Numéro 25 :

Mont Oriol : les eaux troubles


A Enval, ville d’eau de 500 habitants dans le Puy de Dome, la découverte d’une nouvelle source va attirer la convoitise du banquier William Andermat et du marquis de Ravenel et troubler le train-train de la petite station thermale 1.  Le paisible Docteur Bonnefille est l’inspecteur des eaux.  Le docteur Latonne, son confrère et rival, a un discours, si pas une compétence, plus scientifique.  Sa pratique est construite sur une théorie selon laquelle « toutes les maladies proviennent de ce qu’un organe a pris un développement plus important que ses voisins et détruit ainsi l’équilibre du corps humain. »  On croirait entendre le docteur Knok.  C’est ainsi que Maupassant nous fait assister à une consultation.  Il demande à sa patiente d’enlever robe et corset et de passer un peignoir tout blanc.  Tirant de sa poche un crayon à trois becs, il ausculte et percute la cliente « en criblant le peignoir de petits traits de couleur ».  Après un quart d’heure de ce travail minutieux, le peignoir ressemblait à une « carte de géographie indiquant les continents, les mers, les caps, les royaumes et les villes … Sur chaque ligne de démarcation le docteur écrivait deux à trois mots latins compréhensibles pour lui seul. » Il conclut qu’il n'y avait rien d’inquiétant «sauf une très légère déviation qu’une trentaine de bains acidulés guériront. »

Un vigneron du coin, le père Oriol, décide de faire sauter une roche, un morne, situé au centre de son vignoble et qui en gène l’exploitation ;  après dislocation de la roche par l’explosion, une nouvelle source d’eau chaude jaillit.  Afin de vendre son terrain le plus cher possible, le madré auvergnat imagine une ruse pour faire monter les enchères.  Le père Clovis, un braconnier, simule depuis des années un rhumatisme qui le rend quasi incapable de marcher, afin d’éviter les soupçons des gendarmes, alors que par ailleurs, « il tendait ses collets, béquille sous les bras ».  Gratification à l’appui, Oriol convainc Clovis de se baigner chaque jour dans l’eau de la nouvelle source et de feindre une guérison progressive ;  il lui construit une hutte pour se changer et lui creuse un trou pour s’y baigner.  Le père Clovis déclare après quelques jours qu’il ressent des fourmis dans les jambes, puis il marche avec une seule canne.  Le banquier paiera très cher un terrain très étendu : il recrute des actionnaires « figurants », obtient la reconnaissance du ministère, organise la publicité et invite de grands professeurs à séjourner gratuitement dans la station  « ils nous paieront en malades » dit-il.

Les « Thermes du Mont Oriol » comportent un hôtel, des chalets et un casino de style mauresque.  Les médecins s’activent et étendent les indications des cures à tous les domaines de la pathologie.  Outre les douches et les bains, des méthodes nouvelles sont largement utilisées, tel le lavage d’estomac à l’eau de source par la sonde de Baraduc 2 et la « gymnastique automotrice » : les curistes, que Maupassant appelle les baigneurs, étaient soumis à des mouvements passifs dans des appareils bizarres actionnés par une manivelle.  Ces exercices imitaient les mouvements de différents sports : il y avait notamment « la nage sèche qui n’expose pas aux rhumatismes » !  Pour faire croire que le climat d’Enval était exceptionnel, des bulletins météorologiques améliorés sont envoyés aux journaux parisiens.  La diététique n’est pas négligée et soigneusement adaptée à chaque baigneur ou baigneuse.  L’un des nouveaux médecins attirés par la clientèle riche proclame que l’alimentation peut tout : rendre les gens gais ou tristes, les rendre capables de travaux physiques ou intellectuels, résoudre les problèmes les plus intimes.
Chaque hiver, le rhumatisme du Père Clovis récidive, mais s’améliore à nouveau grâce aux bains et cela, pour une somme de plus en plus importante : le chantage bien mené et sans risque rapporte plus que le braconnage.
Sur cette toile de fond de la station thermale, dans ce huis clos entre curistes désœuvrés, Maupassant raconte une histoire d’amour et d’argent … mais ceci est une autre histoire …

