Drépanocytose

(Anémie falciforme, sickle cell diseasehémoglobinose S)

Prévalence : 2-6 % de la population en Afrique, en Asie et dans le pourtour méditerranéen. Anémie hémolytique chronique à transmission autosomique dominante dune mutation sur le chromosome 11 qui entraîne la synthèse d’une hémoglobine anormale, l’hémoglobine S (anomalie de la globine β: acide glutamique remplacé par valine). Celle-ci précipite lorsqu’elle est dans sa forme désoxygénée, conduisant à la falciformation des globules rouges et à une hémolyse (crise drépanocytaire).

Les patients hétérozygotes (AS) sont dits porteurs du trait drépanocytaire : leur sang contient 60-65 % dHbA et 35-40 % dHbS. Le sang des patients homozygotes (SS) contient 80-98 % dHbS et de lhémoglobine fœtale (HbF).

Chez l'homozygote (SS) en situation d'hypoxie, l'HbS se polymérise et précipite dans les globules rouges qui prennent un aspect en faucille ("falciformation"), s'hémolysent et provoquent la formation de thromboses dans les petits vaisseaux, en particulier au niveau du squelette et des viscères, avec infarcissement très douloureux en aval des multiples occlusions simultanées (crise vaso-occlusive drépanocytaire). Le risque de falciformation est très faible chez les hétérozygotes S sauf s’il y a association avec une autre hémoglobinopathie : Sβ(association avec la béta-thalassémie avec absence de production de globine β) et SC (hémoglobine C qui se retrouve chez 1 à 3 % des gens originaires d’Afrique de l’Ouest), par exemple. Les patients Sβ(association avec la béta-thalassémie où il persiste une production de globine β) sont moins gravement atteints car il y a une production résiduelle suffisante d’Hb normale.


Physiopathologie :

Deux grands mécanismes expliquent les conséquences de la présence de l’HbS :

Il semble que certains enfants présentent davantage un phénotype vaso-occlusif (HbSS,Sβet HbSD) alors que d’autres (SS) ont un phénotype plutôt hémolytique : ces derniers ont un risque plus élevé de développer des complications neurologiques et une hypertension artérielle pulmonaire.

La falciformation, lanémie chronique et lhémolyse dues à la drépanocytose entraînent une dysfonction vasculaire,

Signes cliniques : 

Les premiers signes de l'affection apparaissent après l'âge de 6 mois car l'HbF prévient l'apparition de l'anémie chez le nouveau-né et le petit nourrisson. La symptomatologie peut rester fruste mais, le plus souvent, les enfants vont présenter des signes d'anémie hémolytique chronique (pâleur, subictère, hépatomégalie, splénomégalie constante) surtout après l'âge de 5 ans avec des épisodes plus ou moins fréquents de crises aiguës pouvant compromettre le pronostic vital.

Les complications possibles de la drépanocytose homozygote sont :

-     lithiase vésiculaire fréquente.

-        crises de colique néphrétique en cas de nécrose papillaire; une créatininémie normale n’exclut pas la présence de problèmes tubulaires (difficultés de concentration des urines, réabsorption de K)

-        priapisme, complication classique et sévère de la maladie ; il survient habituellement  entre 5 et 13 ans et entre 21 et 29 ans ; il s’agit de priapisme à bas débit par obstacle au drainage veineux des corps caverneux.


Traitements possibles :

-         transfusions sanguines (sang prélevé depuis moins de 10 jours) associées à la prise d’un chélateur du fer par voie orale (déférasirox) ou sous-cutanée (déféroxoamine) ; cependant, 4 à 11 % des patients présentent une réaction hémolytique transfusionnelle retardée 7 à 10j après la transfusion : dans sa forme sévère, cette réaction détruit les GR du patient et du donneur, ce qui fait que les patients se retrouvent plus anémiques qu’avant la transfusion. Ces réactions sont souvent confondues avec une crise drépanocytaire car elles associent fièvre, anémie, ictère, hémoglobinurie et douleurs. Elles peuvent être diminuées par la corticothérapie, des immunoglobulines ou un traitement préventif par rituximab ou éculizimab. Cette hémolyse serait due à des anticorps indétectables en pré-transfusionnel (dirigés contre des variants Rh peu fréquents en Europe, par exemple), à une éryptose accélérée des GR âgés du donneur et/ou à la présence de cytokines.

