Numéro 54 :

Petite histoire du sourire dans l'art

Jean-Marie Gillis

 

Jean-Marie Gillis, professeur de physiologie, émérite de l’UCL et fondateur d’Artefac, association promouvant les activités culturelles à la Faculté de Médecine, a très gentiment accepté de participer à ce numéro d’AMA-Contacts consacré à l’humour dont le sourire est l’une des expressions.


Le sourire fait partie de la vie de tous les jours.  Avec le regard, il est un élément-clé de la communication non-verbale entre les humains et n’aurait pas, dit-on, d’équivalent chez l’animal.  Mettant en jeu de façon fort complexe plus de quinze muscles différents du visage, le sourire peut, avec infiniment de nuances, exprimer la joie, l’accueil, la bienveillance, l’humour, une pointe d’incrédulité, mais aussi, sur un mode mineur, la condescendance, l’ironie, la dérision, voire le mépris.  Quel éventail de sentiments exprimés par de minimes différences dans le relevé des commissures des lèvres ou leur écartement !  Le sourire, comme le regard, reflète éminemment la personnalité de chacun.  On aurait donc pu s’attendre à ce qu’il soit un composant essentiel de l’art du portrait.  Or, il faut bien constater que ce n’est pas le cas.  Au contraire, la toute grande majorité des portraits que l’on peut voir dans les musées, et cela pour toutes les époques, sont sérieux.  Quand le portrait se fait acte d’affirmation du pouvoir – on pense au grand portrait en pied de Louis XIV dans toute sa majesté, par Hyacinthe Rigaud (1649-1743, Musée du Louvre) – on comprend que le sourire risquerait d’apporter une note de familiarité, peu en accord avec le but recherché.  Sourire serait-il un signe de faiblesse ? Mais, les portraits moins conventionnels, plus intimes sont, eux aussi, essentiellement sérieux.

Le sourire est fugace.  Il naît, s’épanouit puis disparaît, il dure tout au plus quelques dizaines de secondes.  Le sourire que l’on voudrait maintenir en le figeant n’est plus un sourire, mais un rictus.  Il y a là, peut-être, une raison supplémentaire pour laquelle le sourire est pratiquement absent de l’art du portrait.  Non qu’un peintre doué soit incapable de le peindre, mais parce que le modèle est incapable de le soutenir durant le temps de pose nécessaire.  Lorsque le portrait s’est démocratisé grâce à la photographie, nos arrière-grands-parents posaient sans sourire, perpétuant sans le savoir la tradition du portrait sérieux, mais aussi respectant le long temps de pose demandé par le photographe.  Il a fallu que le temps de pose photographique soit réduit à quelques centièmes de secondes pour voir apparaître le portrait souriant.  Andy Warhol (1928-87) partira d’une photographie souriante de Marilyn Monroe pour produire sa célèbre sérigraphie. Aujourd’hui, le portrait souriant est la norme en photographie, il est incontournable pour les vedettes du showbizz et les politiciens le savent mieux que personne (évidemment Louis XIV n’avait pas à gagner les votes de ses sujets…)

Ces premières considérations permettent de mieux situer l’extraordinaire fascination qu’exerce sur les quelques cinq millions de visiteurs annuels, le fameux sourire de la Joconde (Musée du Louvre).  Leonardo da Vinci (1452-1519) a réalisé un vrai portrait, celui de Lisa Maria Gherardi et il a su peindre ce moment fugitif où le sourire s’ébauche, dure un moment et va bientôt s’éteindre.  Le temps est suspendu.  De plus, le regard mi-interrogatif, mi rêveur, tourné vers le spectateur, contribue fortement au caractère énigmatique qui se dégage du portrait.  Au XVIe siècle, l’historien d’art, Vasari, voyait en la Joconde, la perfection du portrait, sans relever le coté mystérieux qui a si fortement impressionné les romantiques.  Théophile Gauthier devinait en la Joconde « l’Isis d’une religion cryptique » et, après Freud, les interprétations psychanalytiques n’ont pas manqué…  Si l’on s’en tient au thème du sourire, je préfère celui de Ste Anne dans le tableau  du même Leonardo « Ste Anne, la Vierge et l’Enfant » qui, au Louvre, se trouve à une dizaine de mètres de la Joconde et devant lequel trop de visiteurs passent sans accorder beaucoup d’attention.  Le sourire de Ste Anne n’attire pas par son mystère, mais par la profondeur de la méditation intérieure dont il est le reflet visible.  Les yeux baissés, le front très légèrement relevé, Ste Anne s’interroge sur le mystère de Marie et de son enfant auxquels elle sourit avec beaucoup de tendresse, marquée d’inquiétude.  Rien de cela chez la Joconde.  Au risque de scandaliser, j’oserais écrire : peut-être n’y a t-il rien d’autre dans le sourire de l’épouse de Francesco del Giocondo que le bonheur tranquille d’une femme à la maternité épanouie (le tableau fut commandé après la naissance de son deuxième fils).  Mais alors pourquoi Leonardo travailla-t-il plus de 10 ans à ce tableau qui ne fut jamais livré à son commanditaire et dont il ne se sépara jamais ?  On n’échappe pas au mystère de la Joconde.

