Porphyries

Groupe hétérogène de 8 maladies enzymatiques génétiquement transmises de la chaîne de synthèse de l'hème (tableau), constituant essentiel de l'hémoglobine. En France, la porphyrie aiguë intermittente est la plus fréquente. Prévalence de 0,6/1000 mais la maladie ne s'exprime cliniquement que chez moins de 10% des patients porteurs du gène muté, rarement pendant l'enfance, plus fréquemment chez l'adulte jeune, de sexe féminin habituellement (80% des cas).

On classe les porphyries en 2 groupes en fonction du type de risques encourus par les patients lors de l'exposition à un agent déclenchant :


Formes particulières :


1) Porphyrie érythropoïétique congénitale (maladie de Gunther)

Très rare, autosomique récessive.. Déficit en uroporphyrinogène III cosynthétase. L’accumulation de porphyrines de la série I dans de nombreux tissus, ce qui entraîne photosensibilisation, hirsutisme et lésions cutanées sévères (lésions bulleuses, plaies ouvertes surinfectées et escarres) dès la petite enfance. Le traitement comporte des soins fréquents sous anesthésie, des transfusions sanguines itératives, une splénectomie parfois. La sévérité de l'affection justifie souvent la réalisation d'un programme de greffe de moelle osseuse.


2) Porphyrie ALAD et porphyrie aiguë intermittente

Cliniquement semblables, ces deux affections diffèrent, outre l'enzyme défective en cause, par leur mode de transmission (dominante pour la porphyrie aiguë intermittente) et par leur fréquence, la porphyrie aiguë intermittente étant, de loin, la plus fréquente.

L'affection peut rester asymptomatique toute la vie. Quand elle s'exprime cliniquement, c'est le plus souvent après la puberté et les symptômes sont peu évocateurs : nausées, vomissements, constipations, douleurs vagues du dos et des membres, faiblesse musculaire, rétention d'urines, palpitation, épisodes de confusion et d'hallucinations, convulsions parfois. Parfois une hyponatrémie qui contribue à la symptomatologie. Le diagnostic est porté devant l'augmentation d'acide δ-aminolévullinique et de porphobilinogène dans les urines, l'absence de porphobilinogène désaminase (inconstante) dans les érythrocytes et l'étude génétique en biologie moléculaire.

La porphyrie aiguë intermittente expose à de fréquents accès de décompensation aiguë sévère ("crise porphyrique aiguë"), notamment à l'occasion d'une anesthésie. 


3) Porphyrie cutanée tardive

Porphyrie hépatique, qui est rarement d'origine génétique (autosomique dominante dune mutation du gène UROD), mais habituellement acquise à la suite d'affections hépatiques toxiques (alcool, contraceptifs oraux, œstrogènes) ou infectieuses (hépatite C, HIV).

Son expression clinique est essentiellement cutanée (vésicules et érosions cutanées avec cicatrices persistantes) et ne concerne qu'exceptionnellement la tranche d'âge pédiatrique (il y a alors souvent un facteur favorisant qui induit une surcharge ne fer ou un stress oxydatif, comme la mutation dun autre gène). Son traitement est assez aisé : phlébotomies itératives pour réduire le fer sérique et les risques d'hémochromatose hépatique, dérivés de la chloroquine.


4) Porphyrie hépato-érythropoïétique

Forme rare de porphyrie, autosomique récessive; résulte du même déficit enzymatique que la porphyrie cutanée tardive. Cliniquement, elle ressemble à la porphyrie érythropoïétique congénitale avec des lésions précoces débutant dans la petite enfance.


5) Coproporphyrie héréditaire

Porphyrie hépatique transmise sur le mode autosomique dominant. Le tableau clinique est voisin de la porphyrie aiguë intermittente, avec le même risque de crises porphyriques aiguës (et le même traitement).


6) Porphyrie variegata

Forme autosomique dominante touche surtout les sujets d'ascendance sud-africaine blanche (incidence 1/300 dans la population d’origine Afrikaner)  Elle expose également au risque de crise porphyrique aiguë.


