Numéro 53 :

La propédeutique médicale il y a un siècle : Manuel de diagnostic médical et d'exploration clinique par A. Lemaire (1923) 1

René Krémer

 

J’ai pris un grand plaisir à lire ce livre de cours d’Albert Lemaire, un des grands patrons de notre université (1875-1933).  On y trouve des expressions et citations latines et des mots aujourd’hui disparus, pas toujours très euphoniques.

La sémiologie est très riche.  Beaucoup de signes cliniques ne sont plus recherchés aujourd’hui en raison de leur caractère souvent aléatoire, mais surtout des progrès énormes de l’imagerie médicale.  Toutefois certains signes sont très riches et loin d’être inutiles, comme l’auscultation cardiaque souvent négligée aujourd’hui, qui permet de diagnostiquer, sans examens complémentaires, la plupart des souffles anorganiques, les galops, le troisième bruit, les lésions valvulaires…  Une auscultation attentive permettrait ainsi d’éviter des échocardiogrammes inutiles et coûteux.

Par contre la percussion du cœur, qui occupe une dizaine de pages du livre, est tout à fait désuète et aléatoire.  De mon temps, on nous l’apprenait, mais je dois reconnaître qu’elle ne m’a jamais servi et que je n’ai jamais pu délimiter valablement la matité absolue et relative.

L’auscultation, la percussion et la palpation pulmonaire étaient également très riches à cette époque où la radiographie était dans son premier âge et où la tuberculose était florissante.  Par exemple, le ton modifié de Wintrich permettait de soupçonner la présence d’une caverne superficielle communiquant avec les bronches et le ton de Gehrardt de diagnostiquer une caverne ovalaire, à demi remplie d’un liquide pas trop visqueux.
Les photos qui illustrent ce traité montrent les contours des organes thoraco-abdominaux dessinés sur la peau à partir de la percussion et de la palpation.

Il n’y a dans ce livre aucune abréviation, contrairement aux publications qui en sont truffées de nos jours.
D’autres maladies longuement décrites sont quasi oubliées de nos jours, telles la chlorose des jeunes filles cloîtrées dans leur milieu familial et, à l’opposé,  l’anévrysme aortique, le tabès et la paralysie générale de ceux qu’on appelait parfois à l’époque les dévoyés, en souvenir du nom de Traviata dont Verdi affuble Violetta, son héroïne.

L’anorexie mentale remplace sans doute aujourd’hui la chlorose d’antan et les diverses maladies mentales, notamment l’Alzheimer et la démence sénile occupent la place des complications neurologiques de la syphilis.
L’œdème des déportés de la guerre 14-18 était probablement moins spectaculaire que celui des victimes, retour des camps de concentration nazis.

La description de l’auscultation de l’œsophage est surprenante.  Le bruit de gargouillement était écouté au cou contre la trachée jusqu’à la clavicule, dans le dos de la 7ème cervicale à la 10ème dorsale à gauche des apophyses épineuses et au sommet de l’épigastre.  La valeur diagnostique de cette méthode était toutefois restreinte selon le professeur Dandois.

Le diagnostic différentiel entre gastroptose et gastroectasie était possible en percutant l’estomac après distension gazeuse  par l’absorption d’une solution de bicarbonate de soude, puis d’acide tartrique.
La tension artérielle normale était 14 à 15 cm de mercure pour la maxima et de 6 à 10 cm pour la minima.  Les idées ont changé depuis lors.

On trouve des expressions  parfois intéressantes, comme la marche festonnante des cérébelleux, les murmures cardiaques, terminologie que les anglo-saxons ont conservée, les qualifications latines du pouls; on distinguait le pulsus magnus, parvus, celer, mollis, tardus ou durus.
On appelait à l’époque l’automaticité, l’excitabilité, la conductibilité et la contractilité les quatre vertus du cœur.

Albert Lemaire était plein de bons sens lorsqu’il écrivait : « Méfiez-vous des névropathes qui racontent en souriant leurs misères à la nouvelle figure médicale qu’ils viennent consulter ».

Pour terminer, voici une liste de mots et d’expressions qui nous paraissent archaïques aujourd’hui ou sont carrément oubliées, alors que parfois elles ne manquent ni de charme, ni de justesse.
 

  • Asthénie universelle congénitale.  Constitution du sujet avec squelette gracile, thorax trop long, cou bien dégagé, côtes trop inclinées, viscères abdominaux prédisposés à la ptose.  Les conséquences possibles de cette constitution  vont du vomissement nerveux au relâchement du sphincter anal.
  • Asystolie.  Arrêt cardiaque.
  • Bruit du diable.  Souffle jugulaire continu au niveau jugulaire dans l’anémie, notamment la chlorose, exceptionnellement chez de gens normaux.
  • Chloasma des endroits révulsés.  Pigmentation par les vésicatoires et les sinapismes.
  • Crachats nummulaires.  Masse purulente enveloppée dans une coque, s’étalant comme une pièce de monnaie.
  • Crâne hérédo syphilitique.  Front olympien, crâne natiforme, nez ensellé.
  • Découvrement du cœur.  Surface de contact du cœur avec la paroi thoracique.
  • Délire mussitant.  Délire calme.
  • Dévoiement biliaire.  Occlusion des voies biliaires.
  • Emprosthotonos.  Convexité postérieure du tronc (tétanos).
  • Facies hectique.  Fiévreux…tuberculose.
  • Facies hippocratique.  Présage d’agonie.
  • Maniluve.  Appareil pour faciliter la prise de sang au doigt (voit Littré).
  • Matité meuble.  Matité abdominale de niveau variable selon la position en présence d’ascite.
  • Mélanose arsenicale.  Taches, brune, bronzées ou noirâtres de la peau
  • Opisthotonos.  Convexité antérieure du tronc (tétanos).
  • Paralysie agitante.  Maladie de Parkinson.
  • Phlegmasie.  Phénomène caractéristique de l’inflammation
  • Plessimètre.  Petite plaque d’ivoire utilisée pour la percussion médiate surtout pulmonaire (du grec : frapper et mesurer).
  • Pleurosthotonos.  Convexité latérale (tétanos).
  • Procédé de Volhard.  Le pouls veineux est-il pathologique, dû à une insuffisance tricuspidienne, isochrone avec le pouls carotidien et le choc de pointe ?  On arme deux petits entonnoirs en verre avec un petit tube en caoutchouc, qu’on relie chacun avec un tube en verre recourbé en U.  Les tubes sont remplis à moitié, l’un d’un liquide rouge, l’autre d’un liquide bleu.  L’entonnoir correspondant au tube rouge est posé sur une carotide, l’autre sur la veine jugulaire qui bat du côté opposé.  Si les deux pulsations sont isochrones, donc systoliques, les liquides bleus et rouges subiront également une pulsation isochrone.  Si le pouls veineux est normal le liquide bleu descendra (collapsus systolique) pendant que le rouge montera avec le pouls carotidien.
  • Recto-romanoscopie.  N’est autre que la rectoscopie.
  • Sopor.  Sommeil profond.
  • Status praesens.  Etat actuel.
  • Tempérament apoplectique.  Tronc court, tête dans les épaules, membres courts, aperture thoracique inférieure trop large : propension à l’emphysème, l’arthritisme, l’artériosclérose, lithiase, diabète, goutte…
  • Vésanie.   Psychose ou folie de longue durée.   

 

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