QT long congénital
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Groupe de « canalopathies » impliquant certains canaux ioniques du myocarde.
Dans les pays développés, la prévalence de syndromes de QT long d’origine génétique est estimée à 1/1100 à 1/3300. Dans environ 30% des cas des porteurs d’un syndrome de QT long congénital, le QT est normal à l’ECG et le diagnostic est méconnu jusqu’à un événement comme une perte de connaissance, un épisode convulsif ou la mort subite. Chez l'enfant, un QT long congénital peut se manifester par une bradycardie sinusale, un bloc AV (en général 2/1) ou des épisodes de tachycardie ventriculaire et de torsades de pointes.
L'intervalle QT de l’ECG est la distance qui sépare le début de l’onde Q de la fin de l’onde T ; il est mieux visible et mesuré en D2 ou en V5. Il faut effectuer la mesure au cours d’une période de stabilité du rythme cardiaque et la réaliser sur 5 à 6 battements successifs sur un enregistrement à 50 mm/sec. Outre la fréquence cardiaque et le tonus neurovégétatif, l’âge, le sexe et les troubles électrolytiques modifient QT. On corrige le QT pour la fréquence cardiaque (QTc) en utilisant la formule de Bazett :
QTc = QTmes / √RR en sec.
Un QTc > 440 ms est considéré comme prolongé mais n’implique pas nécessairement le diagnostic de syndrome de QT long. Les critères varient cependant en fonction de l’âge et du sexe:
> 450 ms chez l’enfant prépubère,
> 460 msec chez les hommes
> 470 msec chez les femmes.
L’allongement du QT est le témoin d’une anomalie sévère de la repolarisation ventriculaire qui expose le patient à des troubles du rythme ventriculaire graves comme la torsade de pointes ou la fibrillation ventriculaire.
Une autre façon d’évaluer le risque de troubles du rythme ventriculaire est la mesure de la dispersion transmurale de la repolarisation (Tp-e) qui se mesure sur une dérivation précordiale de l’ECG : c’est la distance entre le pic de l’onde T et sa fin. La valeur normale chez l’adulte serait de 40 à 50 msec avec un maximum de 65 msec. Le potentiel arythmogénique de certains médicaments est évalué en mesurant l’allongement du QT après leur administration à des volontaires sains ou sur des modèles animaux de LQTS : en réalité, c’est la prolongation de la dispersion transmurale de la repolarisation qui est le véritable facteur de risque d’arythmie en cas de QT long congénital. En cas de syndrome de QT long congénital, il faut absolument éviter l’administration de médicaments qui prolongent l'intervalle QT : une liste mise à jour régulièrement est disponible sur le site www.qtdrugs.org et www.crediblemeds.org
Le syndrome est cliniquement et génétiquement hétérogène : 12 gènes sont impliqués et plus de 500 mutations ont été décrites. Les gènes modifiés codent pour des sous-unités de canaux potassiques ou sodiques. Les enfants souffrant d’un QT long congénital ont souvent un rythme cardiaque plus lent que la normale pour leur âge.
Le syndrome de QT long congénital n’est symptomatique que chez 60% des patients : il se manifeste par une syncope, des convulsions ou un arrêt cardiaque déclenchés par une émotion (au réveil: LQT3, à la suite d’une stimulation auditive: LQT2), un stress ou une activité physique importante (baignade, sport: LQT1) ou une anesthésie ! Le syndrome de QT long congénital est la cause d’environ 19% des cas de mort subite de l’enfant de 1 à 13 ans et de 30% des cas de 14 à 21 ans. Il est vraisemblable qu’une partie des morts subites du nourrisson est due à un QT long méconnu.
La forme sans surdité et à transmission dominante (syndrome de Romano-Ward) représente plus de 90% des cas. La forme récessive avec surdité (syndrome de Jervell-Lange-Nielsen) représente moins de 5% des cas de QT long et son incidence est de 0,3% dans la population de sourds.
Une forme plus rare, le syndrome d’Andersen (LQT7), comprend un phénotype cardiaque et musculaire : il associe un QT long et des signes cliniques de paralysie périodique à une micrognathie et une clinodactylie.
Une autre forme, le syndrome de Timothy (LQT8), associant un QT long à une syndactylie, une malformation cardiaque et un comportement de type autistique est dû à une mutation sur le bras court du chromosome 12 qui entraîne un dysfonctionnement du canal calcique CAC-NA1C.
