de suggestions quant à la formation initiale et continuée des enseignants.
En annexe, on trouvera des renseignements pratiques.
Les exigences et les besoins d'une éducation aux médias, indispensable dans la société actuelle, ne pourront sans doute être complètement rencontrés que dans un cadre global de revalorisation des moyens de fonctionnement et d'équipement de l'école. Mais dans un premier temps, ce qu'il impor te de faire, c'est de préserver et de développer ce qui existe, d'énoncer une politique globale et d'amorcer sa réalisation par la création progressive d'initiatives nouvelles.
Le Conseil s'efforcera de remplir les missions qui lui sont assignées en vue d'une mise en oeuvre progressive de l'éducation aux médias, conformément à une stratégie d'ensemble, dont les modalités seront soumises à l'approbation des Ministres et des différents réseaux, pour ce qui les concerne.