Thalassémies

Les thalassémies sont un groupe d'anémies hémolytiques microcytaires chroniques transmises sur le mode autosomique récessif et liées à un défaut de synthèse quantitatif (et non qualitatif) de l'une des chaînes, α ou β, de l'hémoglobine. Le fait d’être porteur hétérozygote de l’une de ces maladies semble protéger de la malaria à Plasmodium falciparum, ce qui explique leur distribution géographique.


1) β-Thalassémies [MIM 613 985]

Elles résultent de mutations sur le chromosome 11, dont plus de 100 types ont été identifiés. Elles se rencontrent principalement dans les populations d'origine méditerranéenne ("thalassa" signifiant "la mer" en grec) : Grèce, Turquie, Afrique du Nord, Moyen-Orient, Sud de l’Italie :

les hémoglobines Cagliari et Knossos font partie des β-thalassémies. On distingue les β-thalassémies β°, où il n’y a aucune synthèse des chaînes β,  et β+, où la synthèse en est diminuée.

Le manque de chaînes β entraîne un surplus de chaînes α qui précipitent (anémie et hémolyse) et dont une partie peut se lier à des chaînes δ pour former de l’HbF (taux normal < 1% à 12 mois).


1. Forme homozygote : maladie de Cooley

Forme homozygote, et la plus grave, de β-thalassémie. Le diagnostic est habituellement porté avant l'âge de 1 an, devant la persistance de l'anémie du nourrisson et d’un taux d’hémoglobine F élevé. 

Outre la pâleur avec subictère conjonctival, on trouve :

La radiographie du crâne retrouve souvent des striations en poil de brosse et une ostéoporose. 

Diagnostic : anémie hypochrome microcytaire importante, réticulocytose modérée, hyperbilirubinémie, augmentation du fer sérique et de la ferritine. Le diagnostic est confirmé par l'électrophorèse de l’hémoglobine qui montre un taux important d'Hb fœtale (Hb F) pouvant atteindre 100%. 

Evolution : les complications sont liées à l'hypoxie chronique et à la surcharge en fer, et sont donc évitables par un traitement de l’anémie et l’administration d’agents chélateurs du fer:

-        insuffisance hépatique : cirrhose sur hémochromatose ou suite à une infection post-transfusionnelle

-           atteintes endocriniennes : la surcharge enfer induit une dysfonction hypophysaire : retard de croissance, hypogonadisme, hypothyroïdie (entre 10 et 20 ans) ; diabète sucré en fin d’adolescence

-          hémochromatose suite aux transfusions chroniques mais aussi à une résorption intestinale accrue du fer 

-         insuffisance cardiaque secondaire à une cardiomyopathie dilatée hypokinétique suite à la surcharge myocardique en fer (transfusions) ; parfois myocardite aiguë ; QT long avec risque de mort subite ; 

-          HTAP (50-75 % des cas) car l’arginase et l’hémoglobine libre produites par l’hémolyse éliminent le NO endogène et lhypoxémie chronique augmente les résistances pulmonaires ; de plus, les transfusions répétées et la surcharge en fer entraînent une dysfonction endothéliale ; après une splénectomie, les débris érythrocytaires ne sont plus éliminés dans la rate et peuvent obstruer les capillaires pulmonaires

-           syndrome pulmonaire restrictif secondaire à la surcharge en fer (fibrose et œdème interstitiel)

-           hypercoagulabilité sanguine et risque thromboembolique artériel ou veineux (surtout après splénectomie)

-          anomalies de la fonction tubulaire rénale suite à l’anémie, la surcharge en fer et au traitement chélateur : clairance de créatinine augmentée, élimination urinaire importante de Ca, PO4 ; Mg ; protéinurie

-          ostéopénie et ostéomalacie avec risque important de fractures (+ douleurs sur microfractures)

-          l’érythropoïèse extramédullaire  compensatoire entraîne une croissance excessive des os qui peut compromettre la vision (compression nerfs optiques) et l’audition ; des cas de canal vertébral étroit avec signes de souffrance médullaire ont été décrits


L'espérance de vie est fortement diminuée : décès en moyenne 5 ans après l’apparition des symptômes d’insuffisance cardiaque à condition d’un traitement médical bien suivi. Dans les pays développés, l’apparition de symptômes cardiaques est devenue exceptionnelle avant l’âge adulte.

