Numéro 56 :

Les interviews de l’AMA-UCL

Claude Lichtert, aumônier des étudiants à Woluwe

 

R.K.  Monsieur l’abbé, vous avez, en quelque sorte, repris la fonction du Père le Maire (interview AMA Contacts  n° 24).

C.L.  J’hérite de sa fonction et je me situe dans son héritage.  Mais cet héritage s’est adapté au contexte ; par ailleurs, il y a eu une certaine rupture car je ne lui ai pas succédé immédiatement.  Le Père le Maire a quitté ses fonctions pour raison de santé en juillet 2002 et je suis arrivé fin 2003 ; son activité était une initiative personnelle : les évêques n’étaient pas nécessairement partant pour la prolonger.  La fonction n’est d’ailleurs toujours pas clairement définie : elle s’invente en quelque sorte à l’usage avec les étudiants et avec les professionnels du site universitaire.

R.K.  Dans vos fonctions, vous avez également des relations avec les malades ?

C.L.  Oui, comme aumônier des Cliniques Saint-Luc, dans une équipe composée de huit collègues, laïcs et prêtres.  Cette activité me donne l’opportunité de rencontrer les étudiants en stage.  Ceux-ci ont ainsi l’occasion de me voir sur le lieu de leur activité professionnelle, avec, comme eux, par exemple, l’obligation des gardes : cela crédibilise ma fonction sur le site.

R.K.  Lors de son interview, le Père le Maire se plaignait de perdre le contact avec les étudiants et d’avoir, dans bien des domaines, une concurrence des psychiatres et des psychologues ; il répétait qu’il passait parfois des semaines sans qu’un étudiant vienne lui demander conseil.

C.L.  Je peux comprendre cela à l’époque ; actuellement cela se fait dans une bonne collaboration, par exemple avec le « Service d’aide aux étudiants » : nous n’hésitons pas à nous renvoyer des problématiques qui ne sont pas de notre compétence propre.  Ces échanges fonctionnent dans les deux sens.

R.K.  Aide mentale et sociale ?

C.L.  Bien entendu.  En période d’examens, c’est extraordinaire ce qui peut se passer du côté des étudiants, notamment des comportements excessifs.  En collaboration étroite avec les assistants sociaux et les psychologues, nous nous efforçons de rester vigilants et de prévenir le « basculement » de certains étudiants.  C’est sans doute une de mes fonctions.

R.K.  Le manque de sommeil devrait jouer un rôle dans ces dérives ?

C.L.  J’ai envoyé récemment un avertissement par mail collectif : « Qui ne se repose pas fatigue les autres ».  C’est un mot qu’une personne a un jour glissé sous ma porte et qui peut s’appliquer à beaucoup de personnes dans le milieu universitaire, notamment les étudiants en fin de parcours et qui vont commencer l’assistanat.  Ils ont un rythme de vie terrifiant.  Je leur dis qu’un autre rythme est toujours possible.  Avec moi, ils ont affaire à une personne qui ne les réduit pas au genre de vie dans lequel on les entraine.  En fait, je m’efforce de ne jamais ramener l’autre à ce qu’on lui demande d’être et de lui donner la possibilité d’être différent.  J’agis de même lorsque je vais voir une personne malade en chambre : ne pas la ramener à ce que la maladie fait d’elle.  C’est crucial dans les relations humaines, parce que nos fonctions peuvent nous réduire.

R.K.  Certes, le malade n’est pas responsable de son évolution, ni de l’évolution de son problème.  Je leur dis souvent : il ne faut pas vivre pour sa maladie, ni comme si elle n’existait pas, mais lui faire les concessions nécessaires.  Mais pour l’étudiant, la réussite dépends d’abord de lui : ne pas attendre les beaux jours pour se mettre à étudier, organiser son travail, garder une place à la détente, au sport et au sommeil, etc.

C.L.  Je pense tout particulièrement aux stagiaires et assistants : leur rythme de vie, le temps de repos, les prestations, surtout en fin de parcours.  Ce surmenage est visible sur leur visage et celui-ci peut me faire presque deviner leur année de formation.

