Numéro 62 :
Les interviews de l’AMA-UCL
Anne-Marie Deglume
Evasion dans les sables, aux Emirats Arabes Unis
René Krémer. A l’AMA UCL, nous aimons interviewer des médecins dont la carrière est hors du commun, parce que cela peut donner des idées à nos jeunes et leur montrer que le diplôme de docteur en médecine ouvre de nombreuses possibilités, partout dans le monde.
D’où êtes-vous originaire, madame ?
Anne-Marie Deglume. Je suis originaire du Borinage, mais je suis bruxelloise depuis l’âge de 3 ans.
R.K. Vos études de médecine ?
A.M.D. Trois ans aux facultés de Namur, puis Woluwe, diplôme en 1983.
R.K. A quel moment, au cours de vos études, avez-vous choisi une carrière ?
A.M.D. En 3e doctorat, mon premier choix était la gynécologie. Mais comme mon idée englobait l’obstétrique, je me suis rendu compte que, pour une femme, ce n’était guère compatible avec une vie de famille. A posteriori, là où je travaille actuellement, dans un pays musulman, j’aurais probablement eu beaucoup de demandes en raison de mon sexe.
Ensuite j’ai envisagé de passer le concours d’ophtalmologie, une spécialité qui, avec la dermatologie et l’ORL, permet des heures de travail plus régulières. Plus la date du concours approchait, plus ma résolution faiblissait. Le travail de l’ophtalmologiste me paraissait trop limité.
R.K. Surtout si l’on ne fait pas la chirurgie.
A.M.D. Finalement, je me suis décidée pour la médecine générale, qui offrait plus de choix.
R.K. Et plus de contact avec le patient, ses problèmes et son environnement.
A.M.D. Je n’ai pas fait les quatre mois de médecine générale prévus à l’époque, puisque j’avais choisi initialement une spécialité. Après mon diplôme, j’ai fait les deux années nécessaires et obtenu l’agréation en médecine générale.
De 1983 à 1985, j’ai travaillé pour SOS Médecins, à Bruxelles, un service de garde permanent assuré au domicile du patient par des généralistes, 24h/24. Ce service existe toujours. Le Docteur Didier du Boullay qui l’a fondé et le gère toujours, est également très actif dans la gestion du service de médecine générale associé aux Urgences de St Luc.
J’avais fait la médecine scolaire en 4ème doctorat et j’ai travaillé à l’école de santé publique au service de médecine scolaire pendant les sept ans passés en Belgique après mes études. En 1985, j’ai arrêté mon travail à SOS Médecins, parce que, pour pouvoir être agréé en médecine générale, il fallait avoir un cabinet. J’ai donc ouvert un cabinet de médecine générale à Ixelles. Plus tard, SOS Médecins a été reconnu comme équivalent à un poste médical. Mais j’étais déjà installée dans mon propre cabinet à l’époque. Comme le démarrage est assez lent en médecine générale, je continuais à consulter en médecine scolaire et je travaillais pour un journal médical, L’Actualité médicale belge : j’organisais tous les quinze jours une conférence de deux heures sur un thème intéressant le généraliste, avec des spécialistes plus ou moins compétents dans le domaine choisi. A partir de l’enregistrement de cette conférence, je rédigeais un article qui était l’élément central du journal. Nous étions peu sponsorisés.
En 1987, j’ai rencontré mon mari, Piet Bekaert, qui est anesthésiste. Son père avait travaillé 33 ans au Congo comme généraliste puis comme radiologue. A l’époque où je l’ai rencontré, il faisait des missions à l’étranger pour Médecins sans Frontières. Il a ensuite travaillé à Bruxelles, à Saint Jean puis aux Deux Alice, mais je sentais bien qu’il avait envie de bouger. En 1990 nous avons décidé de partir à l’étranger ensemble. Mon mari avait été recruté par la coopération belge, pour un contrat de 2 ans à l’hôpital général de Yaoundé. Le contrat de coopération de mon mari était lié au lancement de cet hôpital, financé par la Belgique.
Comme il n’est pas possible d’avoir des contrats coopérants mari et femme, j’ai trouvé un poste dans le service catholique de la santé qui assure la coordination de tous les centres de santé primaire au Cameroun. Ce contrat m’a assuré la reconnaissance comme volontaire par la coopération belge
R.K. Vous n’aviez pas de formation en médecine tropicale ?
