Numéro 37 :

Les interviews de l’AMA-UCL

Madame le docteur Voahangy N. Ramahatafandry 
Une odyssée humanitaire


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Le docteur Ramahatafandry, originaire de Madagascar, est diplômée de l’Université Catholique de Louvain.  Son parcours professionnel mérite d’être connu et témoigne d’un courage et d’une persévérance peu ordinaires.  Jusqu’ici, sa carrière médicale a été consacrée à l’aide à la santé dans différents pays en voie de développement.
 

AMA : Je pense, madame, que votre carrière peut être un exemple pour les jeunes médecins attirés par l’aide médicale dans les pays du sud.  Si ces pays ont une dette - contestable d’ailleurs - vis-à-vis des pays industrialisés, nous avons, nous, une dette et un devoir humanitaire envers eux.

V.N.R. : Je suis née en 1950, à Madagascar.  C’est là que j’ai rencontré en 1970 mon mari, un ingénieur agronome belge qui travaillait pour la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). J’étais à cette époque en 1ère année de médecine, à Antananarivo.  Ma mère étant sage-femme, notre famille a toujours vécu dans des logements de l’hôpital et j’ai grandi dans cet environnement.  Mon père était directeur d’une école primaire.  Au temps de la colonisation, les études supérieures étaient difficilement accessibles aux Malgaches.

AMA : Comment avez-vous connu votre mari ?

V.N.R. : A cette époque, il était cadre associé pour la FAO dans un projet de reboisement dans la zone des hautes terres centrales de Madagascar.  Le contrat de mon mari, devenu expert junior,  s’est achevé alors que j’étais en premier doctorat de médecine  et je l’ai accompagné lors de son retour en Belgique.  Comme mon mari était diplômé de l’UCL, j’ai écrit à cette université pour expliquer ma situation et mon désir de poursuivre mes études de médecine en Belgique.  Dès mon arrivée à Louvain-en-Woluwe, j’ai appris que je devais repasser des examens d’anatomie, d’histologie, de biochimie, de physiologie….  J’avais trois semaines devant moi.  Grâce à des étudiants qui m’ont prêté leurs manuels de cours, j’ai pu ainsi passer et réussir, hors session, les examens. Etant donné la différence des programmes entre Madagascar et la Belgique, j’ai dû reprendre les études en premier doctorat de médecine.  C’est ainsi que quatre années plus tard, je devins le premier médecin malgache sorti à titre légal de l’UCL.

AMA : Vous avez été diplômée en …

V.N.R. : … 1979.  Ensuite, je suis partie à l’Institut de Médecine Tropicale Prince Léopold à Anvers. Après avoir obtenu la spécialisation en médecine tropicale en 1980, je suis partie rejoindre mon mari en poste à Niamey au Niger pour l’Administration Générale de Coopération au Développement (AGCD). J’ai travaillé d’abord comme agent de stage en santé publique avec des médecins coopérants belges. Puis j’ai été associée à la lutte contre la schistosomiase dans un projet de l’Organisation de Coordination et de Coopération pour la lutte contre les Grandes Endémies en Afrique de l’Ouest (OCCGE). 


AMA : Et ensuite ?

V.N.R. : Le contrat de mon mari s’étant terminé en 1981, nous sommes partis la même année au Pérou, à Cajamarca où il participait à un projet forestier pour la Coopération Technique Belge. J’ai travaillé comme médecin dans un projet multidisciplinaire de l’Université de Cajamarca pour une douzaine de communautés indiennes de la Cordillère des Andes. 
Notre équipe allait chaque jour dans un village différent où la communauté locale nous attendait dans  l’école. Le projet a créé des dispensaires et formé des membres de la communauté pour assurer les premiers soins de santé.  Nous assurions les Soins de Santé Primaire (Primary Health Care) qui incluent entre autres des domaines tels que l’éducation pour la santé, la santé maternelle et infantile (planification familiale), les vaccinations, le dépistage et traitement de la malnutrition et de la tuberculose, la médecine scolaire, l’hygiène et l’assainissement, etc. 
Je faisais également des consultations dans ces villages situés dans un rayon de 30 km autour de Cajamarca où le projet médical était basé. 
Nous collaborions aussi avec l’hôpital de Cajamarca et nous leur envoyions les malades suspects de tuberculose ainsi que les patients qui nécessitaient une intervention chirurgicale. 