R.K.  J’imagine que, contrairement aux étudiants des autres Facultés, les médecins se dopent moins par des vitamines ou des amphétamines.

C.L.  Je suis très surpris de la manière dont les jeunes médecins considèrent leur propre corps, avec beaucoup de déni.  Le médecin touche des problématiques vitales : le corps, la souffrance, la mort, le rapport aux autres.  Tout cela se construit au fur et à mesure des études.  Je vous assure que c’est passionnant à accompagner.  C’est pour cela que j’ai beaucoup de chance de travailler en Faculté de médecine et non dans d’autres Facultés qui suscitent peut-être moins d’enjeux vitaux au cours des études proposées.

R.K.  Cette initiation aux problématiques que vous citez va se poursuivre pendant toute la vie du médecin.

C.L.  Oui, d’ailleurs j’en ai déjà un avant-goût en habitant dans le quartier du Campanile, au milieu de logements d’étudiants : cela me permet d’être en contact avec eux dans leur vie de tous les jours.  Et d’être abordé par eux à tout moment.

R.K.  Dans l’interview du Père le Maire, il me disait qu’il était consulté de plus en plus  rarement par les étudiants et qu’il y avait des semaines où aucun ne venait le voir.

C.L.  Un étudiant n’est pas une personne avec laquelle on prend rendez-vous.  Il n’a pas d’agenda et même s’il en a un, il l’oubliera. Il attend davantage que je vienne à lui, que je le rencontre là où la vie le mène à être.

R.K.  C’est le « hic and nunc ».  C’est pour cela, qu’à l’occasion de la promotion, l’Association des Anciens offre des agendas électroniques à deux étudiants élus par leurs camarades : ils vont en avoir besoin.

C.L.  A propos du Père le Maire, j’apprécie lorsque les anciens évoquent leur contact avec lui.  C’est un contact très tendre, très construit, très large d’idées.  Les anciens me confirment dans l’idée que cela se construit au fil des ans.  Les médecins ont besoin d’être en confiance, si l’on veut les contacter au-delà de la carapace qu’ils peuvent se  construire.  En fait, ils ne se livrent pas facilement : ne sont-ils pas d’ailleurs de grands timides ? Tout cela demande du temps et de la persévérance.

R.K.  Le Père le Maire, lors d’une petite allocution à l’occasion d’un anniversaire de promotion, avait reproché à certains d’entre nous d’attacher trop d’importance à l’argent.  Cela avait été assez mal ressenti.

C.L.  Ce n’est pas trop mon tempérament, d’autant plus que les problématiques actuelles sont d’une complexité affolante.  En côtoyant  les membres de la Faculté de médecine ou ceux du conseil rectoral, je me rends compte que nous sommes dans une situation tellement compliquée. J’ai l’impression que la parole stratégique l’emporte sur toute parole de conviction, comme certains ont pu entendre cette parole du Père le Maire.  L’enjeu pour moi est de trouver les lieux et les personnes avec lesquels je puis avoir une parole de conviction, d’aller au cœur des convictions de chacun, sans toujours réfléchir à l’incidence que ma parole pourrait avoir.  Ma fonction m’aide à ne pas trop miser sur la stratégie.  Mes différents responsables m’accordent suffisamment de liberté, mais je dois faire attention au lieu dans lequel j’exprime mes convictions, notamment dans un lieu institutionnalisé.  Je risquerais de pécher par excès de naïveté.

R.K.  Avez-vous l’occasion de suivre les médecins, une fois qu’ils sont diplômés ?

C.L.  Oui, ceux qui sont à Saint-Luc, ceux qui se marient.

R.K.  Marier les étudiants était une des activités favorites du Père le Maire.

C.L.  Les temps ont changé, vu la sécularisation croissante. Personnellement, je parviens encore à gérer les demandes qui ne sont pas nombreuses. Heureusement, sinon cela m’amènerait à des déplacements parfois lointains.  De plus, le fait qu’ils se marient souvent entre eux peut représenter ici un avantage.