A.M.D. Non. J’ai appris sur le terrain. Parallèlement, j’ai lancé un petit dispensaire pour enfants de la rue. J’allais également visiter des enfants délinquants à la prison centrale. Notre famille s’est agrandie puisque notre fille, Sophie, est née en 1991. Après ces deux années, la coopération voulait nous envoyer à Kigali : aller là-bas avec un bébé, dans un pays où le taux de séropositifs était très élevé et travailler comme anesthésiste, alors qu’il n’y avait pas toujours de gants disponibles, nous a semblé un risque inacceptable. La situation politique n’y était pas très stable, ce qui augmentait les risques. Nous avons donc décidé de nous tourner vers d’autres employeurs potentiels. Dès qu’on s’expatrie, des chasseurs de tête vous contactent ; c’est ainsi qu’un recruteur nous a proposé à chacun un poste en Arabie Saoudite. Nous avions entendu parler des Emirats Arabes Unis, mais à cette époque nous ne connaissions pas bien la différence entre les Emirats et l’Arabie. D’emblée nous sommes partis pour 15 mois en Arabie, dans un hôpital militaire à Ta’if.
R.K. J’ai vu sur le net que c’était un endroit assez agréable, à 1300 mètres d’altitude. Les conditions de vie pour une femme ne devaient pas être faciles, si j’en crois ce qu’on dit de l’Arabie saoudite
A.M.D. En effet, le choc culturel était très important. En rue, je devais porter des vêtements larges au-dessous du genou et une abaya, sorte de manteau noir passé par-dessus les vêtements civils. A l’hôpital, un tablier blanc était suffisant. Le but est de ne pas laisser deviner les formes. J’ai toujours eu des cheveux courts et à cette condition, le voile n’était pas exigé pour les occidentales. Comme nous habitions sur le compound de l’hôpital, la pression était constante.
R.K. J’ai vu qu’il y a eu récemment un défilé de mode consacré à l’abaya à l’hôtel Georges V à Paris. Le recrutement des mannequins est probablement moins exigeant sur les mensurations ! La conduite de voiture ?
A.M.D. Non et c’est toujours interdit actuellement. Je ne pouvais m’assoir à côté de personne d’autre que mon mari. Le choc culturel est difficile au début.
R.K. La langue était l’anglais ?
A.M.D. Oui, la langue de communication au niveau des dossiers médicaux est l’anglais. Toutefois, la majorité de mes patients ne le parlaient pas, mais nous disposions d’interprètes arabes, souvent des infirmières égyptiennes. Nous traitions les militaires et leur famille, femmes, hommes et enfants.
R.K. Ce travail était assimilé à la coopération ?
A.M.D. Non, c’était un contrat privé. Mon fils Matthieu est né là bas en 1993. C’est un gynécologue belge qui m’accouchée. Il n’y avait aucun risque que mon bébé soit confondu avec un autre à la maternité : c’était le seul blond aux yeux bleus. Notre séjour s’est situé entre les deux guerres du Golfe. Nous avons quitté dès que nous avons pu trouver une possibilité de contrat dans les Emirats, beaucoup plus libres et faciles à vivre pour des occidentaux.
R.K. Chaque émirat est-il indépendant des autres ?
A.M.D. Les Emirats Arabes Unis sont constitués de 7 émirats fédérés, dont la capitale est Abū-Dhabī, qui est à la fois le nom de la ville et de l’émirat. C’est l’émirat le plus riche en raison des réserves de pétrole. Dubaï est le 2e émirat le plus connu. Sa richesse repose surtout sur le commerce, le tourisme et l’exploitation de gaz.
En quittant l’Arabie, je n’avais pas de contrat : mon mari était engagé par l’hôpital Tawam, qui est l’hôpital universitaire des émirats, situé à Al Ain, ville située à égale distance (150 km) de Dubaï et Abū-Dhabī, à la frontière avec le Sultanat d’Oman. Mon mari est allé directement de Ta’if à Al Ain, tandis que j’ai passé quelques semaines en Belgique. J’ai débarqué à Al Ain avec les enfants, en plein mois d’aout 1994, dans cette ville du désert où la température atteint parfois les 50°.