7) Porphyrie érythropoïétique

Prévalence : 1/75.000 à 1/200.000. Le déficit en ferrocholatase (mutation du gène FECH) est transmis sur le mode autosomique dominant. Une autre forme, plus rare, est liée à une mutation avec gain de fonction du gène ALAS2 (chromosome X) et donc à une surproduction de protoporphyrine. La symptomatologie clinique apparaît après une exposition solaire (même derrière une vitre) et se traduit par des lésions cutanées (bulles, escarres, zones de décoloration). La maladie s'exprime habituellement dès l'enfance. Anémie dans 40% des cas et anomalies des enzymes hépatiques dans 25% des cas avec risque de lithiase biliaire précoce et de cirrhose biliaire.  Le traitement par â-carotènes améliore la tolérance à l'exposition solaire mais n'a pas d'effets sur les taux de porphyrine (la choléstyramine peut abaisser ces taux chez certains patients). Essais de traitement avec lafamélanotide, un analogue synthétique de lhormone stimulant les á-mélanocytes, ou avec le dersimelagon, un agoniste sélectif des récepteurs de la mélanocortine 1.


Étapes de la synthèse de l'hème

Type de porphyrie en cas d'enzyme défective

Mode de transmission

Glycine et SuccinylCoA



                

Synthétase δ-aminolévullinique acide



Acide d-aminolévullinique



                    

Déshydratase δ-aminolévullinique acide

Porphyrie ALAD

Autosomique récessive

Porphobilinogène



                    

Porphobilinogène désaminase

(ou hydroxyméthylbilane

 synthétase)

Porphyrie aiguë intermittente

Autosomique dominante

Hydroxyméthylbilane



                   

Non enzymatique  


  Uroporphyrine III cosynthétase

Porphyrie érythropoïétique congénitale (maladie de Gunther)

Autosomique récessive


Uroporphyrinogène I


Uroporphyrinogène II



Uroporphyrine     décarboxylase

              

                   Uroporphyrine

décarboxylase

             

Porphyrie cutanée tardive


ou


Porphyrie hépato-érythropoïétique

Autosomique dominante ou, le plus souvent, porphyrie acquise


Autosomique récessive

Coproporphyrinogène I

Coproporphyrinogène II




 Coproporphyrine 

                   oxydase

              

Coproporphyrie héréditaire

Autosomique dominante


Protoporphyrinogène IX




 Protoporphyrinogène

                  oxydase

              

Porphyrie variegata

Autosomique dominante


Protoporphyrine IX




Ferrochélatase

              

Porphyrie érythropoïétique

Autosomique dominante


      Hème






Crise de porphyrie aigüe : 

survient typiquement chez une femme jeune, fréquemment déclenchée par:

  1. la prise de médicaments (barbituriques, sulfamides, œstro-progestatifs...),
  2. une prise excessive d'alcool ou l'usage de drogues illicites, 
  3. un régime hypocalorique, 
  4. une infection 
  5. le cycle menstruel et les traitements hormonaux. 

Associe de manière variable des douleurs abdominales, des troubles neurologiques, et parfois psychiatriques. Les signes abdominaux apparaissent généralement les premiers et associent fréquemment des douleurs intenses, continues ou paroxystiques, sans localisation prédominante mais irradiant volontiers aux membres inférieurs ; des nausées puis des vomissements pouvant entraîner des troubles hydro-électrolytiques importants. L’examen clinique et radiologique de l’abdomen (échographie) ne révèle aucune anomalie objective. On décrit fréquemment une tachycardie habituellement sans fièvre, des épisodes d'hypertension artérielle et une hypersudation qui révèlent une atteinte du système nerveux autonome.