Je me suis passionnée pour la culture péruvienne, qui englobe un univers médical : tout est divisé en « chaud » (calido) ou « froid » (fresco), un peu comme le Yin et le Yang de la philosophie chinoise.  C’est ainsi que l’origine des maladies était le « chaud » ou le « froid » (les herbes, les couleurs, les aliments   étaient « chauds », « froids » ou « ni chaud ni froid »), mais il y avait également l’influence du soleil, de la lune, de l’eau, du vent, des montagnes, etc.  J’ai appris le Quechua (la langue des Incas, toujours parlée par les Indiens). Cela m’a aidé à approfondir ces notions de « fresco » et « calido » pour que les gens acceptent mes traitements. Lorsque je prescrivais des antibiotiques, je leur disais « prenez beaucoup d’eau », mais quelle eau ?  quelle herbe ?  froide ou chaude ?  Eux, ils le savent : « j’ai attrapé cette maladie parce que je suis resté trop longtemps au soleil : il me faut telle herbe ».  Si je ne savais pas leur répondre, je n’étais pas un bon médecin.  Nous sommes ainsi restés sept ans au Pérou. 
A ce propos, le professeur Lebacq m’a aidée beaucoup en envoyant des médicaments et des instruments au nom de l’AMA-UCL.

AMA : Et ensuite ?

V.N.R. : Les îles du Cap Vert.  C’était très différent.  J’ai travaillé pendant une année en santé publique : activités curatives, préventives et éducatives de la santé dans la zone urbaine et rurale du Concelho de Saude de Praia, sur l'île de Santiago, dans le cadre du Ministère de la Santé, du Travail et des Affaires Sociales du Cap Vert.

 Je n’y suis restée qu’une année, car j’ai obtenu un contrat avec l’Université Libre de Bruxelles et les Nations Unies, pour un projet de planification familiale en République Fédérale Islamique des Comores.  C’était le pays le plus proche de Madagascar : je me sentais un peu chez moi, à une heure et demie d’avion.  Je ne faisais pas de consultations, mais des statistiques ainsi que la formation des infirmiers et des médecins. Ce projet avait pour objectif de réduire la mortalité maternelle et infantile et l’indice synthétique de fécondité.

AMA : Et ensuite ?
V.N.R. : Après deux ans aux Comores, je suis partie à N'Djamena, au Tchad, comme conseiller technique dans un projet de santé urbaine de l’Institut Tropical Suisse. 
Dans un contexte difficile, le projet a tenté de mettre sur pied un système de recouvrement des coûts des médicaments essentiels, financé par la Banque Mondiale.  Des médicaments déposés dans un dispensaire pouvaient être achetés par les malades pour un prix modique : ce qui permettait au dispensaire de réapprovisionner régulièrement  sa pharmacie.

AMA : La Banque Mondiale amorçait le système.

V.N.R. : Oui.  Mais il fallait tenir compte de l’inflation, du très faible pouvoir d’achat de la population, de l’instabilité sociale et politique.  En 1994, le mandat de mon mari au Cap Vert s’achevait : il fut envoyé toujours pour la FAO dans un grand projet de lutte contre la désertification et de protection de l’environnement en Mauritanie où je l’ai rejoint en 1995. 
En 1996, je suis partie compléter mes études aux Etats-Unis pour pour y obtenir un certificat en assistance humanitaire et une maîtrise en santé publique, à la Johns Hopkins School of Hygiene and Public Health, à Baltimore.


AMA : Johns Hopkins, une très bonne maison !

V.N.R. : Mes trois choix étaient Harvard, Hopkins et Tulane.  A Harvard, ils avaient atteint leur quota ;  j’ai été acceptée à Hopkins et à Tulane mais j’ai finalement opté pour The Johns Hopkins University. 

AMA : Et ensuite ?

V.N.R. : Je suis rentrée en Belgique en 1997, pour repartir en 1998 au Pérou pour « Médecins Sans Frontières », à l’occasion de l’épidémie de choléra liée à El Niño. Ensuite en Bolivie, pour faire l’évaluation des trois projets médicaux exécutés et financés par la Coopération Technique Belge (AGCD). 
Enfin, ce fut le Kosovo avec les Nations unies, juste après les bombardements, avec le docteur Bernard Kouchner comme Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations unies au Kosovo.  Les Nations unies avaient divisé le Kosovo en six régions médicales, gérée chacune par un médecin de santé publique. J’étais le « Medical Health Officer » pour la région de Pristina.

AMA : L’armée serbe avait déjà quitté la région ?

V.N.R. : Oui, avec ceux qui avaient commis des exactions.  Les Serbes restés étaient victimes de la vengeance des Kosovars albanais.  J’y suis restée 7 mois, en m’impliquant totalement. 
Il m’a fallu près d’un an pour récupérer de cette mission au Kosovo. Pour la première fois de ma vie, j’ai ressenti « sous ma peau » comme disent les Serbes, ce que signifie être un réfugié.  Ce que vous percevez à la télévision est virtuel car la réalité est tout autre.