R.K.  Dans ces cas-la, vous faites d’une pierre deux coups.  Voyez-vous parfois les parents des étudiants ?

C.L.  En pleurs bien souvent.  Quand un parent me contacte, c’est parce que, sans repère, il est affolé par la situation des études de son enfant et c’est toujours en mai ou juin.  En dehors de cette période-là, je n’ai aucun contact avec des parents si ce n’est par hasard.  C’est le plus souvent la « maman poule » qui ne s’en sort plus dans sa capacité d’être présente auprès de son enfant.  Ce qui me touche le plus ce sont les étudiants qui font tout pour mener à bien leur session d’examens tout en vivant des drames personnels pendant la session, que ce soit la séparation des parents ou le décès d’un proche…  Je me sens touché aux tripes lorsque j’accompagne ce genre de problèmes, dont on ne se rend pas compte.  Leur souffrance est aussi importante, mais ils l’extériorisent difficilement.  Ce qui est caractéristique du monde médical, c’est la pudeur.  Les médecins n’osent pas montrer une forme de fragilité et quand ils la montrent, ils sont admirables.  Et sont admirés de leurs étudiants.  Je demande souvent aux étudiants quels sont les professeurs qu’ils apprécient le plus : c’est toujours ceux  qui avouent une forme de fragilité.  Ce ne sont jamais ceux qui s’enferment dans l’esbroufe ou dans la séduction.

R.K.  Cette tendance à la séduction, à la certitude de soi et au désir de convaincre est peut-être un héritage du passé, de l’époque des grands patrons, qui étaient soucieux de ne pas perdre la face.  Les photos de ces mandarins sont caractéristiques : ils sont assis, en toge, avec leurs décorations, fumant parfois le cigare, entourés de leurs élèves, debout dans une attitude soumise. Leurs élèves leur offraient souvent leur buste en plâtre, en marbre ou en bronze, en témoignage de reconnaissance.

C.L.  On touche ici à un sujet fort délicat qui croise une double nécessité : celle d’être autant fort que fragile. J’ai en effet l’impression que l’étudiant d’aujourd’hui est à la recherche d’un équilibre entre une forme de maîtrise et une forme de démaîtrise : quand puis-je être suffisamment sûr de moi et maîtriser la situation ?  Quand dois-je lâcher prise et reconnaître une forme de fragilité même devant le patient et sa famille ?  Ceux qui apprennent à vivre de cet équilibre sont admirables.

R.K.  La pratique leur apprendra que le malade et sa famille vous seront le plus souvent reconnaissants d’avouer vos doutes, la limite de vos connaissances et de demander un avis ou un conseil ou passer le relais.

C.L.  Oui, c’est crucial. La relation médecin-malade est parfois difficile.  J’accompagne entre autres les Italiens en traitement à Saint-Luc.  J’ai vu une épouse reconnaissante embrasser l’assistant en le serrant dans ses bras.  L’assistant ne savait quelle attitude prendre : il est demeuré droit comme un piquet.  Je me suis dit : il aurait pu s’accorder la liberté de répondre à ce geste affectueux. Mais il n’est pas question ici de juger ce type de comportement.

R.K.  Ce sont des rapports difficiles : il faut être convivial, familier, mais pas trop, manifester de la compassion mais pas trop, de l’émotion un peu, percevoir le caractère de la personne, tenir compte de son niveau social, de son origine.  Je me suis un jour trouvé dans la situation de cet assistant lorsqu’une dame turque m’a remercié en me répandant du parfum sur la main.
J’étais tout aussi surpris et je suis resté droit comme un piquet, avant de me ressaisir et de lui donner la main, en souriant et en la remerciant. On a écrit des livres sur la relation médecin-malade.
Vous vous consacrez également au Centre œcuménique.  L’œcuménisme, est-ce une ouverture à toutes les religions et philosophies, ou à toutes les religions, ou uniquement aux religions chrétiennes ?


