Numéro 40 :

Les interviews de l’AMA-UCL

Madame Ghislaine Declève, directrice de la bibliothèque de médecine

 

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AMA : Quel a été votre parcours avant que vous assumiez la direction de la bibliothèque médicale de notre Faculté, en 1997 ?

G.D. : J'ai étudié la philologie romane ;  j'ai passé ensuite l'agrégation de l'enseignement secondaire supérieur.  De 1991 à 1997, j'ai enseigné le français dans le secondaire inférieur, supérieur et à l'école de police de la région bruxelloise ainsi que la documentologie dans le supérieur non universitaire.

AMA : La médecine n'était pas votre pain quotidien à cette époque ?

G.D. : En tous cas, je n'y avais pas pensé.  Ne trouvant pas de poste fixe dans une carrière qui me passionnait, tout en travaillant, j'ai fait, après mon diplôme de philologie romane, un troisième cycle en information et documentation à l'ULB.  Enfin, on a reconnu l'intérêt de mon diplôme de romane, alors que précédemment on me disait " C'est  bien pour les filles ".  Avant même d'obtenir ce diplôme et de terminer mon mémoire, j'ai repris l'assistanat à mi-temps dans la section d'information et de documentation et un autre mi-temps comme assistante du bibliothécaire en chef à la bibliothèque de médecine de l'ULB.
En 1997, je suis tombée sur l'annonce d'une vacance de poste de directeur à la bibliothèque de Woluwe ;  je me suis soumise à tous les exercices nécessaires.

AMA : Et vous voilà !

G.D. : Oui !  Quand on arrive dans un organisme de documentation, on commence par l'observer, voir comment il fonctionne... La bibliothèque ne m'avait pas attendue pour vivre.  Ensuite, on essaie de le faire évoluer en fonction des besoins de ses utilisateurs. Un organisme de documentation n'est pas autosuffisant et se nourrit des échanges avec ses utilisateurs.  On ne travaille pas pour l'amour de l'art, mais pour être utile.

AMA : Et dans le carcan du budget.

G.D. : Evidemment. Nous bénéficions d'une part d'un budget facultaire d'environ 273.000 euros qui ne suffit pas aux seuls abonnements aux périodiques.  En plus du budget accordé par la Faculté, l'Université nous alloue une somme annuelle de 33.000 € pour nous aider à absorber l'augmentation du prix des périodiques.  En outre, de 2000 à 2005, l'université a soutenu ses bibliothèques en dégageant 2.500.000 € répartis sur ces cinq années. La manne a été consacrée principalement à l'achat de bases de données et de périodiques électroniques. Le solde a été réparti entre les bibliothèques en fonction des investissements consentis par chacune pour les périodiques, les monographies et les initiatives pédagogiques diverses.

AMA : Qui sont les utilisateurs ?  Des étudiants, des chercheurs, des cliniciens ?

G.D. : Depuis quelques années, la clientèle se partage en une partie visible, essentiellement les étudiants que l'on rencontre dans les salles et qui recherchent un lieu d'étude et pas forcément une information.

AMA : Un endroit calme, confortable et bien chauffé.

G.D. : pour certains, cela semble être cela, quoi qu'il soit bien difficile de maintenir le silence.  La clientèle invisible et pourtant existante est constituée de médecins à la recherche d'informations plus pointues.  La collection de la bibliothèque s'adresse à ces deux catégories d'utilisateurs.
Il y a d'une part les livres, supports d'étude et d'enseignement, dédiés aux étudiants ;  d'autre part les revues sur support papier ou électronique, orientées vers les activités de recherche... Comme nous offrons un accès de plus en plus facile à ces données par l'informatique, les chercheurs se déplacent de moins en moins à la bibliothèque, car ils ont accès à ces informations dans leur bureau.  Ces données et ces abonnements auxquels ils ont accès sont achetés par l'Université parfois en consortium avec d'autres.  A l'UCL, deux gros éditeurs permettent l'accès électronique à pas mal de publications qui intéressent les médecins (Elsevier et Blackwell).  Cependant, même pour les titres diffusés par ces éditeurs, nous n'avons pas accès à tout, loin s'en faut. Ces accès sont chers et les contraintes nombreuses et variables d'un éditeur à l'autre et même parfois d'un titre à l'autre.

AMA : Un délai ?

