Numéro 55 :

Les interviews de l'AMA-UCL

Dominique Lamy

Une réflexion sur l'avenir de la médecine générale

Dominique Lamy est un généraliste engagé, enthousiaste et responsable.  Il brosse un tableau clair et pertinent de la médecine générale sans éviter les zones d’ombre d’un métier aujourd’hui en pleine mutation.  Les thématiques abordées illustrent l’intérêt et la fonction d’une pratique essentielle et encouragée dans les systèmes de santé modernes.  Il décrit aussi la variété des tâches et contextes où elle se pratique. Il souligne la création de postes de gardes soutenus par les cercles de médecins généralistes, structures locales responsables de l’organisation de celle-ci. Evolution majeure dans l’organisation de la permanence, ils constituent une avancée majeure pour la première ligne de soins.

    Dominique Pestiaux


René Krémer.  Peux-tu nous donner quelques indications sur tes origines et la raison de ton choix de la carrière médicale, et  plus particulièrement de la pratique générale?

Dominique Lamy.   Je suis originaire du Sud-Luxembourg.  Arlon est une petite ville aux confins de la Belgique et les choix de carrière n'y étaient pas très étendus, du moins en terme de formation.  Mon père est médecin, orthopédiste à Arlon et, tout naturellement je l’ai suivi dans sa carrière et ses idéaux.  La médecine générale est “venue” en cours de formation.  

R.K. On peut aussi choisir d’aller travailler dans une banque au Luxembourg.

D.L. C’était moins la mode à l’époque.

R.K. Tes études, à l’UCL ?

D.L. D’abord trois ans à Namur, la suite à Woluwe qui venait d'ouvrir le cursus complet sur le site.

R.K. A quel moment as-tu fait le choix de la médecine générale ?

D.L.  Ayant suivi la carrière de mon père, qui, à l’hôpital, était très liée à un système, j’ai opté pour l’indépendance que confère la médecine générale.  Les premiers contacts avec le patient au cours des stages m’ont appris que je préférerais être libre, seul avec le malade, plutôt que me retrouver avec un patron.  Ce qui ne veut pas dire que je n'ai pas de contacts avec mes collègues.

R.K. En quelle année es-tu sorti?

D.L. En 1984.

R.K. A l’époque, on ne se posait pas encore de questions à propos de la médecine générale.

D.L. Non, les années 80 étaient plutôt pléthoriques, avec de nombreux médecins promus chaque année...

R.K. Pourquoi as-tu quitté la petite colline inspirée ( Arel op der Knipchen), où je suis né également ?

D.L. J’ai rencontré ma femme dans les premières années de doctorat. Médecin également, elle était montoise et, comme je ne voyais pas d’ouverture sur Arlon, nous sommes allés à l’Ecole de Santé Publique consulter les statistiques de démographie médicale et nous avons opté pour la périphérie montoise.

R.K. Il y avait déjà à l’époque une formation en médecine générale ?

D.L. Nous étions dans les premières promotions à suivre les cours du Centre Universitaire de médecine générale, avec Michel Van den Haute.  Il y avait six mois de cours, dont deux mois de stage chez un médecin généraliste.  Aujourd’hui, les choses se sont  inversées avec six mois de stage et un jour de cours par semaine.

R.K. Tu as donc l’expérience d’une bonne vingtaine d’années de pratique générale et tu as vécu l’évolution.  Quel a été le changement principal ?

D.L. Mes premières consultations étaient très orientées vers des cas particuliers, des situations cliniques.  Au fur et à mesure du temps, je me suis impliqué dans les histoires de vie des patients, de leur famille et de leur entourage.  Je suis progressivement devenu médecin de famille.  Aujourd'hui, j'ai parfois l'impression de voir les jeunes praticiens faire le chemin à l'envers.  L'extraordinaire développement du CUMG (devenu CAMG) les forme aujourd'hui d'emblée “médecin de famille”. Malheureusement, nous les voyons quitter la pratique ou chercher des pratiques ciblées, limitées dans le temps, dans lesquelles ils donnent l'image d'une certaine distance, comme pour se protéger.


R.K. Le médecin de famille a toujours existé, mais ne crois-tu pas que cette évolution est en fait ta propre évolution, au fur et à mesure de l’expérience et du rapport de plus en plus étroit avec les patients dont tu gagnais la confiance ?