C.L.  C’est complexe.  Le Centre œcuménique, c’est d’abord le nom d’un bâtiment créé sur le site de Woluwe au tout début des années ’70 par Lucien Kroll. Il semble que le nom ait été voulu par le Père le Maire.  Au rez-de-chaussée se situe la chapelle qui est un lieu au départ très polyvalent, avec une séparation assez nette entre une partie chapelle et une partie plus œcuménique.  Elle traduit le but des catholiques, très majoritaires à l’époque, de souhaiter l’ouverture tout en sachant qu’ils seraient toujours maîtres chez eux.  Accueillir l’autre quand on représente 90 % de la population, cela peut paraître une attitude très condescendante, voire paternaliste.  Ce projet de départ n’a jamais été vraiment concrétisé.  Ce lieu s’est progressivement catholicisé, peut-être par manque d’imagination, de collaborateurs, et est devenu une chapelle très sous-utilisée.  Un de mes prédécesseurs a demandé à l’évêque de Bruxelles, Mgr Laneau, d’en faire un lieu exclusivement catholique, ce qu’il a accepté.  Les « Midis en musique » qui y étaient présents se sont délocalisés dans les auditoires.  Il n’y a dès lors plus eu d’activités culturelles au Centre œcuménique. Heureusement, les « Midis en musique » sont de retour depuis quelques années, profitant à nouveau de la proximité que permet le lieu.

R.K.  On restait à l’époque entre catholiques ?

C.L.  Il y a eu quelques initiatives avec un groupe d’étudiants protestants, qui existe toujours sous le nom de « Groupe biblique universitaire ».  Un local de prière musulman se trouve au sous-sol du Centre, mais il n’y a pas vraiment d’espace ou de lieu de rencontre.

Depuis quelques années, grâce au vice-recteur aux affaires étudiantes, Xavier Renders, deux rencontres par an sont consacrées à des questions inter-spirituelles, à la chapelle.  L’on y invite des personnes, principalement soignantes, de confessions différentes, autour d’un sujet bien précis. Cette activité est prise en main, avec grande compétence, par un kot à projet, le kot mémé, avec l’aide des aumôniers pour organiser la soirée.  Ce n’est donc pas vraiment une rencontre œcuménique, mais interspirituelle.  Par ailleurs, la création il y a douze ans du carrefour spirituel au rez-de-chaussée des Cliniques Saint-Luc, à l’initiative de mon collègue Guibert Terlinden, a créé une nouvelle impulsion à ce pôle œcuménique et là cela fonctionne mieux, parce que c’est le patient qui est au centre de nos préoccupations et non des débats dogmatiques ou autres.  Si l’on concentre son attention sur la fragilité, les différentes confessions peuvent s’y retrouver.  Sur des principes, on risque des escarmouches.

Sur le site, il y a très peu d’étudiants protestants, orthodoxes ou juifs, par contre les musulmans sont nombreux.  La dimension spécifiquement laïque est plus difficilement cernable.  Il faut noter que les étudiants sont très curieux de savoir ce que leurs compagnons d’une autre confession pensent et sont plus férus d’exotisme spirituel que d’approfondir leurs propres convictions religieuses.  Etant théologien et bibliste de formation, je donne le cours de « Lecture biblique », l’un des trois cours de sciences religieuses à la Faculté de médecine, et je remarque que les étudiants sont, par exemple, curieux d’approfondir l’impact que les questions religieuses peuvent avoir sur l’actualité, par exemple dans le conflit israélo-palestinien.  Ils veulent se construire une réflexion dans la rencontre de l’autre.

L’activité principale du Centre œcuménique est l’eucharistie du dimanche, extrêmement dynamique grâce à la chorale composée majoritairement d’étudiants africains.  La messe des étudiants du mercredi demeure quant à elle confidentielle, ce qui semble être également le cas à Namur.  A Louvain-la-Neuve, c’est différent étant donné que l’église Saint-François et plusieurs kots à projet fédèrent toute l’activité des prêtres responsables du site universitaire.