Isabelle Brant Isabelle Brant.  Pierre Paul Rubens.

Leonardo daVinci n’est pas le seul artiste à savoir rendre un sourire, loin de là. Pierre Paul Rubens (1577-1640) qui peignit tant de portraits officiels, donc sérieux, a fait un superbe dessin de sa première épouse, Isabelle Brandt, dont le visage s’éclaire d’un chaleureux sourire, légèrement malicieux, qui nous la rend sympathique et vivante (British Museum).  La sympathie a remplacé le mystère.  Chacun choisira.  A la même époque, le Hollandais Frans Hals (1583-1666) peignait à Haarlem de très sérieux et riches bourgeois, mais il fréquentait aussi les tavernes et laissa le portrait d’une accorte servante, au sourire épanoui et quelque peu canaille (Musée du Louvre).  A la fin du XVIIIe siècle Francisco Goya (1746-1828) peignit pour un ministre du roi d’Espagne, un nu féminin allongé sur un divan, regardant le spectateur droit dans les yeux, tandis que son visage s’éclaire d’un sourire : c’est la célèbre Maja desnuda du musée du Prado, à Madrid.  Quand ce tableau fut découvert dans la collection privée du ministre déchu, ce fut un beau scandale : une femme nue au sourire engageant ne pouvait être que perverse !  Le tableau fut confisqué par l’Inquisition, mais, grâce à Dieu (mais oui !), il ne fut pas détruit.

L’âge d’or du portrait souriant est la deuxième moitié du XVIIIe siècle.  Enfin des portraits officiels où un léger sourire de bienveillance apparaît.  Effet de la philosophie des Lumières et de son optimisme dans le pouvoir de la raison face aux autres pouvoirs ?  Le maître incontesté de cette nouvelle façon est Maurice Quentin de la Tour (1704-88) qui utilise principalement le pastel, technique, qui, par son côté subtil et spontané, correspondait vraiment à l'esprit de légèreté et au brillant de la société de l'époque.  Voltaire sourit, même le roi Louis XV et la reine Marie Leszcinska ont un aimable sourire aux lèvres.  Et que dire de celui de la Marquise de Pompadour dans le superbe portrait du Louvre ?

La tourmente révolutionnaire de 1789 mit fin à cette courte période, si charmante pour les privilégiés de l’Ancien Régime finissant.  Il n’est pas l’heure de sourire quand la guillotine ne chôme pas.  Et bientôt, le nouveau maître de la France se fera peindre par Louis David (1748-1825), entouré de tous les attributs du pouvoir impérial, dans une impassibilité d’empereur romain.  Adieu sourire…

A la fin du XIXe siècle, au moment où Paris s’étourdissait dans les fastes luxueux de la « Belle époque », apparaît un extraordinaire portraitiste de la gent féminine upper class : l’italien Giovanni Boldini (1842-1931).  D’un coup de pinceau fougueux et coloré, il campe marquises et femmes de richissimes banquiers.  Leurs robes, chapeaux et bijoux ont pour lui autant d’importance que leur visage, mais il a su saisir quelques sourires d’une rare élégance, celle qu’il était bon ton de dire « décadente ».

Zinaida Youssoupovna Zinaïda Youssoupovna.  Valentin Serov.

