Numéro 39 :
Les interviews de l’AMA-UCL
Professeur Jean-Jacques Haxhe, professeur émérite 1996. Le devoir de mémoire : Un site Internet pour l'histoire de la médecine : http://www.md.ucl.ac.be/histoire/
R.K. : Il y a de nombreuses façons de s'occuper après que le couperet symbolique de la retraite est tombé. On peut découvrir le monde, se consacrer à la philatélie, à la musique, à la littérature, au bridge..., cultiver l'art d'être grand-père (ou arrière grand-père). Toi, Jean-Jacques, l'un de tes choix à été l'histoire de la médecine à l'UCL et la création d'un site Internet qui grandit, se complète et s'affine au fil des jours. Après tes fonctions aux Cliniques Saint-Luc, comment as-tu été amené à poursuivre ce travail de mémoire ?
J.J.H. : C'est en réalité l'aboutissement d'un cheminement d'une dizaine d'années. Permets-moi d'en énumérer les étapes préliminaires.
Avant même d'accéder à l'éméritat, au début des années 1990, je m'étais dit que pour meubler mes temps libres au moment de la mise à la retraite, j'écrirais l'histoire des Cliniques Saint-Luc depuis 1964, ayant été par mes fonctions successives 1 un témoin privilégié de tous les événements. Pour ce faire, j'avais conservé toute la documentation (procès-verbaux, agendas, photos). De plus, présumant que je serais probablement privé de secrétaire du jour au lendemain (ce qui s'est produit !), je me suis initié à la micro-informatique et au traitement de texte, acquérant mon premier micro-ordinateur portable en 1991. A ce moment, l'Internet n'était pas encore accessible au grand public.
J'ai réalisé ce projet après mon éméritat, commençant l'écriture en 1997 pour aboutir au texte final en 2000 et à la publication du livre de 526 pages aux Editions Racine (Bruxelles), "Si Saint-Luc m'était conté..." paru en octobre 2001, à l'occasion du 25 ème anniversaire de l'ouverture des cliniques.
Ayant terminé cet ouvrage, je me suis rendu compte qu'il contenait assez peu d'éléments "médicaux", alors que la médecine avait réalisé au cours du demi-siècle écoulé plus de progrès qu'au cours des 50 siècles précédents, comme l'avait écrit le Pr Jean Bernard. Or les témoins, les acteurs de ces progrès, 25 chefs de services émérites avaient vécu la médecine de 1950 à 2000 dans les diverses spécialités et étaient encore bien présents et actifs. En fin d'année 2000, faisant appel à leur collaboration pour écrire le chapitre d'un livre collectif, quasi tous ont répondu positivement. Moins d'un an plus tard, je disposais de tous les textes en Word sur support numérique : disquettes, cédéroms, fichiers attachés à un courriel...
Sans modifier ces textes, il m'a suffi de les coordonner (je fus coordonnateur général pendant 14 ans !), de les formater de façon homogène pour aboutir au remarquable livre : "50 ans de Médecine à l'UCL : 1950 - 2000", livre multi-auteurs de 623 pages publié en avril 2002 aux Editions Racine (Bruxelles). Autant dire que, sans secrétaire et sans la bureautique dont les débuts remontent à la fin des années 1980, une réalisation aussi rapide aurait été impossible.
R.K. : Oui, mais cela ne nous dit pas encore ce qui t'a amené à créer un site Internet d'histoire de la médecine ?