D.L. La pratique nous amène à rencontrer le patient d'abord seul, puis de plus en plus dans son “système”.  Nous ne pouvons ignorer en première ligne, les implications de la vie courante de nos patients sur leurs pathologies ou sur l'expression de celles-ci. C'est aussi le cas des spécialistes, bien sûr, à la différence que nous pénétrons dans les univers de vie de nos patients, leur maison.
De plus, dans la structuration des soins, nous devenons un peu comme l’avocat du patient vis-à-vis notamment de l'hôpital, mais aussi de toute une série d'autres instances ( assurances, justice, formation,... )

R.K. Mais, parmi les généralistes, il y a des nuances.

D.L. Nous avons tous reçu à peu près la même formation.  Il y a un canevas de base relativement similaire, mais qui permet à chacun d'exprimer sa propre individualité, en fonction de ses aspirations personnelles, des contraintes imposées.  Cela crée des différences, bien sûr, mais n'est-ce pas nécessaire à la richesse de notre profession ?

R.K. Est-ce que tu as constaté un recul de l’examen clinique, par exemple dans l’auscultation du cœur, la palpation de l’abdomen,  On a l’impression  que de nos jours ces examens sont moins poussés, même en médecine générale et qu’on demande plus rapidement des examens techniques ou des examens spécialisés, parfois sous la pression des malades ou dans le cadre d’une médecine dite défensive, parce qu’on estime ne pas avoir droit à l’erreur.

D.L. Personnellement je m’efforce d’encourager un interrogatoire poussé et la recherche des signes cliniques.  Pouvoir débrouiller seul le problème de santé apporté par le patient me semble une vraie valeur de médecin.  Hormis les problèmes urgents ou pouvant s'aggraver rapidement, la médecine générale se pratique dans le temps.  Les hypothèses peuvent être étayées par un test thérapeutique avant de bénéficier d'un bilan spécialisé.  En tant que maître de stage, je parle souvent du temps à consacrer à la consultation.  Je suis un peu réticent à envoyer le malade chez le spécialiste sans avoir “construit” ma réflexion diagnostique.

R.K. Il est logique que le généraliste pousse le plus loin possible la recherche du diagnostic.  C’est également un facteur d’économie, car c’est mieux sélectionner les examens techniques et le consultant  éventuel.

D.L. Le généraliste, médecin aux mains nues, peut débrouiller beaucoup de situations cliniques au cabinet ou au chevet du patient et participer, à son niveau, à la gestion des coûts en santé publique.  L'acte intellectuel posé par de nombreux médecins (généralistes mais aussi spécialistes) doit rester premier.

R.K. Voir le patient souvent et parfois à son domicile, dans son milieu familial, est un énorme avantage du généraliste par rapport au spécialiste.

D.L. C’est une richesse.  Mais évidemment toutes les visites ne peuvent se faire à domicile surtout de nos jours, ne fut-ce qu’en raison de la circulation automobile et des difficultés de parking en ville.  Mais voir le malade, une fois au moins, dans son milieu de vie apporte beaucoup de renseignements, tant sur le plan clinique que humain.

R.K. Un problème qui tracasse les patients, c’est la disponibilité de leur médecin. Les vieux généralistes étaient, soi-disant toujours disponibles,  y compris le dimanche et la nuit au détriment de leur vie de famille, de leurs loisirs, de leur formation post-graduée et de leur santé.

D.L. La garde de médecine générale est un peu considérée par les autorités, l’INAMI mais aussi par certains patients, comme une consultation de confort, mais pas comme une disponibilité pour de vraies urgences.  Je me le suis entendu dire par les autorités montoises quand nous revendiquions des facilités de parking.  Pour eux un patient qui fait un malaise appelle le SAMU, celui qui a un rhume fait appel au service de garde de médecine générale.  Il y a eu ce glissement entre disponibilité et flexibilité vers l’asservissement du médecin aux besoins du patient définis par lui-même.  Un des moyens trouvés pour éviter cette dérive, c’est l’augmentation du prix des visites de nuit.  Elles sont ainsi devenues beaucoup plus rares, mais plus justifiées.

R.K. Mais il y a des gens qui ne reculeront pas devant le coût même pour des urgences non justifiées, tandis que les plus pauvres n’appelleront pas même pour des problèmes graves.

D.L. L'autre évolution, justement, est la création des postes de garde, qui, après quelques difficultés de début, rencontrent aujourd'hui un franc succès ; comme à Charleroi, avec numéro d‘appel unique et où l’accueil  et l’examen médical  se font dans de bonnes conditions.

R.K. Un problème est l’accès du médecin de garde au dossier.

D.L. Pour  les malades dépendants suivis à domicile, je laisse, sur  place, les principaux éléments du dossier.  Mais, il y a un problème de confidentialité des données de ce dossier, accessible à tout un chacun.

