Hyperthermie maligne
|
L’hyperthermie maligne (HM) est une maladie pharmacogénétique du muscle strié, habituellement asymptomatique (sauf en cas de myopathie associée à un risque d’hyperthermie maligne), de transmission autosomique dominante et de pénétrance incomplète avec une expressivité variable. L’incidence chez l’enfant (< 18 ans) est estimée à 1/10.000 cas aux USA et la mortalité d’une crise est de 2,9% contre 18,2% chez l’adulte durant la même période de temps.
La susceptibilité à l’hyperthermie maligne est associée à une mutation d’un des gènes suivants (les gènes soulignés correspondent aux notions validées en 2022):
La crise d’HM résulte d’une dysfonction des canaux calciques au niveau du réticulum sarcoplasmique du muscle strié. En présence d’un agent halogéné (ni le N2O ni le Xe ne déclenchent l’HM) et/ou de succinylcholine, cette dysfonction des canaux calciques entraîne, par un mécanisme inconnu, une incapacité à réintégrer le Ca ionisé dans le réticulum sarcoplasmique et donc une augmentation massive du taux de Ca ionisé intracellulaire : il en résulte une augmentation du métabolisme (acidose mixte, anaérobiose) et une destruction cellulaire (rhabdomyolyse). La description classique de la crise d’HM date du temps où l’halothane était utilisé: l’administration des agents halogénés modernes retarde souvent l’apparition des signes cliniques et biologiques de la crise, dont l’hyperthermie est désormais un signe tardif. C’est pourquoi certains auteurs proposent de terme d’Hypermétabolisme Malin, qui correspond mieux à la pathogénie de la crise, plutôt qu’hyperthermie maligne.
La plupart des sujets susceptibles à l’hyperthermie maligne ne présentent pas un phénotype de myopathie. Cependant, quelques maladies musculaires entraînent un risque accru d’hyperthermie maligne : le tableau ci-dessous résume l’état actuel des connaissances sachant
1) que les maladies musculaires sont classifiées en fonction de leur phénotype (présentation, évolutivité, image histologique) mais qu’un même phénotype peut être dû à des mutations différentes ;
2) que les tests de contracture en présence d’halothane ou de caféine peuvent être faussement positifs dans certaines myopathies qui ne sont pas associées à l’HM;
3) dans certains cas (comme les dystrophinopathies de Duchenne et de Becker), il y a un risque élevé de rhabdomyolyse en cas d’exposition à un halogéné et/ou la succinylcholine : la présentation clinique (arrêt cardiaque hyperkaliémique) est similaire à une HM fulminante mais le traitement en est radicalement différent (calcium et réanimation cardiopulmonaire, pas de dantrolène). Cependant, les mesures de prévention sont identiques : ni halogéné, ni succinylcholine.
Des cas d’hyperthermie maligne sans administration d’agent anesthésique déclenchant ont été décrits : il semble que ces cas ne se rencontrent que dans les cas, rares, où le patient est à la fois porteur d’une mutation du gène RyR1 et d’une autre mutation sur un allèle différent, liée à l’HM ou non. Un antécédent personnel de rhabdomyolyse à l’effort et une élévation asymptomatique des CPK doivent être considérés comme des facteurs de risque d’HM jusqu’à l’exclusion d’une autre cause.