R.K. J’ai eu l’occasion d’aller plusieurs fois à Beyrouth en été : les hôtels sont remplis de riches saoudiens et d’habitants des émirats qui viennent s’y rafraichir. Fraicheur relative d’ailleurs, sauf en montagne.
A.M.D. Tout à fait. L’hôpital d’Al Ain avait un service de médecine générale, avec environ 25 médecins. J’avais manifesté mon désir de travailler. Ils m’ont pris à l’essai pour une période de trois mois, puis m’ont proposé un contrat permanent. La raison pour laquelle je ne pouvais pas être engagée d’emblée était que je devais avoir le membership du Royal College anglais (MRCGP). Je leur ai expliqué que le système belge était différent et ils ont accepté de m’engager, probablement parce que j’avais donné satisfaction pendant ma période d’essai.
R.K. En tant qu’anesthésiste, votre mari n’a-t-il pas été déçu du niveau de la chirurgie ?
A.M.D. Pas du tout. Je crois que c’est le meilleur hôpital des émirats. C’est là que sont formés tous les étudiants en médecine : c’est notamment le centre de référence pour la neurochirurgie et l’oncologie.
R.K. La scolarité des enfants ?
A.M.D. Ils étaient à l’école anglaise. Nous voulions qu’ils soient multilingues, mais souhaitions qu’ils conservent la connaissance du français. La facilité aurait été de les mettre dans une école libanaise où l’enseignement était mixte, français et anglais, mais la pédagogie de cette école ne me plaisait guère : il fallait étudier par cœur, ne pas poser de questions, il n’y avait pas de formation à la réflexion et à la piscine, garçons et filles, même tout petits, étaient séparés. Au bout de 4 ans, nous avons eu une offre pour aller travailler dans un hôpital au sultanat de Brunei près de l’Indonésie. Nous avions passé une interview et nous étions sélectionnés tous les deux, mon mari comme chef du département d’anesthésie et moi en médecine générale. Quelques jours avant de partir, nous avons appris que l’hôpital était en mauvaise posture et allait être repris par le ministère de la santé. A Al Ain, on nous a repris aussitôt. Mais il était difficile de rester dans un endroit qu’on avait décidé de quitter.
R.K. C’est compréhensible.
A.M.D. C’est alors que j’ai décidé de me spécialiser en médecine aéronautique en Angleterre.
R.K. Comme cela !
A.M.D. Certains collègues avaient fait circuler l’information dans une brochure et c’est un domaine qui m’avait toujours intéressé.
R.K. Cette formation concernait l’espace ?
A.M.D. Entre-autre : l’espace et à la fois l’aviation en général, tant civile que militaire. Contrairement à Marianne Merchez, je ne pensais pas à l’espace mais plutôt à l’aviation civile, comme je n’avais pas de contrat militaire. Je savais par ailleurs que la compagnie aérienne de Dubaï - Emirates - commençait à s’étendre et qu’il y aurait des postes à pourvoir. J’ai fait la première partie de cette formation très stimulante à Farnborough, en Angleterre.
R.K. Quel était le programme ?
A.M.D. Principalement les changements physiologiques liés à l’altitude et ses répercussions sur l’organisme en général. Ce qui englobe la cardiologie, les pathologies respiratoires et digestives, la neurologie, les radiations, mais également l’évaluation du risque d’une incapacité soit brutale soit subtile chez les pilotes. Des formules nous permettent de calculer le risque lié à une pathologie particulière et nous aident à déterminer si ce risque est acceptable. Le risque zéro n’existe pas, tant pour l’homme que pour l’avion. La présence d’un copilote permet de réduire considérablement le risque en aviation civile : en effet, il apparait que si le commandant de bord souffre d’une incapacité brutale telle qu’une perte de conscience, le copilote s’en rend compte dans 99% des cas et prend le contrôle de l’avion.
Par ailleurs, au cours d’un vol moyen d’une heure, il n’y a environ que 5 minutes dangereuses, à l’atterrissage et au décollage. Les critères médicaux sont plus stricts dans l’aviation militaire, bien qu’ils n’aient pas des centaines de passagers derrière eux et que le pilote puisse s’éjecter.