R.K. Est-ce que pour certains patients, tu restes disponible ?

D.L. Toujours pour les patients en soins palliatifs ou en situation instable.  Je donne à ces malades un numéro sur lequel ils peuvent me joindre.   J’assure la continuité des soins.  Si j’ai pris l’option de ne pas les hospitaliser, le médecin de garde, ne connaissant pas la situation, pourrait les envoyer directement à l’hôpital.

R.K. La vie de famille du généraliste est-elle  préservée ?

D.L. C’est très important.  C’est une forme de ressourcement.  Les jeunes médecins qui nous suivent sont plus exigeants dans ce domaine que nous ne l’avons été.  Personnellement, je ne travaille plus que sur rendez-vous à mon cabinet depuis quelques années.  Ce qui me permet de prendre un repas quotidien en famille.

R.K. Tu joues un rôle dans l’organisation de la médecine dans ta région.

D.L. J’ai toujours estimé qu’il était important de défendre la qualité du travail des médecins généralistes.  Je me suis beaucoup occupé de l’Association des médecins généralistes de Mons, dont j’ai assuré la présidence pendant quatre ans.  Je suis syndiqué, sans participer à l’organisation syndicale.  Je m’occupe également beaucoup d’assuétudes aux produits illicites.  J'en assure l’enseignement au CAMG  et suis aussi responsable du mouvement  ALTO-SSMG ( « alternatives aux toxicomanies » ).  Ce mouvement défend l’idée de la prise en charge des toxicomanes au cabinet du généraliste dans sa propre pratique.  Les recevoir et les accompagner parmi les autres patients semble positif dans leur évolution.  Cette expérience existe depuis quinze ans et est unique en Europe.  Et même dans le monde.

R.K. N’est-ce pas dangereux ?

D.L. Les patients avec assuétudes ne sont pas plus difficiles ou dangereux que d'autres. Il faut créer un lien de confiance avec ces patients.  Ils ont besoin de soutien.  De plus nous avons créé un cadre de soutien pour les généralistes avec des réunions d'intervision.

R.K. Que penses-tu de la féminisation de la médecine ?

D.L. C’est une bonne chose, l’apport de l’esprit féminin dans la réflexion.  Notamment la réflexion sur la vie de famille et aussi parce que ce sont elles qui portent les enfants, ce qui les rend moins disponibles lors de leur maternité.  Le travail en groupe est certainement une solution.  Reste à trouver les idées novatrices pour maintenir cette flexibilité du travail dans un esprit de continuité.  S'opposent une professionnalisation un peu froide de la médecine générale et une médecine « familiale » peut-être un peu « dévorante »...

R.K. Appliques-tu une éthique personnelle dans les relations avec les firmes pharmaceutiques ?

D.L. Je reçois les délégués, parce qu’il est important que j’entende leur information, mais uniquement sur rendez-vous.  Je m’efforce de confronter leur message avec celui de la littérature scientifique non sponsorisée.  De plus je limite la durée et le nombre de leurs visites annuelles.

R.K. On parle beaucoup aujourd’hui de médecine défensive et de la fréquence des plaintes des patients avec parfois des actions en justice à la clé.  L’exemple américain se développerait chez nous.

D.L. En médecine générale, je ne ressens pas cette pression.  En général, mis à part les problèmes de fautes aux conséquences graves, le malade mécontent quittera son médecin plutôt que d’entamer une action en justice.  Mais il faut rester prudent au niveau du discours et d’un consentement éclairé bien compris par le patient.  Si j’envoie un malade chez un spécialiste, et désire expliquer le cas au spécialiste, je le fais toujours en présence du patient.  Il faut un maximum d'explications, viser le maximum de compréhension.

R.K. Abordons brièvement le numerus clausus ?

D.L.  C’est essentiellement le problème des gardes, qui viennent s’ajouter à notre activité quotidienne.  Après une garde de nuit, c’est une mauvaise récupération assurée, même si l’on n’est appelé que quatre fois.  Actuellement pour l’activité quotidienne, on n’a pas de souci majeur.  La répartition entre spécialités n'est plus homogène.  Nous avons dépassé le ratio 1/1 au bénéfice des spécialistes, et au détriment de la médecine générale.

R.K. En ville peut-être, mais en va-t-il de même dans les campagnes ?

D.L. Oui, par exemple, en province de Luxembourg, les généralistes ne se plaignent pas de débordement des activités de jour, mais bien de la difficulté d'organiser les gardes.
Toutefois, à long terme le plus inquiétant est le remplacement des médecins.  Je vois les jeunes médecins terminer leur formation au Centre académique de médecine générale, je ne les vois pas arriver dans nos villes et nos campagnes.  Où vont-ils ? Beaucoup transitent par les hôpitaux, pendant quelques temps, mais après...