Les principales caractéristiques de ces syndromes sont résumées dans le tableau 1:
Nom du syndrome |
Gène |
Canal ionique |
Clinique |
Âge de début |
Onde T en D2 |
Traitement spécifique |
Romano-Ward LQT1 (42%) |
KCNQ1 en 11p15.5 |
Sous-unité α IKs phase 3 |
symptômes à l’effort, stress, natation |
< 10 ans |
large base |
β-bloquants |
Romano-Ward LQT2 (45%) |
KCNH2 en 7q35-36 |
Sous-unité α IKr phase 3 |
symptômes au stress auditif ! |
12 ans |
Faible amplitude, double bosse |
Spironolactone β-bloquants |
Romano-Ward LQT3 (5%) |
SCN5A en 3p21-24 |
Sous-unité α INa phase 0, cœur |
Syncope, arythmie lors de bradycardie, décès au repos ou sommeil |
? |
Onde T tardive et haute |
β-bloquants moins efficaces mexilétine,? ablation ganglion stellaire gauche, défibrillateur implanté (proche du syndrome de Brugada) |
Romano-Ward LQT4 |
ANK2 en 4q25-27 |
perte de fonction |
symptômes à l’effort, stress |
? |
sinusoïdale |
β-bloquants |
Romano-Ward LQT5 (3%) |
KCNE1 en 21q22 |
sous-unité β IKs |
symptômes à l’effort, stress |
? |
? |
β-bloquants |
Romano-Ward LQT6 (2%) |
KCNE2 en 21q22.1-22.2 |
sous-unité β Ikr qui devient voltage indépendant |
symptômes à l’effort, stress, syndactylie |
Nouveau-né |
QTc> 600ms |
Mort subite précoce β-bloquants |
Jervell-Lange-Nielsen JLN1 |
KCNQ1 en 11p15.5 |
sous-unité α IKr phase 3 |
symptômes à l’effort, stress |
Surdité |
large base |
β-bloquants, ablation ganglion stellaire gauche, défibrillateur implanté |
Jervell-Lange-Nielsen JLN2 |
KCNE1 en 21q22 |
sous-unité β IKs |
symptômes à l’effort, stress |
Surdité |
? |
β-bloquants, ablation ganglion stellaire gauche, défibrillateur implanté |
Andersen–Tawil LQT7 (<1%) |
KCNJ2 en 17q23 |
sous-unité α IK1 |
symptômes en cas d’hypoK |
? |
? |
Suppléments K |
Timothy LQT8 (<1%) |
CACNA1C en 12p |
sous-unité α ICa |
symptômes à l’effort, stress, syndactylie |
Nouveau-né |
Troubles du rythme, BAV |
β-bloquants peu efficaces, ablation ganglion stellaire gauche, défibrillateur implanté |
LQT9 (<1%) |
CAV3 en 3p |
adapteur INa |
au repos et pendant le sommeil |
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LQT10 (<0,1%) |
SCN4B en 11q |
sous-unité β4 INa |
symptômes à l’exercice |
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LQT11 (<0,1%) |
AKAP9 en 7q |
adapteur IKs |
symptômes à l’exercice |
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LQT12 (<0,1%) |
SNTA1 en 20q |
α1 syntrophine |
au repos |
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LQT13 |
KCNJ5 |
protéine du canal K4 |
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LQT14 |
CALM1 |
calmoduline 1 |
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LQT15 |
CALM2 |
calmoduline 2 |
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LQT16 |
CALM3 |
calmoduline 3 |
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LQT17 |
TRDN |
triadine cardiaque |
arrêt cardiaque en bas âge |
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Syndrome de QT long congénital : génotypes et phénotypes
Étiologies |
Médicaments :
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Troubles électrolytiques:
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Autres causes :
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Tableau : Causes acquises possibles d'allongement du segment QT
Traitement: Le traitement médical a pour but de prévenir les torsades de pointes et la mort subite : le risque de mortalité dans les formes symptomatiques non traitées est de 20% dans l’année qui suit le diagnostic.
Liste des médicaments et de leur effet sur l’espace QT: www.crediblemeds.org
Implications anesthésiques:
il faut absolument éviter l’administration de médicaments qui prolongent l'intervalle QT.