R.K. Dans la sélection des pilotes, il y a sans doute aussi l’aspect psychologique ou mental.
A.M.D. En effet, les pilotes sont soumis à des examens psychométriques avant l’engagement, mais la pathologie psychiatrique est également détectée aux cours des examens médicaux qu’ils subissent tous les ans. Il y a plusieurs types de formation en médecine aéronautique en allant du certificat qui se fait en plusieurs périodes de deux semaines : c’est ce que j’ai fait. Mais il y aussi un diplôme d’un an et un master de trois ans. En fait, cette formation fait partie de la médecine du travail.
R.K. On est habituellement engagé par les compagnies aériennes.
A.M.D. Oui ou par les autorités d’aviation civile nationales qui s’occupent d’établir les règles à suivre. La Belgique adhère aux JAA (Joint Aviation Authority) comme la plupart des pays européens. Etant désignée par le Royaume-Uni comme un médecin examinateur, je peux par exemple émettre un certificat d’aptitude pour un pilote belge travaillant à Dubaï. Si l’on détecte une pathologie qui pourrait conduire à une incapacité ou est incompatible, du fait de la maladie ou des médicaments utilisés pour son traitement, on met ces pilotes « au sol » et on procède aux investigations. Si le problème est complexe, l’aviation civile désigne un medical board de plusieurs médecins spécialisés en médecine aéronautique, dont le médecin examinateur du patient. Le président est indépendant et base sa décision sur une recherche exhaustive en accord avec le médecin en charge du pilote. A Dubaï, les stewards et hôtesses de l’air sont soumis à des règles identiques, bien que moins strictes étant donné que leur rôle est très différent. Mais ils peuvent, eux aussi, souffrir de pathologies qui les rendraient incapables de gérer une urgence comme l’évacuation de l’appareil.
Suite à ma formation, j’ai postulé à la compagnie d’aviation Emirates à Dubaï. J’ai été sélectionnée en 1999 : j’ai donc déménagé avec les enfants à Dubaï, mon mari restant à Al Ain, à 150km de Dubaï, pendant deux ans. Il faisait la navette tous les jours, sauf lorsqu’il était de garde, et cela nous permettait de passer de temps en temps le weekend au calme a Al Ain ou d’explorer le désert, ce qui reste un de nos loisirs préférés.

R.K. Votre nouveau poste vous permettait de mieux organiser votre travail.
A.M.D. C’est un travail plein temps, mais régulier. Il y a des gardes, mais à domicile : on peut être appelé d’urgence pour régler des problèmes administratifs pour des transferts de passagers ayant une condition médicale sur les lignes de la compagnie.
R.K. Les enfants ont changé d’école.
A.M.D. Ils ont été dans une école internationale qui prépare au baccalauréat international. Le diplôme leur permettra de revenir en Belgique. Ils sont d’ailleurs toujours dans la même école. Après deux ans, mon mari nous a rejoints à Dubaï, pour travailler dans un hôpital qui n’était pas de bon niveau. En outre, il était un peu mis sur le côté parce qu’il était européen. Les réunions se passaient en arabe alors que l’anglais était la langue de communication.
A Aboū Dhabī, il a été recruté dans une équipe qui s’occupait du président, le Cheikh Zayed bin Sultan Al Nahyan, qui avait fondé le pays, un homme extraordinaire. Piet accompagnait le président dans tous ses déplacements et a occupé ce poste jusqu’à sa mort. Personne ne connaissait son âge exact, car quand il était né, il n’y avait pas encore de registre de naissance.
R.K. J’ai vu, sur le net, qu’on le qualifiait de visionnaire et d’ambitieux et qu’une très belle mosquée portait son nom.
A.M.D. On a proposé à mon mari de poursuivre son travail avec le nouveau président. Mais il a décliné l’offre parce que, ce qui l’avait intéressé, c’était surtout la personnalité du président.
On a créé à Dubaï une zone franche réservée à la médecine dans le but d’attirer des institutions médicales de prestige comme la Mayo Clinic de manière à faire évoluer le niveau des soins de santé délivrés à Dubaï. Avant, les locaux avaient tendance à se faire soigner aux frais du gouvernement, en Europe ou aux Etats-Unis. Ils emmenaient toute leur famille, tous frais payés : cela s’est révélé assez couteux.