Maladie musculaire |
Risque = à celui de la population générale |
Risque majeur |
Risque modéré ? |
Augmentation asymptomatique des CPK |
|
|
x |
Becker |
x |
|
|
Brody |
|
|
x ( seuls tests de contracture +) |
Central core |
|
x si mutation RYR1 |
|
Déficience en myoadénilate déaminase |
|
|
x (tests +) |
Déficit en carnitine-palmitoyl transférase type 2 |
x risque de rhabdomyolyse due aux halogénés (1 cas) |
|
x si mutation R503C (1 cas) |
Duchenne |
x |
|
|
Disproportion congénitale des fibres I |
|
x si mutation RYR1 |
x si CNMDU 1 |
Glycogénose de McArdle |
x |
|
|
King-Denborough |
|
x |
|
Maladies mitochondriales : MERRF, MELAS, Kearns-Sayre etc |
x |
|
|
Minicore ou multicore myopathy |
|
x si mutation RYR1 |
|
Myopathie à batonnets (nemaline rod) |
|
x si mutation RYR1 |
|
Myopathie des Amérindiens (Lumbee) |
|
x |
|
Myotonie dystrophique I (Steinert) |
x |
|
|
Myotonie dystrophique II |
x |
|
|
Noonan |
x |
|
|
Ostéogenèse imparfaite |
x |
|
|
paralysie périodique familiale hypokaliémique |
|
x si mutation RYR1 ou CACNA1S |
|
Implications anesthésiques:
* environ 50% des patients porteurs d’une mutation pathologique peuvent subir plusieurs anesthésies générales sans problème avec des agents déclencheurs avant de présenter une crise d’hyperthermie maligne : une anamnèse « d’anesthésies présentes sans problème » n’a donc pas de valeur prédictive. Il semble que la présence de certains facteurs environnementaux [fièvre, exercice intense dans les 72 qui précèdent, sepsis] puisse favoriser le déclenchement d’une crise en fragilisant les cellules musculaires. Cela explique en partie la fréquence accrue de crises lors de chirurgies post-traumatique ou de laparotomies (appendicite parfois blanche car la rhabdomyolyse est source de douleurs abdominales) en urgence.
* rester vigilant durant et après toute anesthésie générale et envisager la possibilité de ce diagnostic en cas de :
Dans une série récente, les signes d’HM sont apparus 60 à 199 minutes après le début de l’anesthésie et dans 23% des cas lors de la phase de réveil ou en salle de réveil.
Dans une série japonaise (mortalité 8,8 %), les symptômes et signes les plus fréquents étaient :
- pour les moins de 2 ans : une hyperthermie (46,7 %) et une rigidité musculaire généralisée (26,7 %)
- pour les enfants de 2 à 12 ans : un spasme masséterin (35 %), une rigidité musculaire généralisée (19,5%), des urines foncées (75 %)
- pour les enfants de 13 à 18 ans : une hypercarbie (26,5 %) et une tachycardie (22,4 %).
Les signes musculaires étaient plus fréquents en cas d’utilisation de la succinylcholine
* diagnostic différentiel d’une crise d’HM : sepsis, réchauffement iatrogène excessif, hypoventilation majeure, pathologie endocrine (phéochromocytome, crise d’hyperthyroïdie), syndrome malin au neuroleptiques, interférence médicamenteuse (cocaïne, amphétamines, IMAO).
* traitement de la crise d’hyperthermie maligne :
Étapes chronologiques du traitement |
Détail des mesures thérapeutiques |
Demander de l’aide |
|
Arrêter immédiatement l’administration de tout agent halogéné |
|
Administrer rapidement une première dose de dantrolène : 2,5 mg/kg |
|
Monitorer |
|
Gaz du sang |
administrer du NaHCO3 selon les gaz du sang |
Refroidir le patient s’il est hyperthermique |
|
En cas de troubles du rythme cardiaque |
utiliser les antiarythmiques selon les algorithmes habituels sauf les anticalciques (risque de collapsus) |
En cas d’hyperkaliémie aiguë |
|
Placer une sonde urinaire |
Pour suivre la diurèse et diagnostiquer une rhabdomyolyse |
Prévenir l’insuffisance rénale aiguë |
|
Suivi post-anesthésique |
|
Traitement de la crise d’hyperthermie maligne
* prévention : en cas de risque d’HM, utiliser un respirateur vierge de toute trace d’halogéné : la procédure de rinçage varie selon le modèle du respirateur et l’utilisation de filtres spéciaux au charbon de bois est une alternative efficace et rapide. Anesthésie totale intraveineuse (propofol, rémimazolam; kétamine, pas de succinylcholine. L’administration prophylactique de dantrolène n’est plus recommandée ; de plus, elle entraîne une faiblesse musculaire. Monitorage : PETCO2, gaz du sang (lactates). Tout bloc opératoire doit disposer d’une réserve de dantrolène de 50 x 20 mg.
Références :
Mise à jour décembre 2024