R.K.  Est-ce que vous êtes parfois contacté par des étudiants qui veulent se convertir ?

C.L.  En provenance d’une autre religion, cela ne m’est jamais arrivé.  Cela me mettrait d’ailleurs mal à l’aise. Les convertis sont souvent des personnes redoutables d’intégrité. J’ai par contre des demandes de baptêmes qui exigent beaucoup de temps dans leur accompagnement.

R.K.  La conversion, c’est la négation de l’œcuménisme.

C.L.  En fait, peut-être serais-je davantage prêt moi-même à les accompagner dans l’approfondissement de leurs propres convictions ? Par curiosité aussi.

R.K.  L’accompagnement des malades.  Est-ce également une de vos activités ?

C.L.  Mes activités se répartissent théoriquement comme suit : un mi-temps sur le site universitaire, un quart-temps à Saint-Luc et un quart-temps dans la recherche et l’enseignement.  Je me sens assez bien dans le flux des « casquettes » : si je n’avais qu’une fonction, je manquerais de m’ennuyer et en tout cas de manquer d’émulation.  Je prends un exemple : quand je dois préparer l’homélie du dimanche, si j’ai une idée bien nette au départ, si je sais d’emblée ce que je vais dire, l’homélie sera catastrophique, parce que je suis sûr de mon coup.  Si par contre, dans un premier temps, le texte à commenter ne me dit rien, l’homélie risque d’être davantage suggestive car je suis obligé de chercher et de ne pas me conforter dans l’acquis.  Ceux qui m’y encouragent, ce sont les jeunes en hématologie pédiatrique à Saint-Luc.  Je leur lis le texte de l’Evangile et je leur demande : qu’est-ce que je dois dire ?  Souvent ils ont la bonne réponse.  Ce genre d’émulation m’est précieuse.  Quand je suis totalement préoccupé par des problèmes qui devraient être périphériques dans ma vie, je fais quelques visites en chambres de malades et tout s’arrange, mes « disquettes intérieures » se remettant en place.  Mes prédécesseurs n’avaient pas cette chance-là parce que leurs tâches étaient cloisonnées ; ils vivaient dans des îlots.  Cette diversité a été la volonté de Mgr De Kesel, adjoint du cardinal Danneels pour Bruxelles, qui misait sur une collaboration entre le milieu médical, celui des étudiants et celui de la recherche.  A ce propos, je suis passé la semaine dernière dans la tour de l’Institut de l’ICP (Institut de pathologie cellulaire Christian De Duve) : les chercheurs ont appris à cette occasion qu’eux aussi avaient un aumônier, s’ils le souhaitaient.

R.K.  Les médecins des générations précédentes ne ménageaient ni leur temps, ni leur peine, tout le temps sur la brèche, ils négligeaient forcément leur vie de famille.

C.L.  C’est un fait.  Un de mes rêves est de recréer les équipes Hippocrate, qui avaient été organisées à Leuven sous l’impulsion du Père le Maire, et n’ont jamais repris vie à Woluwe.  Il y avait chez ces médecins une telle cohésion, un questionnement du lien entre vie spirituelle, vie de famille et soins de santé.  Je lance la proposition lors de la préparation de la messe de promotion, peut-être atterrira-t-elle un jour.

R.K.  Avez-vous un totem scout, comme ourson pour le Père Le Maire ?

C.L.  J’en ai un, mais je ne me fais pas appeler par mon totem, même si le monde étudiant ressemble à une grande unité scoute.   On m’appelle parfois Padre, car c’est ainsi que l’on appelle l’aumônier dans les milieux militaires.  La majorité m’appelle par mon prénom, d’autres inventent des surnoms, bien heureusement, temporaires ! Peut-être la difficulté de me « nommer » reflète-t-elle celle qui rend impossible de cerner aisément ma fonction.

R.K.  Le Père le Maire se plaignait beaucoup de l’emprise de l’administration de l’université.