Dans cette zone franche, la propriété du lieu a été vendue à des polycliniques ou à des hôpitaux. Mon mari et deux autres médecins belges, dont Carole Lecart, ont acheté un espace dans cette zone. Mon mari y a un bureau, mais travaille en tant qu’anesthésiste à Moorfields, une branche du plus gros hôpital ophtalmologique de Londres. Un hôpital universitaire est en construction et un autre vient d’ouvrir, dirigés par une firme sud-africaine.
R.K. C’est de la médecine privée.
A.M.D. En effet. Les patients sont généralement couverts par des assurances. Il y a différents types de contrat. Dans la clinique où mon mari a son bureau, chaque médecin a ses honoraires.
R.K. Il y a des équivalents en Belgique. Par exemple à la clinique Notre-Dame à Charleroi, dans les années 50-60, les médecins pouvaient acheter des lits. Y a-t-il une sécurité sociale à Dubaï ?
A.M.D. Non. Il y a des assurances que, souvent, les employeurs prennent en charge. Certains actes ne sont pas couverts : par exemple la chirurgie esthétique, la dentisterie. Nous bénéficions d’une assurance liée à mon contrat avec Emirates.
R.K. Vous pouvez vous faire soigner où vous voulez ?
A.M.D. Dans notre cas particulier, les soins (et la majorité des médicaments) sont gratuits et nous consultons le service médical dont je suis la vice-présidente. Toutefois, s’il est nécessaire de consulter un spécialiste ou de se faire opérer, nous référons dans les structures privées avec lesquelles la compagnie a signé un contrat. Les conditions peuvent être différentes en fonction de l’employeur ou du travail de l’employé. Certaines professions n’ont accès qu’à la carte de santé qui leur permet de consulter dans les hôpitaux publics.
R.K. Vous avez un conseil médical ?
A.M.D. Au niveau du département médical d’Emirates, nous avons un senior vice-président, qui est un administrateur pur. Il est épaulé par deux vice-présidentes, moi-même pour la médecine générale et ma collègue pour la médecine aéronautique. Nous gérons le personnel composé d’environ 140 personnes (24 médecins, le même nombre d’infirmières, des dentistes, pharmaciens, laborantins et personnel administratif). Le Département de la Santé de Dubaï a récemment introduit l’obligation de se soumettre à une accréditation internationale, de manière à prouver un niveau élevé de qualité. Il s’agit tant de protocoles médicaux que de déontologie, sécurité sur le lieu du travail, respect de la diversité culturelle du patient, etc. Il y a une cinquantaine de critères qui passent en revue tant la qualité des soins que le support administratif et le management. Nous venons d’être accrédités par le ACHS (Australian Council on Health Care Standards) que nous avions choisi plutôt que le système canadien ou américain (JCI) à cause de leur flexibilité permettant d’intégrer la médecine aéronautique. Ce processus est dynamique et motive à toujours fournir le meilleur service possible. Il est revu chaque année, soit en interne, soit par des assesseurs extérieurs.
R.K. Cela peut être intéressant pour des jeunes qui seraient tentés par ce genre de carrière : y a-t-il une retraite en fin de parcours ?
A.M.D. Non, nous ne bénéficions pas d’une retraite en tant que tel. Au-delà du salaire mensuel et des bénéfices associés (logement, tickets d’avion, couverture médicale et participation dans les frais de scolarité), on reçoit un capital soit à la mise à la retraite (65 ans), soit quand on quitte la compagnie plus tôt. A nouveau, tout cela dépend de l’employeur et nous sommes plutôt gâtés chez Emirates Airline.
R.K. L’équivalent d’une assurance groupe en Belgique ?
A.M.D. Oui. Cette somme, proportionnelle au nombre d’années de travail, est constituée par une retenue sur mon traitement et une participation de l’employeur.
R.K. Quel est l’avenir de vos enfants ?
A.M.D. Nos enfants, 15 et 17 ans, ayant père et mère médecins, ont décidé d’emblée de ne pas faire la médecine, « pour ne pas travailler comme des fous ». Ils sont toujours à l’école internationale. Ils auront donc en fin de cycle le baccalauréat international qui leur permettra de continuer leurs études en Belgique.