R.K. D’autres vont à l’étranger.

D.L. Oui sans doute, mais d’autres renoncent à la pratique de la médecine générale et parfois de la médecine tout court.  C’est une situation dont les effets apparaîtront d’ici quelques années.  La moyenne d’âge des médecins est aujourd’hui de 50 ans.  Dans 10 ans ceux qui arriveront à la pension ne seront pas remplacés.

R.K. La pyramide des âges deviendra un losange.

D.L. A l’avenir, si l’on veut garder une médecine générale de première ligne, une médecine générale forte, il faudra travailler à l'amélioration de l'image de celle-ci.

R.K. Il y aussi le manque d’attrait des étudiants pour la médecine générale.  Beaucoup d’entre eux pensent à tort que la médecine générale est un travail pénible, mal rémunéré, peu valorisant.  Au cours des études, il faut absolument leur montrer que ce n’est pas vrai.  C’est dans une très modeste mesure ce que l’AMA UCL essaie de leur prouver par les rencontres à la carte d’une  journée avec des généralistes.

D.L. Oui certainement, mais on pourrait aussi renforcer ce contact avec la médecine générale en favorisant une forme de parrainage de plus longue haleine, une sorte de tutorat de stage, par des praticiens de terrain tout au long du cursus des jeunes en formation.
 
R.K. Les généralistes se plaignent amèrement  d’être envahis par la paperasse administrative.

D.L. L’informatisation des cabinets aide beaucoup pour autant que tout puisse passer par l'informatique.  Aujourd’hui  le relais entre le médecin, le patient et toutes les autres structures, pharmacie, mutuelle et autres, passe encore essentiellement par le papier.  Il n’est pas rare de devoir rédiger  5 à 10 « papiers » par consultation, alors qu’au début de ma carrière on rédigeait tout au plus une ou deux ordonnances et l'attestation de soins, lors de chaque consultation.  Aujourd’hui il y a des certificats nécessaires pour les soins infirmiers, pour le remboursement de médicaments, pour le matériel d'aide, pour un droit social ou l’autre….

R.K. Une simplification est-t-elle envisageable ?

D.L. Oui, par une informatique bien programmée, mais aussi grâce à la puce de la carte SIS, sur laquelle des données pourraient être chargées.  Ce qui nous gène, c’est le renouvellement obligatoire des demandes de médicaments même pour des maladies chroniques.  L‘hypercholestérolémie risque peu de se modifier au fil des années, si ce n’est à la hausse.   Il en est de même pour l’hypertension artérielle.

R.K.  Et le diabète ?

D.L. Le diabète est de plus en plus pris en charge par des services spécialisés et les conventions pour diabétiques nous « prennent » ces patients, si bien que certains médecins généralistes ont perdu la compétence dans ce domaine.  Il y a eu des efforts pour « rendre » au généraliste le diabète de type 2, mais moyennant 2 à 3 papiers supplémentaires.  Il faudrait pouvoir établir, une seule fois, par un document, que le patient a un diabète de type 2 et qu’à partir de là, toutes les portes, biologiques et thérapeutiques lui soient ouvertes, y compris les soins de pédicurie, les tigettes…bref un package, une fois que le diabète est prouvé.  Et la même chose pour chaque problématique chronique.

R.K. Il en va de même pour la surveillance du traitement anticoagulant.

D.L. Moins, puisqu'il s'agit surtout d'une prestation technique de suivi. Personnellement, j’ai résolu ce problème, en pratiquant moi-même le dosage de l’INR au chevet du patient avec un appareil du même type que les glycémies capillaires.

R.K. Autre problème pour le généraliste. Les médicaments génériques.

D.L. En soi, c’est une bonne chose.  Le principal problème est la possibilité pour le pharmacien de substituer le générique si la prescription est faite en dénomination internationale (DCI), ce qui pourtant est recommandé.  Le patient pourrait ne plus recevoir toujours le même.  Mais aujourd'hui, la majorité des produits « génériqués » sont proposés en spécialité au prix du générique.  C’est globalement une bonne évolution.

R.K. La déontologie entre confrères ne s’arrête-t-elle pas lorsqu’elle est en balance avec l’intérêt du patient ?  Par exemple, pour le choix d’un consultant ou d’un hôpital.

D.L. La réponse, c’est une bonne communication avec le spécialiste.

R.K. Prenons un cas concret.  Ton patient a pris sans te consulter un rendez-vous avec un confrère ou un service hospitalier dont tu doutes de la compétence.  Que fais-tu ?