G.D. : Oui, d'une part.  Mais d'autres limitations, par exemple : chez Blackwell nous n'avons accès qu'aux années pendant lesquelles nous avons été abonnés à la version électronique.

AMA : Prenons l'exemple du New England Journal of Medicine, puisqu'il semble que ce soit le champion toute catégorie des publications médicales : comment y avoir accès ?

G.D. : La situation est assez particulière.  On n'a pas l'accès aux numéros les plus récents, sauf sur 5 postes informatiques dont nous devons leur donner l'adresse IP.  Car la crainte des éditeurs est de perdre une partie de leur lectorat payant... C'est pourquoi l'accès électronique à ces grandes revues (NEJM, mais aussi Science, Nature, The Lancet...) est très cher.

AMA : On se bouscule sur ces 5 postes ?

G.D. : Ils sont en bibliothèque, de façon à pouvoir être consultés par le plus grand nombre.  Mais ces postes ne sont pas très occupés parce qu'ils ne concernent que le NEJM et que la plupart des autres revues peuvent être consultées à partir des PC dépendant du réseau UCL ou identifiés comme tels, répartis dans les bureaux aux Cliniques et à la Faculté.

AMA : Si l'on vous demande des revues ou des livres que vous n'avez pas à la bibliothèque, vous pouvez, je suppose, aider néanmoins ces utilisateurs.

G.D. : Oui, nous assumons le travail de recherche et de fourniture des documents souhaités : cela représente un équivalent temps plein à la bibliothèque.  Cette personne peut également aider à construire une équation de recherche, c'est-à-dire une stratégie pour obtenir une information.  Nous faisons ce travail avec le médecin demandeur ;  notre équipe est composée de documentalistes, dont certains sont formés en science, mais ne sont pas médecins.

AMA : C'est là votre travail principal.

G.D. : Pas seulement ;  parce qu'il y a aussi l'accueil et la formation des utilisateurs, la collecte, la représentation et la conservation des thèses, mémoires et publications de recherche de la faculté, le choix des traités et des abonnements.

AMA : Vous payez les abonnements plus chers que le commun des mortels ?

G.D. : De 2 à 10 fois plus !  Puisque chaque fascicule acquis est susceptible de servir à l'ensemble des utilisateurs de la bibliothèque.

AMA : Quelle est votre politique dans le choix des abonnements ?

G.D. : Il faut parfois en supprimer.  C'est un exercice très difficile, souvent frustrant, mais nécessaire parce que le prix des revues augmente en moyenne de 8 % par an, ce qui n'est pas le cas du budget de la bibliothèque ni de celui de la Faculté qui ne sont pas indexés.  Notre pouvoir d'achat diminue donc pratiquement de 8 % par an.  Si une collection en tant que telle n'a de valeur que si elle est complète, seules les revues les plus récentes sont régulièrement consultée.  Il y a un noyau de revues pratiquement indispensables, dont des revues générales de haut niveau telles que NEJM, Lancet, BMJ, Science, Nature;  on y maintient l'abonnement sans discussion.  Pour les autres, il faut être de plus en plus souple et sélectif car il n'est pas possible d'avoir toutes les revues importantes dans tous les domaines.  Heureusement, nous travaillons en commun avec les autres universités.  En outre, nous nous efforçons de ne pas supprimer les titres qui ne se trouveraient pas ailleurs en Belgique.

AMA : Comment choisissez-vous les traités ?

G.D. : C'est plus facile, parce qu'ils ne s'inscrivent pas dans une collection.  Nous travaillons en fonction de la demande des enseignants.  Ils nous aident aussi à élaguer nos collections, lorsque les livres sont dépassés.  Nous nous inspirons également des bibliographies des notes de cours et des listes établies par des organismes documentaires médicaux de renom, par exemple l'American Medical Library Association.

AMA : L'éloignement géographique des autres  bibliothèques de l'université, n'est-ce pas un handicap ?

G.D. : Oui.  Nous aurions beaucoup à partager avec les sciences (biologie, chimie, physique), certaines branches de la psychologie, de l'éducation physique, de l'économie, du droit.  L'éloignement nous oblige à pas mal de duplication de documents. C'est là que les supports électroniques sont les plus utiles.

AMA : Quel est l'avenir d'une bibliothèque papier ?