C.L.  N’y avait-il pas chez lui une forme de contre-dépendance par rapport au centralisme de Louvain-la-Neuve et une sempiternelle attente de reconnaissance bien compréhensible de la part de Woluwe ?  Le débat n’est plus là depuis la création de l’Académie Louvain, me semble-t-il.  Il est vrai qu’avec bien d’autres professionnels, je désire que le site de Woluwe soit de plus en plus autonome.  Actuellement, certains souffrent de décisions qui se prennent plus particulièrement dans le domaine culturel à Louvain-la Neuve, sans tenir compte de ce qui se vit ici.  Je ne dis pas que ces décisions sont mauvaises : je dis seulement qu’elles peuvent paraître mal ajustées, parce que les partenaires de terrain qui pourraient orienter ces décisions ne sont pas consultés.  On peut en souffrir aussi dans le sens où « la voie royale » est de commencer à travailler à Woluwe et de finir sa vie professionnelle à Louvain-la-Neuve, que ce soit dans l’administration ou dans la culture.  C’est extrêmement frustrant. 

R.K.  Une dernière question : La célébration d’action de grâce pour les personnes qui ont confié leur corps à l’enseignement, curieusement appelée la « messe des macas ».

C.L.  C’est un terme que seuls les anciens emploient encore, mais plus les étudiants.
C’est une célébration exceptionnelle.  Une des plus belles de l’année.  Elle mesure la collaboration entre le milieu étudiant dans sa deuxième année de formation, les professeurs, particulièrement Catherine Behets et Benoit Lengelé, l’aumônerie, le monde des malades et de leurs familles.  C’est la première fois que les étudiants rencontrent des familles.  Cet office est exceptionnel aussi dans la qualité de préparation.  Avec les étudiants qui suivent les travaux pratiques de dissection, sont impliqués le Musikot ainsi que le Jérikot avec qui se vivent plusieurs temps de rencontres.  A l’invitation des responsables, Guibert Terlinden et moi passons préalablement aux travaux pratiques, de table en table, pour demander aux étudiants comment ils ressentent ce travail très spécial, et s’ils ont des problèmes de fond que génère cette pratique, en précisant que nous sommes disponibles pour toute forme de prolongement.  Lors de la célébration, l’assistance déborde dans les couloirs.  Les familles arrivent tendues, ne sachant pas trop ce qui va se passer et elles ressortent toujours sur un petit nuage.  Pour les étudiants, c’est également une première « mise en situation » qui leur apprend à employer le ton juste pour parler aux familles.

R.K.  A mon époque, on n’était pas préparé à la dissection des cadavres.  La plupart d’entre nous réagissaient assez violemment et, comme les jeunes, nous masquions notre désarroi par une attitude désinvolte, fanfaronne, avec parfois des mots grossiers ou des plaisanteries déplacées de carabins, lorsqu’on ne tombait pas dans les pommes lors du premier contact.  Les professeurs étaient froids, professionnels ;  je ne me souviens pas de mots de compassion pour les victimes, sauf dans la littérature (Georges Duhamel ; La Pierre d’Horeb).

C.L.  Aujourd’hui les étudiants sont préparés, notamment au cours d’une séance avec projection d’un film.  Les aumôniers participent à cette préparation.  Les étudiants restent souvent angoissés, mais il n’y a plus jamais d’attitudes irrespectueuses. Etonnamment, certains étudiants affirment que la séance introductive provoque le contraire de ce qu’elle supposerait apporter, à savoir une angoisse qui n’existait pas au préalable chez eux. A ce sentiment, les responsables répondent par la nécessité de faire poser à l’étudiant les questions que ce type de pratique génère inévitablement. Quel bel équilibre !

R.K.  Merci, Monsieur l’Abbé, de vous être prêté à cet interview.  Je pense que, grâce à vous, les professeurs pourraient apprendre à mieux connaître les étudiants, leurs problèmes, leurs inquiétudes et leurs opinions.

 

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