AMA : Qui étaient ces réfugiés ?

V.N.R.  : C’était les Serbes et toute la population non albanaise incluant les Tziganes (les Roms qui parlent le serbe et les Ashkalis qui utilisent la langue albanaise), les Turcs, les Bosniaques, les Croates, les Goranis.

AMA : Réfugiés dans leur pays !

V.N.R. : Une partie de mon travail était de faciliter l’accès de ces gens à la santé. Ils étaient prisonniers dans leurs villages, dans leurs appartements en ville.  Il fallait les évacuer s’ils devaient être hospitalisés.  Comme médecin et responsable pour les Nations unies de toute la Région de Pristina, je me suis efforcée de maintenir de bonnes relations tant avec les Serbes qu’avec les Albanais.

AMA : Et les langues ?

V.N.R. : J’ai pris quelques leçons d’albanais. J’avais un traducteur serbe, mais une connaissance rudimentaire de la langue me permettait néanmoins de savoir si mon traducteur exprimait correctement mes paroles.

AMA : Le retour en  Belgique était nécessaire.

V.N.R. : J’avais besoin, pour récupérer, de revivre dans un pays où des gens ne sont pas massacrés tous les jours, où il n’y a pas de mines sur les routes, où l’eau n’est pas contaminée.  Après cette période, la Coopération Technique Belge m’a recrutée en 2001 pour un projet de santé communautaire à Diourbel au Sénégal, à trois heures de Dakar.  Le Sénégal est un pays musulman très tolérant. Ce projet avait entre autres une composante « hygiène et assainissement » qui m’a réellement passionnée…

AMA : Le contrat pour le Sénégal s’est terminé….

V.N.R. : … en mars 2004. 

AMA : Vous avez bien mérité d’avoir un poste plus stable et fixe.

V.N.R. : Oui peut-être… En tout cas, pour le moment, je ne pense pas encore à la retraite. 
Je voudrais ajouter un mot sur ma conception du rôle du médecin.  Ce n’est pas seulement faire des diagnostics et traiter les malades, mais prendre en compte tout le contexte, la culture, la langue, la musique, la philosophie.  Je suis aussi à la recherche de ma vérité, une vérité autre que celle qui a été imposée par la colonisation. 
Ma famille, particulièrement mon père, était très nationaliste et considérait les études comme étant la plus grande valeur.  C’est pour cette raison que j’ai investi ( et que j’investirai encore) beaucoup de temps et d’argent dans la formation continue.  Mon père a étudié toute sa vie et après sa retraite, a suivi des cours de droit international à l’Université d’Antananarivo.  J’ai des oncles et des tantes qui ont repris des études après 40 ans.

AMA : Quels sont vos projets d’avenir ?

V.N.R. : Ce que j’aimerais ? Soit, travailler à Madagascar, pour une organisation internationale, soit trouver du travail en Belgique dans le domaine du développement et de la santé publique. 
J’ai toujours été avide de connaître d’autres cultures.  C’est pourquoi j’ai essayé d’apprendre les langues des pays où j’allais et ainsi, de mieux comprendre leur vérité, leur pensée, leur conception de l’univers.  Le fait d’être médecin ouvre des portes dans des cultures différentes et permet de côtoyer les gens.  Vous êtes mieux accueilli, plus facilement associé à leur vie.

Il ne faut pas voir les êtres humains en termes de couleur de peau  ou de sexe. Il faut avoir un respect profond et de l’amour pour les autres. Ma mentalité est l’héritage de mes parents et je considère le travail que j’ai accompli (et que j’accomplirai encore) comme un hommage à mon père, qui est mort d’un cancer du poumon;  je n’ai pas pu être à ses côtés à ce moment et c’est un souvenir très douloureux.

En général, durant toute ma carrière, j’ai aimé tous les pays où j’ai séjourné mais je n’ai pas voulu les comparer car chaque pays a ses spécificités.

Ce parcours professionnel m’a confortée dans la tolérance qui est un des préceptes de la culture malgache où il n’y a pas une vérité : chacun possède sa vérité.  Il faut respecter celle des autres sans la faire sienne ;  ce respect permet de vivre en harmonie. 

Lorsque je regarde derrière moi, je me rends compte des risques que j’ai pris dans certaines circonstances. Ma vie a consisté en une suite continue de défis. Pour moi la liberté, c’est avoir le choix : il y a tant de gens dans le monde qui n’ont pas le choix de leur vie.  Mais choisir, c’est aussi renoncer à certaines choses importantes comme par exemple quitter sa propre famille, ses proches, mais je ne regrette rien et si c’était à refaire, je le referai. 

 

Voici les coordonnées du docteur Voahangy Nombànahery Ramahatafandry :
vramahat@yahoo.com


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