A la même époque, la haute société russe vivait à l’heure parisienne.  Valentin Serov (1865-1911) a laissé un superbe portrait de la princesse Zinaïda Youssoupovna, épouse du prince Youssoupov, le chef du complot qui « liquida » Raspoutine.  Si la princesse est habillée comme à Paris, entourée d’un mobilier typiquement français, son beau et paisible visage n’a rien à voir avec ceux que peignait Boldini.  Le sourire est quasi imperceptible, on le croirait absent si on ne regarde que la bouche, mais il est bien là car le regard nous le confirme.  C’est un très bel exemple de la synergie sourire-regard. (Musée Russe, St Petersbourg).

Jeanne Somary Il y a des visages que l’on dit « souriant », même si le sourire n’y est pas spécifiquement présent.  Le peintre qui, à mes yeux, a le mieux rendu ces visages souriants des femmes est Auguste Renoir (1841-1919), comme son portrait de Jeanne Somary (Moscou, Musée d’art moderne).   Même si les jeunes femmes peintes par Renoir ont toutes, peu ou prou, les traits semblables, le bonheur paisible qui se lit sur leur visage fait naître le sourire sur le nôtre.


Jeanne Somary.  Pierre-Auguste Renoir.


Le début du XXe siècle voit naître le cubisme et l’on sait ce que Picasso a fait du visage de ses modèles…  Le sourire mit du temps à s’en remettre.

Il revint dans les toiles du russe Marc Chagall (1869-1954) où des couples de fiancés sourient de bonheur en se promenant entre ciel et terre, leur félicité est telle qu’elle fait sourire même les animaux.  De Russie aussi, viendront bientôt des œuvres où le sourire a une signification moins idyllique : des tableaux et des affiches où l’on voit de jeunes et vigoureuses paysannes et ouvrières souriant avec confiance à l’avenir radieux que leur promet la révolution bolchevique…car comme le définit la ligne officielle du régime : « la lutte pour un avenir meilleur et juste sont les traits dominants des beaux-arts soviétiques ».  Et voilà le sourire embrigadé dans la lutte des classes !  Au-delà de cet asservissement de la création artistique à l’idéologie politique, il est intéressant de noter qu’il existait, en Russie, depuis la fin du XIXe siècle, une école de peinture réaliste qui s’appliquait à évoquer la vie dans les campagnes, occasions de peindre de jeunes et souriantes paysannes dans leurs costumes richement colorés (Musée Russe, St Petersbourg).

Et du coté de l’autoportrait ?  Rembrandt (1606-69) et Gustave Courbet (1819-77) qui firent un très grand nombre d’autoportraits aux différents âges de leur vie, parfois en se forçant à exagérer l’une ou l’autre mimique, ne se sont jamais peint avec le sourire.  Est-ce un trait masculin ?  La très jolie et très talentueuse Elisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842), portraitiste « coqueluche » de l’Ancien Régime et de l’Empire, a fait d’elle un portrait très flatteur où s’ébauche l’esquisse d’un sourire aux lèvres à peine entrouvertes, vraiment plein de charme ! (Londres, National Gallery).

Le portrait d’enfant échappe fort heureusement au sérieux obligé d’innombrables portraits d’adultes.  Rubens, encore lui, a peint un très attachant portrait souriant de sa fille Clara Serena à l’âge de six ans, plein de grâce, d’innocence et déjà d’élégance (Vienne ; Musée Lichtenstein).  Ce beau portrait est d’autant plus touchant que la petite fille du peintre mourut six ans plus tard.

Pour en terminer avec la peinture profane, je ne peux passer sous silence l’étonnant portrait que fit le facétieux et génial Giuseppe Arcimboldo (1527-93) de son maître l’empereur Rodolphe II.  La face rubiconde et joviale du monarque est rendue par un assemblage hétéroclite et savant de fruits et de légumes qui composent un vrai sourire, au bonheur communicatif !  (Skoklosters Slott, Stockholm).