Traitement : transfusions sanguines régulières pour maintenir le taux d'Hb au-dessus de 100 g/L 

associées à une chélation du fer par l'administration de desferrioxamine (IV ou sous-cutanée) associée à de la vitamine C (ou de défériprone ou deferasirox p os). 

Une splénectomie est indiquée devant l'apparition de signes d'hypersplénisme. La greffe de moelle allogénique (chez l'enfant de moins de 7 ans) est le seul traitement curatif efficace.


2. Forme hétérozygote de β-thalassémie : trait thalassémique

Peu symptomatique : pâleur et fatigue, rate palpable. Il existe une polyglobulie microcytaire hypochrome. La sidérémie est normale et il existe souvent une anisocytose avec des cellules en cible sur le frottis sanguin. Le diagnostic est porté par l'électrophorèse de l'Hb qui montre une augmentation de l'Hb A2 (normale < 3,5%).


2) Thalassémies intermédiaires ou mineures

Les thalassémies intermédiaires ou mineures concernent un groupe hétérogène de patients, sur le plan génétique comme sur le plan clinique et dont la symptomatologie est intermédiaire entre le trait thalassémique et la maladie de Cooley. L'association α-β thalassémie atténue la gravité de chacune des formes séparément. Le traitement est, lui aussi intermédiaire, guidé par le taux d'hémoglobine.


3) α-Thalassémies [MIM 604 131]

Les α-thalassémies sont le plus souvent liées à une délétion, plus rarement à une mutation, au niveau du chromosome 16p13.3pter. Elles affectent principalement les populations noires et asiatiques (Sud-Est Asiatique). Il s'agit de l'une des maladies les plus répandues dans l'espèce humaine. La production de la chaîne α de l'Hb est contrôlée par  4 gènes (HBA1 et HBA2) et l'on distingue autant de formes d'α-thalassémies:


nom

n de gènes actifs

génotypes possibles

population

normal

4

α α/α α


α thalassémie type 2

 ou silencieuse

3

αnd α/α α

α/α α


très répandue en Asie ; 

20-40% population noire

α thalassémie type 1 

ou

mineure

2

α -/- α

         αnd α/- α

αnd α/α αnd

2-4% population noire

αthalassémie

2

α α/- -

Asie

hémoglobinose H

1

            - α/- -

αnd α/- -

Asie du Sud-Est, Chine

hémoglobinose Bart

0

            - -/- -

Asie


La gravité du tableau clinique dépend du nombre de gènes défectifs, allant de formes pratiquement inapparentes (1 seul gène défectif) à l'hydrops fetalis (4 gènes défectifs). 

L’hémoglobinose Bart , donne un hydrops fetalis (anasarque fœto-placentaire avec décès in utero ou néonatal) et un tableau de prééclampsie ou d’éclampsie chez la mère. 

On retrouve 10 à 40% d’Hb Bart dans le sang du nouveau-né atteint de thalassémie α (5-10% en cas de forme mineure). Les chaînes β produites en excès par rapport aux chaînes α peuvent précipiter dans les érythrocytes sous forme de corps de Heinz.

La forme à 3 gènes défectifs réalise l'hémoglobinose H. L’hémoglobine H est instable et présente une affinité accrue pour l’O2 : il y a donc une hypoxie tissulaire chronique dont l’importance varie selon le type de mutation.

Selon le gène α résiduel, on observe  une anémie modérée avec splénomégalie (forme- α/- -) ou, en cas de forme αnd α/- -  de type Constant Spring :

Comme pour les β-thalassémies, le traitement est symptomatique, consistant à pratiquer des transfusions sanguines régulières.

 

4) Formes particulières d’α-thalassémie

Deux syndromes associent une α-thalassémie peu symptomatique et une forme de retard mental liée à l’X

5) δβ –Thalassémies

Atteinte des chaînes β et  δ de la globine suite à, la délétion plus ou moins étendue des deux gènes.

Tableau clinique :


Implications anesthésiques:

Les thalassémies mineures ont relativement peu d'implications anesthésiques spécifiques : vérifier le taux d’hémoglobine et de plaquettes (hypersplénisme). 


Les formes sévères (maladie de Cooley) :

L’hémoglobinose H est réputée sensible aux oxydants (hémolyse) et à l’hypothermie (précipitation) mais des patients adultes ont bénéficié d’une CEC sous hypothermie sans problème.


Références


Mise-à-jour  novembre 2019