En cas d’asthme chez un enfant porteur d’un QT long, les avis du cardiologue et du pneumologue doivent être pris, surtout dans les formes LQT1 et 2 dont le traitement de base est l’administration de β-bloquants. En cas d’asthme modéré, essayer d’abord l’ipratropium ; y ajouter si nécessaire un antagoniste des leukotriènes (montelukast) ; en cas d’échec, ajouter avec prudence du salbutamol (éviter les aérosols), un corticoïde inhalé (augmente le risque de troubles du rythme). En cas de crise d’asthme, le sulfate de Mg est utile ; éviter la théophylline et le salbutamol IV.
Une salve de torsades de pointes se termine habituellement spontanément. Cependant, en cas salves répétées ou prolongées, qui sont hémodynamiquement mal tolérées et comportent un risque de fibrillation ventriculaire, il faut réaliser une cardioversion ou administrer du MgSO4 en IV (30 mg/kg en 2-3 minutes, à répéter après 15 min si l’accès de torsades de pointes persiste).
Le patient porteur d’un QT long congénital méconnu présente un risque élevé de troubles du rythme ventriculaire durant l’anesthésie et la chirurgie : il faut donc penser à cette pathologie en cas de troubles ventriculaires dont l’origine est inexplicable ou d’apparition d’une alternance électrique de l’onde T (modification de morphologie ou d’amplitude tous les 2 complexes) sur l’ECG. De même, le patient porteur d’un syndrome de QT long congénital connu et traité par β-bloquants n’est pas à l’abri de complications. Dans une série de 46 enfants souffrant d’un QT long congénital et sous β-bloquants qui ont subi 69 anesthésies, 3 cas de troubles du rythme ont été observés en phase de réveil peu après l’administration de néostigmine, d’atropine et d’ondansétron : bien qu’il soit difficile de faire la part de l’augmentation du tonus sympathique qui accompagne le réveil et de l’administration concomitante de ces médicaments, il est prudent de l’éviter. Le sugammadex a été utilisé sans problème.
Les grands principes de la prise en charge de ces patients sont d’éviter les facteurs qui peuvent prolonger le QT et augmenter l’activité sympathique (tableau). Les meilleures dérivations ECG pour surveiller l’intervalle QT durant l’anesthésie sont D2 ou V3.
Une étude rétrospective a montré qu’une anesthésie bien conduite (voir tableau ci-dessous) chez un patient dont le QT long est connu et qui est sous traitement β-bloquant ne comporte pas de risque majeur de torsade de pointes. Cependant, le risque existe en cas de chirurgie directement liée au syndrome (pose de pacemaker ou de défibrillateur interne) surtout chez le nourrisson qui répond mal au traitement médical.
Essayer de connaître le sous-type exact dont souffre le patient et ainsi que les circonstances à risque de provoquer des troubles du rythme ventriculaire: avis du cardiologue |
Poursuite du traitement β-bloquant ou antiarythmique habituel : avis du cardiologue |
Prémédication anxiolytique |
Monitorage non-invasif avant l’induction; éviter le bruit |
Défibrillateur en salle d’opération: en cas de fibrillation verntriculaire, éviter l’amiodarone et utiliser la lidocaïne IV |
Périodes à risque : induction, intubation, stimulations chirurgicales importantes, réveil |
choix des agents anesthésiques :
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Éviter les pressions intrathoraciques élevées et la manoeuvre de Valsalva |
Éviter les décharges sympathiques et donc la douleur et l’hypovolémie |
En cas d’hypotension: la phényléphrine est le premier choix |
En cas de pacemaker, appliquer les précautions électriques habituelles (idéalement : bistouri électrique bipolaire) |
En cas de défibrillateur interne : le désactiver avant la procédure chirurgicale (aimant) car le bistouri électrique peut déclencher des défibrillations ; placer des patchs de défibrillation sur le thorax |
Éviter l’hypothermie |
Éviter l’hypokaliémie |
Si possible éviter de devoir antagoniser les curares avec la néostigmine, ou en tout cas sa co-administration avec l’ondansétron |
Antiémétiques : éviter les sétrons, le DHB et les antihistaminiques. Dexaméthasone et métoclopramide : OK |
Réveil au calme : stimulations auditives brusques à éviter |
Précautions anesthésiques en présence d'un syndrome de QT long congénital
Références :
Mise-à-jour février 2025