-        exsanguinotransfusions avec du sang prélevé depuis moins de 7 jours

-         cytaphérèses en prévention primaire ou secondaire des AVC

-         hydroxyurée pour réactiver la synthèse d’HbF (risque de myélosuppression) et la production de NO

-         statines pour leurs propriétés antiinflammatoires au niveau de l’endothélium

-         sildénafil pour son effet vasodilatateur (NO)

-        thromboprophylaxie

-         greffe de moelle osseuse ou de cellules souches


Implications anesthésiques

En préopératoire:

-        mesure du taux dhémoglobine et du % de HbS:


       si le taux dhémoglobine est < 8,5 g/L: transfuser pour obtenir un taux de 10-11 g/L

       si le taux dhémoglobine est > 8,5g/L: exsanguinotransfusion pour obtenir un taux de 10-11 g/L (si SS ou 0) ET une taux dHBS < 30 % (si+ ou SC)


-        vérifier SpO2 à lair: recherche dune cause cardiaque (HTAP?) si < 94 %

-        échographie cardiaque récente dès 5-6 ans pour détecter une HTAP débutante : il est cependant probable que certains cas sont des faux + induits par laugmentation du débit cardiaque due à lanémie ; il faut donc réaliser lexamen quand le taux dhémoglobine est normal

-        Doppler intracrânien datant de moins de 12 mois: éviter hyper- et hypotension artérielle et hyperventilation en cas dantécédent daccident vasculaire; en cas de syndrome de Moya-moya: prise en charge adaptée (voir fiche Moya-moya)

-        risque important dapnées obstructives du sommeil chez les enfants de moins de 5-6 ans (lié en partie à leur origine ethnique)

-        prévenir la banque de sang pour phénotypage et compatibilisation du sang


En périopératoire:

-        éviter  hypoxémie, acidose, hypothermie et stase vasculaire, maintenir un débit cardiaque normal

-        abords veineux périphérique et central difficiles suite aux transfusions, cytaphérèses etc.

-        risque dAVC : éviter hypotension artérielle, hyperventilation et hypoxémie. Monitorage de la saturation cérébrale (NIRS) : les valeurs de base sont plus basses chez les patients SS et S â0 que chez les patients normaux ou SC ou Sâ+ : cette diminution des valeurs de bases augmente avec lâge, et nest quen partie corrigée par une transfusion

-        assurer un remplissage vasculaire adéquat car la capacité de concentration des urines est diminuée: risque de déshydratation si les apports p os sont insuffisants; il semble prudent déviter le NaCl 0,9% qui favoriserait la vasoocclusion.

-        sonde nasopharyngée en cas dobstruction des voies aériennes supérieures

-        antibioprophylaxie car risque accru de complications infectieuses

-        garrot chirurgical: utilité à évaluer au cas par cas; OK si lenfant a un taux dhémoglobine A suffisant.

-        en cas de transfusion: vérifier le taux dhémoglobine et la bilirubinémie une semaine plus tard: réaction transfusionnelle retardée?

-        thromboprophylaxie


Analgésie: il est prudent déviter une corticothérapie car cela semble entraîner un risque accru de crise vasoocclusive (suite à laugmentation de la leucocytose). Ce risque est moindre après une transfusion. Une étude rétrospective analysant les besoins en analgésiques après cholécystectomie laparoscopique chez des enfants drépanocytaires a constaté que leur consommation de morphine par PCA est le double de celle des enfants normaux et que leurs scores de douleur sont plus élevés : cette augmentation de consommation est due en partie à létat pro-inflammatoire chronique quentraîne la drépanocytose et en partie à une augmentation de la clairance des morphiniques dans cette population.

Transfusion : vu les transfusions multiples, il est souvent difficile de trouver du sang compatible. Prévoir compatibilité ABO, Rh et Kell au minimum. En cas dantécédent de réaction hémolytique retardée, il faut contacter la banque de sang et un(e) spécialiste en drépanocytose. En cas danémie aiguë avec fièvre quelques jours après une transfusion (même avec compatibilité et cross-match négatif), il faut envisager le diagnostic de réaction hémolytique transfusionnelle retardée : ne pas transfuser et demander lavis de lhématologue.


En cas de chirurgie cardiaque :

La récupération peropératoire de sang  favorise la falciformation du sang récupéré et n’est donc pas recommandée.


Références : 


Mise-à-jour janvier 2024