On ne peut pas dire que le sourire soit un lieu commun de la peinture religieuse.  L’art des icônes, aussi loin qu’on remonte, est sans sourire.  Celui-ci serait-il indigne de la majesté divine et, par extension, de tout qui s’en approche, la Vierge, les prophètes et les saints ?  C’est paradoxal car un hymne grec très ancien, datant probablement du IVe siècle s’adresse à Jésus-Christ en l’appelant « Lumière souriante du Père ».  Peine perdue : chez les Christ Pantocrator de l’Orthodoxie, le sourire reste obstinément absent.  Pas de sourire non plus dans la peinture siennoise, héritière de Byzance, ni celle des Primitifs Flamands (XVe siècle), une peinture dont les thèmes sont essentiellement religieux, même si les portraits de donateurs y apportent une note profane.  Mais ce n’est pas au moment où on se fait peindre, offrant un retable à l’Eglise, surtout si celui-ci représente une crucifixion, qu’il faut se mettre à sourire !  Il faudra attendre la Renaissance italienne pour voir des Vierges ou des anges souriant, comme dans un des tableaux préférés de Mazarin, le Mariage mystique de St Catherine, par Le Corrège (1489-1534  Musée du Louvre).  Ces fins sourires, peints avec délicatesse et une maîtrise incomparable, ne peuvent cependant masquer la touche légère de tristesse qui les habite.                  

Thoutmes III Le pharaon Thoutmes III.

La peinture est fragile et avant l’invention des musées, tant d’œuvres furent perdues.  Au contraire, la sculpture résiste beaucoup mieux aux attaques du temps.  Dans l’Egypte ancienne, les statues des pharaons étaient sculptées dans une pierre noire, extraordinairement dure.  C’est ainsi que nous pouvons apprécier, intact, le fin sourire du pharaon Thoutmes III (~1470 av J.C.  British Museum) qui fut l’un des plus puissants monarques de toute l’histoire de l’Egypte ancienne.  Il fut surnommé (par les égyptologues, bien sûr) le « Napoléon égyptien ».  Est-ce le sourire assuré du vainqueur ou  de celui qui se sait l’égal des dieux ?  Quoiqu’il en soit, ce Thoutmes, qui valait bien Louis XIV ou Bonaparte, ne pensait pas que sourire était indigne de lui.

Moscophore Le Moscophore


On sait à quel point la Grèce a été influencée par l’Egypte et le sourire a traversé la Méditerranée.  On le retrouve dans la sculpture grecque préclassique (VIe siècle avant J.C.) qui nous a donné le chef d’œuvre du jeune et vigoureux bouvier portant sur ces épaules un veau nouveau-né (le Moscophore, Athènes, Musée de l’Acropole).  Le sourire de bonheur est franc et sans arrière pensée; l’homme avance à notre rencontre, heureux du fardeau vivant qu’il porte avec aisance.  Hélas, cet âge heureux ne durera pas.  La sculpture grecque, classique puis hellénistique oubliera le sourire du Moscophore.  Quant aux Romains, ils se contenteront de copier les œuvres grecques tardives; leur spécialité fut de produire un très grand nombre de bustes de citoyens occupant des fonctions officielles, sénateurs, consuls, généraux, empereurs, tous profondément convaincus de leur importance dans la Cité et, évidemment, peu enclins au sourire.

Ange au sourire de Reims L’ange au sourire.  Cathédrale de Reims.

La sculpture dans la chrétienté du Haut Moyen Age reste sévère et le visage des Vierges romanes est grave et pensif.
Tout change avec l’éclosion d’un style nouveau aux XII-XIIIe siècles.  L’art gothique, dans son architecture, ses vitraux et sa sculpture est traversé d’un souffle optimiste et joyeux, reflet d’un climat économique favorable.  La Vierge Marie tenant dans ses bras l’enfant Jésus devient, dans la statuaire gothique une jeune femme, belle, épanouie, douce et souriante.  On peut en admirer un fort bel exemple à Liège (église Saint Jean l’Evangéliste).  On pense qu’il s’agit là d’un effet de l’influence combinée de la dévotion mariale diffusée par Bernard de Clairvaux et des thèmes de l’amour courtois qui magnifie « la Dame ».  Les grands portails des cathédrales gothiques s’ornent de sculptures où le sourire de bénédiction ou de bienveillance de la Vierge et des anges accueille fidèles et pèlerins.  L’Ange au Sourire, du portail central de la cathédrale de Reims en est le plus célèbre exemple.  Traditionnellement, les portails des cathédrales représentent le Jugement dernier, mais le sourire invite à la confiance plutôt qu’à la peur.