J.J.H. : D'accord, j'y viens, mais on comprend déjà que par ces deux ouvrages je m'intéressais à la narration de l'histoire contemporaine. Ayant perçu cet intérêt, au moment de réactiver la Commission facultaire du Musée de la Médecine, le doyen Jean-Jacques Rombouts m'a demandé d'en faire partie. La nouvelle commission est placée sous la présidence du Pr Geneviève Aubert, dont on connaît l'intérêt pour l'histoire de la médecine et en particulier celle des neurosciences et de l'illustre personnalité d'Arthur Van Gehuchten ; cette commission comprend aussi divers membres du département des archives de l'UCL. Parmi ceux-ci, le doyen sollicita la participation de son directeur, le Pr Paul Servais, que je connaissais bien, car, à ses débuts, il fut responsable du département des archives médicales aux cliniques Saint-Luc. Sachant que j'avais quelque expérience informatique pour la création de sites Internet à laquelle je m'étais initié dès 1994, notamment par l'étude du langage HTML (HyperText Mark-up Language), le Pr P. Servais m'a proposé une initiative très originale : créer un musée virtuel de l'histoire de la médecine. J'ai saisi la balle au bond en ouvrant un premier portail de textes sur le serveur de la Faculté de Médecine; d'autres suivront probablement pour un catalogue de livres, des images d'instruments anciens.... Ce portail donnait d'abord accès aux documents existant déjà sous forme numérique : les deux livres dont je viens de parler. Ensuite j'y ai ajouté les brefs sommaires biographiques de chacun des quelque 60 professeurs émérites depuis 1994, grâce aux textes des brochures distribuées à l'occasion de la séance annuelle d'hommage qui leur est rendu en octobre. De fil en aiguille, ce fut le point de départ d'une "Galerie des professeurs" de la Faculté de Médecine depuis sa réouverture en 1835. Cette étape vers le passé a été grandement facilitée grâce à un travail d'investigation déjà réalisé par le Pr Richard Bruynoghe qui publia quatre articles dans la Revue Médicale de Louvain en 1942, dont il était alors rédacteur en chef.
Selon un modèle normalisé, une courte fiche biographique avec photo a été créée pour chaque professeur, complétée par des accès aux illustrations, discours prononcé au décès, In Memoriam, éloge funèbre, éloge académique paru dans le Bulletin de l'Académie Royale de Médecine. Le Pr G. Aubert m'a transmis une abondante documentation et toutes les photos dont elle disposait déjà; elle a ensuite supervisé toutes les fiches après que Mme Françoise Hiraux (département des archives de l'UCL) m'ait communiqué les textes des Annuaires de l'UCL et ait exploré toutes les sources iconographiques existantes.
Dans un véritable maillage, les fiches ainsi créées - indexées par nom - permettent des liens entre elles, vers d'autres enseignants (prédécesseurs - successeurs - maîtres - collaborateurs...), puis d'établir les filières d'enseignement par spécialité, de documenter les listes d'enseignants pour chaque période de 10 ans depuis 1835, d'illustrer la liste des doyens et secrétaires de Faculté de 1837 à nos jours, d'enrichir les photos des promotions de médecins du dernier demi-siècle par des liens entre les images des professeurs présents et leur fiche biographique.
R.K. : Ce site est d'accès facile, à partir du portail de la Faculté de Médecine, en cliquant dans la marge sur la rubrique " histoire de la Faculté ".
Avez-vous facilement trouvé les documents pour illustrer la vie de tous ces personnages ?
J.J.H. : Oui, mais cela dépend de la période considérée.
Des sources constantes d'information se trouvent dans les Bulletins de l'Académie Royale de Médecine de Belgique (depuis 1841) pour les professeurs qui ont fait partie de cette compagnie (ils deviennent malheureusement de moins en moins nombreux) et depuis 1876 dans la Revue médicale de Louvain devenue Louvain Médical en 1967. Pour la période de 1837 à 1971, une source d'informations extraordinairement riche se trouve dans les Annuaires de l'Université catholique de Louvain. L'UCL est la seule université belge à avoir publié chaque année un tel recueil ; l'intitulé change après 1970 et devient Annales pour les années 1970 à 1973. On y trouve la liste des professeurs avec leurs titres et leurs chaires. Le programme complet des cours y est détaillé jusqu'en 1914. Les discours aux funérailles et les éloges académiques retracent en détail la carrière des professeurs.
Après 1973, cette publication a cessé de paraître pour des raisons d'économie, paraît-il. Depuis cette année, l'UCL a lamentablement failli à son devoir de mémoire en arrêtant la poursuite de cette publication après 135 ans de parution continue ! Les Autorités académiques ont-elles bien mesuré les conséquences de leur décision ? L'oubli du passé, le manque de reconnaissance à ses professeurs... et la frustration des historiens. Il me paraît qu'une institution comme l'Université a un devoir de mémoire vis-à-vis de ses membres. Jusqu'en 1970, les recteurs et/ou les doyens successifs s'en sont acquitté consciencieusement; ensuite, c'est l'abandon... Les Annales ont disparu. On trouve encore occasionnellement une ou deux pages d'In Memoriam dans Louvain Médical et l'AMA-Contacts ou quelques tapuscrits non publiés de textes prononcés au moment d'un décès. C'est bien maigre pour rendre hommage à une vie consacrée à l'Université parfois pendant un tiers de siècle. N'est-il pas piquant de relever qu'en 1976, après le décès du Pr Joseph Bouckaert qui a enseigné pendant 40 ans, il a fallu que ses élèves, les Prs Michel De Visscher et Xavier Aubert, publient l'In Memoriam dans le quotidien "La Libre Belgique", sans aucune autre trace dans les archives ou publications de l'UCL !