Les troubles neurologiques susceptibles d'être observés sont multiples et peuvent affecter le système nerveux périphérique et central. On peut retrouver de simples paresthésies, des myalgies, parésies, neuropathies périphériques ou des troubles centraux coma (rare) ou convulsions (fréquent) dont un traitement par les barbituriques (molécules porphyrinogéniques par excellence) peut aggraver le tableau. Ces manifestations peuvent être fatales (atteinte bulbaire, paralysie respiratoire). Rarement inaugurales, les atteintes neurologiques sont le plus souvent déclenchées ou aggravées par des thérapeutiques inadaptées, administrées en l’absence de diagnostic. 

Dans ce contexte la constatation d'une coloration anormale des urines brun rouge "porto" doit faire évoquer le diagnostic. Mais cet élément majeur peut manquer et la coloration anormale n'apparaît généralement que 30 à 60 minutes après l'émission. 


Traitement de la crise : 

analgésiques, antiémétiques et apports glucidiques importants pour calmer la crise métabolique. Le traitement le plus efficace reste cependant l'administration intraveineuse d'hème qui doit être le plus précoce possible après le début de la crise : hème arginate 3-4 mg / kg par jouren 20 minutes  pendant 4 jours


Implications anesthésiques

Éviter les médicaments qui peuvent déclencher des poussées (tableau). Leur liste évolue constamment : consulter les sites web spécialisés :


Limiter le jeûne périopératoire, réduire le stress et éviter les agents précipitants. Le sévoflurane, représente un bon choix pour l'induction de l'anesthésie. Le propofol peut être utilisé mais éviter une anesthésie totale intraveineuse. Les anesthésiques locaux amides ne sont plus considérés comme porphyrinogènes.

En cas de porphyrie érythropoïétique congénitale (maladie de Gunther), il faut limiter lexposition à la lumière visible notamment en salle dopération (couvrir les sources de lumière avec un filtre en acrylate jaune, protéger les zones de peau non-opérées avec un drap). Les lésions cicatricielles sur le visage peuvent entraîner une sclérose péribuccale, une limitation de lextension du cou et une nécrose nasale avec des difficultés dintubation.


Aminoglutethimide

Ergot de seigle (dérivés de l')

Orphénadrine

Barbituriques

Erythromycine

Oxcarbazépine

Carbamazépine

Etamsylate

Oxtriphyl

Chloramphénicol

Ethosuximide

Phénylbutazone

Clemastine

Etomidate

Phénytoïne

Clonidine

Griséofulvine

Primidone

Co-trimoxazole

Ketoconazole systémique

Œstro-Progestatifs

Danazol

Méprobamate

Pyrazinamide

Dapsone

Mesuximide

Pyrazolone

Dihydralazine

Méthyldopa

Sulphonamides

Dimenhydrinate

Méthysergide

Tolbutamide

Dipyrone

Nalidixique (acide)



Liste des médicaments interdits en cas de porphyrie


Références : 

-           Sheppard L, Dorman T. 
Anesthesia in a child with homozygous porphobilinogen deaminase deficiency: a severe form of acute intermittent porphyria. 
Pediatr Anesth 2005;15:426-8.

-           Anderson KE, Bloomer JR, Bonkovsky HL, Kushner JP, Pierach CA, Pimstone NR, Desnick RJ.
Recommendations for the diagnosis and treatment of the acute porphyrias. 
Ann Intern Med 2005;142:439-50.

-           Harris C, Hartsilver E. 
Anaesthetic management of an obstetric patient with variegate porphyria. 
Int J Obstet Anesth 2013; 22: 156- 60.

-         Nagarajappa A, Kaur M, Sinha R. Anesthetic concerns in the patients with congenital erythropoietic porphyria for ocular surgery. J Clin Anesth 2019; 54: 3-5

-        Lala SM, Naik H, Balwani M.
Diagnostic delay in erythropoietic protoporphyria.
J Pediatr 2018 ; 202: 320-3

-        Kuemmet TJ, Sokumbi O, Chiu YE.
New-onset blistering eruption in a young child.
J Pediatr 2019; 205: 290-1


Mise-à-jour avril 2023