Les grands maîtres sculpteurs du gothique avaient assez de talent pour exprimer d’autres aspects du sourire.  Au portail ouest du transept de la cathédrale de Strasbourg, se trouve un groupe étrange : un beau jeune homme, élégamment vêtu d’une longue tunique à plis et portant sur la tête une couronne, tend une pomme à une jeune fille toute souriante.  Lui aussi sourit, mais c’est le sourire du séducteur, engageant, mais trompeur.  Au dos du jeune homme, grouillent serpents et crapauds, mais la jeune fille ne peut les voir et son sourire béat en dit long sur le succès du Tentateur.

Comme en peinture, la sculpture du XVIIIe siècle finissant nous a laissé des portraits souriants.  Il y a de très nombreux bustes en marbre blanc des grandes dames de la haute aristocratie, à la gorge plus ou moins décolletée et aux cheveux remontés en chignons compliqués.  Beaucoup sourient.  Mais il faut reconnaître qu’il y a des sourires conventionnels, d’autres quelque peu niais ou « coincés », d’autres, heureusement, pleins de charme…  Mieux vaut retenir le buste de Voltaire par Jean-Antoine Houdon (1741-1828) exécuté l’année de la mort de l’écrivain-philosophe (Musée du Louvre).  A 84 ans, Voltaire sourit encore.  Est-ce un sourire sans illusion ?  N’a-t-il pas écrit « Nous laisserons ce monde-ci aussi sot et aussi méchant que nous l'avons trouvé en y arrivant » ?  Après une telle constatation, on s’attendrait à un visage éteint, voire gagné par l’amertume.  En bien non !  Le vieux lutteur s’obstine à sourire et son sourire, bien qu’émacié, n’est pas amer; il semble même confiant que les combats qu’il a mené n’auront pas tous été vains, contredisant par ce sourire sa propre phrase citée plus haut !

Cette trop courte et très subjective histoire du sourire dans l’art, j’aimerais la terminer en évoquant deux sourires énigmatiques qui, comme celui de la Joconde, ont fait couler pas mal d’encre.

Dans le célèbre roman de Lewis Carroll Alice’s Adventures  in Wonderland (1865), l’héroïne rencontre, perché sur la branche d’un arbre, un chat qui apparaît et disparaît tour à tour : the Cheshire Cat qui arbore un large sourire.  Alice l’interroge sur le chemin à prendre et les réponses sont à la fois pleines de bon sens et vides de signification.  La disparition du chat commence par la queue, puis gagne les pattes et le corps et finalement il ne reste plus que le sourire.  Et Alice de se dire : « J’ai déjà vu un chat sans sourire, mais jamais un sourire sans chat ».  Cette dernière observation a donné lieu à d’innombrables commentaires, jusqu’à prétendre qu’elle exprimait sous forme imagée la quintessence de l’abstraction mathématique !  (Lewis Carroll enseignait cette science à Oxford).  Le sourire du Cheschire Cat a fait le bonheur de tous les illustrateurs et metteurs en scène d’Alice’s Adventures in Wonderland, depuis John Tenniel (1865) jusqu’à Walt Disney (1951).

L’histoire du second  sourire commence par un fait divers macabre.  En 1890, le corps d’une très jeune femme fut repêché dans la Seine, à Paris.  A la morgue, le médecin légiste, étonné par la beauté paisible du visage de la jeune morte qui semblait esquisser un sourire, commanda qu’on en fasse un moulage.  L’identité de la victime n’ayant jamais été déterminée, l’affaire fut classée.  Mais l’homme qui avait fait le moulage se mit à en faire des copies et à les vendre, sous le nom romantique de « L’inconnue de la Seine ».  Vers 1910, des écrivains découvrirent le masque mortuaire et celui-ci connut une fortune littéraire sous la plume de Rilke, Blanchot, Supervielle, Nabokov et d’autres.   Albert Camus compara le sourire de la jeune morte à celui de la Joconde.  Des photographes de talent comme Man Ray en tirèrent de superbes clichés.

Et dire qu’il y a aujourd’hui des esprits grincheux pour suggérer que ce masque est une escroquerie et n’était pas celui d’une morte.
Mieux vaut en rire, pardon, en sourire.

 

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