R.K. Après leur parcours, quelles sont leurs idées et leurs projets ?
A.M.D. Ils n’ont jamais vécu en Belgique. Ils se sentent belges, parce que nous sommes fiers de notre identité et l’avons entretenue chez eux. Mais pour eux cela ne signifie pas grand chose. Nous avons plus ou moins imposé à notre fille de rentrer en Belgique dans un an et essayons de l’orienter dans son choix futur. Nous revenons tous les étés une quinzaine de jours en Belgique, mais les enfants y passent souvent plus de temps pour se créer des racines.
R.K. Au point de vue culturel ?
A.M.D. Leur culture est forcément plus anglo-saxonne. Ils connaissent mieux Shakespeare que Molière.
R.K. Shakespeare est plus universel.
A.M.D. Nous avons continué à leur faire donner des cours de français qui n’est que la troisième langue à l’école, après l’anglais et l’arabe. Ils ont d’abord suivi les cours du CNED français avant de se tourner vers l’enseignement par correspondance dispensé gracieusement par la communauté française de Belgique. Ils sont parfaitement bilingues français-anglais mais devront se mettre au néerlandais. Ce sont, avant tout, des citoyens du monde avec une vision du monde très ouverte. Dans leur école il y a une septantaine de nationalités. Ma fille craint un peu de revenir en Belgique, qui lui semble moins exotique que ce qu’elle a connu jusqu'à présent. Elle me dit qu’elle ne verra que des belges, qui vont parler « belge », qui vont manger belge, lire belge ! A ses amies néerlandophones de Belgique, elle parle anglais : on lui pardonne parce que c’est une expatriée.
R.K. Il faut la rassurer et lui dire qu’à Louvain-la-Neuve, elle ne devra pas parler wallon. La Belgique est également multiculturelle et Bruxelles particulièrement. Puisqu’on est sur le plan du langage : parlez-vous arabe ?
A.M.D. Quelques mots. Depuis que je suis à Dubaï j’ai un peu oublié parce que, contrairement à Al Ain, l’anglais est connu de tous.
R.K. Et votre avenir à vous ?
A.M.D. C’est la grande question. On a l’intention de rentrer en Europe quand les enfants auront terminé leurs humanités. Il y a dix ans, on pensait aller dans un endroit mythique comme Bali ou l’Australie, mais actuellement ce sera certainement l’Europe, la France ou la Belgique. Nous devrons faire les comptes pour savoir si nous devrons encore travailler. Je suis actuellement vice-présidente du département médical de la compagnie aérienne. Il y a peu de postes en médecine aéronautique mais je pourrais refaire de la médecine générale.
R.K. On manque de généralistes en Belgique ! Puis-je vous poser une question un peu saugrenue. Y a-t-il encore des pêcheurs de perles dans les émirats ?
A.M.D. Il n’y a plus de pêcheurs de perle depuis de nombreuses années. La perle de culture, mais surtout la découverte du pétrole, ont signé la fin de cette activité et propulsé le pays vers le progrès. La crise économique actuelle est ressentie durement dans un pays qui n’avait jusque là connu qu’une courbe ascendante. Pour nous, elle est plutôt favorable parce qu’elle a contribué à dégager les routes et à rendre un peu d’humanité à une ville en plein boom.
R.K. Et des bédouins nomades ?
A.M.D. Il n'y a plus vraiment de bédouins nomades aux Emirats ; il y a eu un effort du gouvernement pour les sédentariser, en construisant des logements qui leur sont offerts.
Toutefois, les locaux ont souvent encore une petite ferme dans le désert, exploitée par des Pakistanais en général, mais qu'ils visitent dès qu'ils en ont l'occasion. Ils gardent aussi un sens inné du désert, qui se manifeste notamment dans leur art de conduire dans les sables. Ils mettent un point d'honneur à aider les expatriés ensablés et arrivent toujours à nous sortir des situations les plus désespérées sans effort apparent !
R.K. Merci, Madame, de nous avoir relaté votre parcours et celui de votre mari, très particulier, à la limite de l’aventure, mais que beaucoup de médecins vous envieraient.