D.L. Je le dirais au patient pour autant que mon jugement soit basé sur une expérience personnelle suffisante.  Je le fais parfois, mais cette situation s'est rarement présentée.

R.K. Quelle est ta position vis-à-vis de l’interruption de grossesse que l’on pourrait appeler de confort et vis-à-vis de l’euthanasie ?

D.L. Ne pouvant les défendre pour des raisons purement personnelles et n’étant pas à même de pratiquer l'une ou l'autre, je reste très empathique avec le patient.  Je lui en parle, je lui donne l’information, mais tout en lui disant d’emblée que je ne pourrais être acteur dans une telle démarche.  Face à une demande d’euthanasie préalable, je dis à mon patient que je ne serai pas à même d’assurer une fin de vie par euthanasie, tout en le guidant dans sa démarche.

R.K. Quelle est ton attitude vis-à-vis de la demande d’examens techniques ?

D.L. Ma façon de travailler est de créer une stratégie.  Un patient qui vient me voir avec une question doit avoir une réponse ou en tout cas un plan stratégique.  Vous avez mal au genou ?  D’abord des questions :  -quand, comment, pourquoi ?  Ensuite on examine ce genou et on  lance un traitement d’essai basé sur une hypothèse diagnostique.  Ce n’est qu’ensuite qu’on prescrira des examens pour étayer ou confirmer le diagnostic ou modifier le traitement.

R.K. Il est parfois utile de court-circuiter des examens, d’une part pour gagner du temps, d’autre part pour économiser des examens.  Si un patient fumeur me dit que, depuis quelques jours  il éprouve une douleur thoracique à la marche en côte et que cette douleur s’estompe lorsqu’il s’arrête, je vais l’envoyer à la coronarographie, sans demander un scanner des coronaires ou une épreuve d’effort.

D.L. Je suis tout à fait d’accord. Et même je débuterai tout de suite un traitement protecteur.

R.K. A propos de l’enseignement post-gradué, que penses-tu de son organisation actuelle ?  D’une part des conférences concoctées par des firmes pharmaceutiques, orientées et sponsorisées, d’autre part, les réunions de la société scientifique de médecine générale dont les enseignants appartiennent aux trois universités francophones et enfin  les séances propres à chacune de ces universités, sans compter  l’enseignement organisé par des hôpitaux ou par des associations régionales de médecins.  N’est-ce pas un gaspillage ?  Comment mettre de l’ordre dans cette pléthore anarchique ?

D.L. Ce qui est positif, c’est que l’offre est large.  Ce qui n’est pas normal, c’est la différence de prix, de qualité, de motivation, de sélection des thèmes, un certain manque de transparence.  La concurrence s’installe.  Cette pléthore fait que le médecin n’a plus guère besoin de courir après les points d’accréditation, il en a suffisamment.  Cela l'amène aussi à mieux choisir les sujets en fonction de ses centres d'intérêt ou de ses demandes de formation.
Une réorganisation devrait donner la priorité à la qualité. En outre, une dispersion des lieux d’enseignement est peu utile dans notre petit pays.  Je serais plutôt en faveur de journées plus complètes dans un lieu central avec divers thèmes abordés avec un choix laissé au médecin.

R.K. Un dernier souhait à propos de l’avenir de la médecine générale ?

D.L.  C’est que l’on reste persuadé que la médecine générale a sa raison d’être dans le paysage médical actuel et futur.  Le généraliste belge a fait ses preuves en ce qui concerne non seulement la qualité des soins, mais également l’aspect socio-économique d’une médecine de première ligne.  Le point important est une organisation permettant au généraliste de rester un vrai partenaire dans le traitement des malades et qu’ainsi le métier reste attractif.  L'ouverture au pluridisciplinaire est aussi un élément de réponse.

R.K. Un souhait à propos de l’enseignement et la formation en médecine générale ?

D.L. Je pense qu’il faudrait un accompagnement des jeunes qui se destinent à la médecine générale beaucoup plus tôt au cours des études, pour leur faire rencontrer la pratique de terrain.  On pourrait imaginer que, dès le premier doctorat, ils puissent  se choisir un « parrain » généraliste, qui les accompagnerait pendant tout le cursus, une sorte de compagnonnage.

R.K. Voilà une idée à creuser, séduisante, mais pas simple à mettre en route et surtout à imposer.  Au Moyen-Age, ce sont les compagnons qui ont contribué  à bâtir les cathédrales.
Merci pour ces réflexions pertinentes à propos d’un métier que, de toute évidence, tu aimes…

 

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