L’évaluation dans les réformes des universités
Zarka, Y.-Ch., Professeur à la Sorbonne, Université Paris Descartes
L’évaluation joue un rôle considérable dans les universités aujourd’hui. En France par exemple, la loi LRU en a généralisé le système. Or cette évaluation produit exactement l’inverse de ce qui est attendu, c’est-à-dire la paralysie, le gaspillage, l’inadaptation et l’arbitraire
Cependant, il faut éviter d’emblée un contresens : je n’entends pas critiquer la notion d’évaluation en elle-même, c’est-à-dire le jugement sur la valeur. La philosophie de Nietzsche qui a eu une force subversive extraordinaire est entièrement une philosophie de l’évaluation (renversement de toutes les valeurs). Ce que j’entends analyser et soumettre à une critique radicale, c’est ce que j’appelle le régime d’évaluation qui est instauré dans les universités partout dans le monde et en France en particulier. Or ce régime d’évaluation est composé de deux dimension : une idéologie et un système de pouvoir.
L’idéologie est l’appareil de justification du système. Elle vise à instaurer un ensemble de valeur comme critères de l’évaluation : ces valeurs sont la productivité, la performance, l’efficacité. Elles sont en outre considérées comme quantifiable : la quantification qui est chargée de donner l’illusion de la scientificité. Or, ces (pseudo-)valeurs instrumentales transformée en valeur en soi, n’ont rien à voir avec la raison d’être des universités, leurs missions et leurs fonctions dans la société. En revanche elles ont tout à voir avec l’instauration d’un modèle managérial au sein des universités, mais aussi des hôpitaux, dans le fonctionnement de la justice, et de l’Etat lui-même.
Le système de pouvoir au sein de l’université et hors d’elles, dans les institution d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (comme l’AERES en France), consiste en la constitution d’un pouvoir sur le savoir, mieux d’un pouvoir supposé savoir. Un pouvoir qui se donne lui-même, sans le dire bien sûr, non pas simplement comme énonciateur de vérité, mais plus que cela, comme instaurateur de valeur, comme norme de la vérité. Un pouvoir qui utilise des savoirs ou des discours à prétention scientifique, par instrumentalisation de certains acteurs de ces savoirs ou de ces discours, pour assurer son hégémonie et couvrir ses choix simplement arbitraires. C’est précisément ce point qui m’intéressera particulièrement : le rapport du pouvoir au savoir par la mise en place d’un système unifié de l’évaluation des savoirs dans leur production et leur transmission.
On tâchera pour ne pas en rester sur une analyse entièrement négative d’énoncer la manière dont on peut sortir du régime d’évaluation.