G.D. : Si l'on parle de l'accès d'une personne à un ouvrage, la forme papier est plus accessible ;  il y a en outre une relation affective avec le document papier et des rencontres intellectuelles impromptues qui se passent différemment dans une collection physique et dans une collection " virtuelle ".  Je pense que papier et électronique ont des usages différents.  Mais je crois également que l'on va s'orienter de plus en plus vers des documentations dont l'accessibilité est permanente, sans qu'il faille tenir compte du lieu où se loge l'information et du moment où on souhaite y accéder.  L'informatique est aussi une aide extraordinaire à la gestion de la bibliothèque et à la recherche documentaire.  L'Index Medicus était certes très utile, mais il est fort bien remplacé par Medline et Pubmed.  Néanmoins, pour certains, la recherche d'information et la lecture par l'informatique sont pénibles : la prise de notes n'est pas facile et la lecture à l'écran demande une gymnastique vertébrale et visuelle qui peut être très inconfortable.

AMA : Il y a les imprimantes ?

G.D. : Certes.  Chacun de nos ordinateurs est relié à une imprimante.  Les imprimés sortent à l'accueil.  Il y a parfois un peu d'embouteillage.

AMA : Les tirés à part ont pratiquement disparu, sans doute ?

G.D. : Ils sont remplacés par des copies d'articles, souvent des images numérisées des textes, qui circulent entre bibliothèques, sans faire intervenir les auteurs. Les bibliothèques ont développé un excellent service de mise à disposition des articles de recherche. Il est rapide et revient bien moins cher que lorsqu'on en commande une copie à l'éditeur.
Par ailleurs, la bibliothèque de médecine collecte les tirés à part de toutes les publications de recherche de la faculté et des cliniques. Elle les enregistre dans le système informatique de l'administration de la recherche et en assure la conservation centralisée.

AMA : Quels services la bibliothèque peut-elle rendre aux médecins qui ne font pas partie de l'université ?

G.D. : Ils peuvent consulter notre catalogue, qui est libre d'accès sur internet, et connaître par exemple les périodiques que nous avons et les numéros manquants.  On ne se déplacera donc pas pour rien.  Pour consulter un ouvrage, il faut s'inscrire soit pour l'année, soit pour un jour.  Nous pouvons également fournir des copies d'articles à distance, par la poste ou par courrier électronique, à partir d'un coup de téléphone confirmé par un fax ou un courrier.  C'est une activité très porteuse en terme de marketing parce qu'elle nous informe en permanence de l'identité de nos utilisateurs et de leurs besoins. On peut donc très rapidement savoir qu'il est nécessaire d'évoluer dans tel ou tel domaine ou d'offrir tel ou tel type de nouveau service.  Une autre activité de la bibliothèque est l'aide et la formation des utilisateurs en matière de recherche documentaire et d'utilisation des outils.
Nous assumons également des stages demandés par des écoles de bibliothécaires, et parfois pour des collègues étrangers, dans le cadre de la collaboration universitaire au développement.

AMA : Avez-vous des réunions entre bibliothécaires, des congrès ?

G.D. : Nous avons tout d'abord des réunions mensuelles entre les bibliothécaires de l'UCL (philo, psycho, sciences humaines, droit, sciences économiques, sciences).  Nous avons aussi des contacts suivis avec les universités belges.  Au plan européen, une association des bibliothèques de la santé se réunit au moins une fois par an.

AMA : Ne regrettez-vous pas d'être loin de votre formation littéraire ?

G.D. : Non.  La culture littéraire, c'est pour moi à la maison.  D'autre part, la médecine bouge beaucoup, comme la gestion de l'information.  Les matières médicales se multiplient : elles naissent et elles meurent !

AMA : Comme nos patients !

G.D. : Nous gérons un organisme vivant.  Il faut se tenir en éveil sans arrêt, se mobiliser intellectuellement pour répondre à de nouvelles demandes,  se remettre en question.  Les échanges sont fondamentaux : pour alimenter nos collections, il faut connaître les souhaits et les besoins des utilisateurs : c'est notre métier et notre but.  Nos statistiques contribuent à nous faire connaître les besoins, mais il y a aussi les utilisateurs potentiels que nous devrions pouvoir satisfaire, mieux et à moindre coût.

AMA : C'est toujours, Madame, avec bonheur que l'on rencontre une personne passionnée comme vous  qui aime son travail et le vit intensément.


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