R.K. : Ne valait-il pas mieux écrire un livre d'histoire plutôt que de créer un site Internet ?
J.J.H. : Je ne crois pas. Un livre, dont le tirage serait forcément limité, serait beaucoup moins riche et reviendrait à un coût exorbitant, s'il reprenait tout le contenu du site Internet qui couvre un volume de quelque 1.500 pages (650 fichiers et environ 4.600 liens entre les fichiers) avec de très abondantes illustrations.
Ensuite, par la capacité de naviguer d'une page à l'autre, de surfer d'un personnage à l'autre, d'en approfondir le contenu ou de le survoler, l'Internet avec une connexion rapide est un outil extrêmement puissant et remarquablement bien adapté au cas particulier de l'histoire. En outre, des liens peuvent aussi être établis avec d'autres documents disponibles sur la toile, comme par exemple la biographie de célébrités extérieures à l'UCL. Il y a douze ans à peine, avant la vulgarisation de l'Internet, un ouvrage aussi complet, aussi convivial, aussi riche n'aurait pas été réalisable.
D'autre part, des corrections peuvent se faire de façon rapide et simple : le site d'histoire est totalement ouvert et évolutif (mise à jour de fiches, adjonction d'illustrations, nouveaux documents...).
Enfin, grâce aux moteurs de recherche performants, comme Google, qui permettent une diffusion planétaire du savoir, les biographies des professeurs de l'UCL sont entrées dans la bibliothèque mondiale. Pour vous en convaincre, essayez une recherche en tapant le prénom et le nom d'un professeur !
En bref : faible coût - navigation - flexibilité - mise à jour - connexions externes - diffusion mondiale sont des avantages indiscutables du site Internet.
Par rapport à un livre, il reste les inconvénients de la lecture à l'écran (bien que tous les textes puissent être imprimés), d'une nécessaire connexion rapide à l'Internet au moyen d'un ordinateur et du manque de support physique sur papier, l'objet n'est pas dans la bibliothèque...
R.K. : Ces données virtuelles ne risquent-elles pas de se perdre ? Sont-elles protégées ? Sont-elles à l'abri d'un virus ou d'un pirate informatique ? Ne peut-on réaliser la même chose par la création d'un CD ou d'un DVD ?
J.J.H. : Oui, bien sûr, le terme d'Internet que j'ai utilisé jusqu'ici est un raccourci. Tout ce qui se trouve sur le serveur HTTP de la Faculté de Médecine pourrait se trouver sur l'un de ces supports ; c'est l'écriture en HTML qui permet la lecture et la navigation entre les textes, quelle que soit la source de l'information. Un CD ou DVD présentent toutefois deux limitations : comme un livre, ils sont figés à un moment donné et ne sont donc pas évolutifs, de plus, ils ne peuvent établir des liens avec des ressources extérieures sans connexion concomitante à l'Internet.
R.K. : C'est une remarquable réalisation. L'AMA-UCL peut contribuer à ce site d'histoire.
A court terme et dans l'immédiat, le secrétariat de l'AMA-UCL pourrait se prêter à être une adresse, une boîte aux lettres à laquelle tout ancien médecin de l'UCL peut envoyer la(les) photo(s) d'un professeur qu'il a connu ou tout autre élément d'intérêt historique pour enrichir le site. Ces documents seraient bien entendu restitués après numérisation.
Puis, à moyen terme, et comme elle l'a déjà fait jusqu'ici depuis quelques années, elle continuera à publier les hommages aux enseignants qui nous quittent, participant ainsi activement au devoir de mémoire, mais aussi des souvenirs anecdotiques moins conformistes que les biographies officielles et les hommages " in memoriam ".
Tous les anciens qui disposeraient de documents pour enrichir le site Internet d'histoire sont invités à les envoyer au secrétariat.
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Membre de la commission de programmation du site de Woluwe-Saint-Lambert en 1965, directeur de la programmation hospitalo-facultaire de 1968 à 1976, directeur médical des Cliniques Universitaires de 1971 à 1996, coordonnateur général des cliniques universitaires Saint-Luc de 1982 à 1996.