Guy de Maupassant connaissait bien cette région d’Auvergne : il avait « pris les eaux » à trois reprises à Chatelguyon, à quelques kilomètres d’Enval, pour soigner des douleurs dans la tête et l’œil droit et d’étranges symptômes suggestifs d’épilepsie 3.
Bien que fidèle aux cures thermales, Maupassant était sceptique et critique ;  en 1884, il avait écrit dans le Gil Blas : « Dans chacune des stations thermales qui se fondent autour de chaque ruisseau tiède découvert par un paysan, se joue une série de scènes admirables.  C’est d’abord la vente de la terre par le campagnard, la formation d’une société au capital fictif, le miracle de la construction d’un établissement, l’installation du premier médecin … 4
En France, notamment, le thermalisme est en régression et ne survit que parce qu’il est étroitement lié aux remboursements de la sécurité sociale et au développement du tourisme social 5.  L’activité est encore très importante dans l’hexagone : 6 milliards de francs français de chiffre d’affaire, 700.000 curistes, 106 stations qui vont de la simple buvette à l’hôtel de luxe, en passant par le motel thermal, l’hébergement en ferme, le camping et le caravaning, et sont dispersés de Canterets à Vittel et de Vichy à Aix-les-Bains.

La situation difficile actuelle a plusieurs explications, de l’aveu même des promoteurs du tourisme thermal :
- La forte concurrence entre les très nombreuses stations.
- Le succès de la thalassothérapie qui déçoit les espoirs fondés sur une clientèle cherchant une « remise en forme » (fitness) basée sur l’association de l’action « purificatrice » de l’eau à la pratique des sports et même à des soins de beauté.  A Vittel, par exemple, c’est le Club Med qui a changé l’image de la station.
- Une quasi-disparition des curistes étrangers et la forte diminution des touristes « libres » au profit des curistes assurés sociaux.
Mais il faut aussi se rendre compte que le corps médical est de plus en plus sceptique sur les effets de la crénothérapie.  Au début du siècle, on était convaincu que la cure thermale permettait d’espacer, voire du supprimer les médicaments et à l’inverse de leur redonner de l’efficacité et d’en diminuer les effets secondaires.  Ces bénéfices sont encore affirmés aujourd’hui par les stations thermales, mais les médecins sont de moins en moins convaincus, en raison de l’absence de preuves scientifiques et devant les énormes progrès de la thérapeutique médicale.
La multiplication des indications montre bien le souci des stations thermales d’élargir leur clientèle, de ratisser large 6.  Elles diversifient également les voies d’administration de l’eau miraculeuse 7.

L'AMAteur

 

  1. Guy de Maupassant.  Mont Oriol (1887).
  2. Cette technique stupide était couramment pratiquée à Chatelguyon ; dans une lettre à son cousin, Maupassant en parle longuement : « J’avale mon tube tous les jours et je commence à y prendre un certain plaisir » (1886)
  3. « Je l’ai vu plus d’une fois s’arrêter au milieu d’une phrase, les yeux fixés dans le vide, le front plissé, comme s’il écoutait quelque bruit mystérieux.  Cet état ne durait que quelques secondes, mais en reprenant la parole, il parlait d’une voix plus faible et espaçait soigneusement ses mots. »  (François … ????)
  4. Malades et médecins.  Le Gil Blas.  11/V/1884
  5. « Tout français a le droit de bénéficier d’une cure thermale, si son état de santé l’exige. »  Où chercher cette exigence ?
  6. Encore aujourd’hui, les eaux de Chatelguyon sont indiquées dans les maladies de l’appareil digestif, de l’appareil urinaire, en gynécologie, dans les maladies métaboliques, en cas de déficit magnésique et en pédiatrie ( ! )  (Site Web de Chatelguyon, octobre 2001).
  7. Outre les cures de boissons, l’eau est administrée par entérolyse (pudiquement appelée « mise en contact » avec la muqueuse intestinale), par cataplasme abdominal, douches périnéales, irrigations vaginales, compresses, massages sous eau… (Site Webb de Chatelguyon, octobre 2001).


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